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Par What's up EU
11 mars · 6 mn à lire
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Le devoir de vigilance en danger

Mauvais temps pour la CS3D • Mais aussi — Elections, Défense, Inflation, Concurrence, Lex


Bonjour. Nous sommes le lundi 11 mars. Après une semaine de pause, nous sommes de retour avec votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn


Le Briefing

Avec l’approche des élections, l’étau se resserre sur les institutions qui tentent de boucler les négociations sur plusieurs initiatives législatives clés proposées durant cette mandature.

La Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CS3D), directive sur laquelle le Parlement et les Etats-membres travaillent depuis maintenant deux ans, risque de ne pas être adoptée avant les élections, ce qui pourrait enterrer définitivement le texte.

Pour rappel, la présidence tournante du Conseil de l’UE est attribuée à la Belgique pour les 6 premiers mois de 2024 © Conseil de l’UEPour rappel, la présidence tournante du Conseil de l’UE est attribuée à la Belgique pour les 6 premiers mois de 2024 © Conseil de l’UE

CS3D • Le 14 décembre 2023, le Parlement et le Conseil trouvaient un accord provisoire sur la Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CS3D), initiative législative visant à imposer un devoir de vigilance aux entreprises présentes sur le marché européen. 

Le travail semblait donc bouclé : il ne manquait plus que l’adoption formelle du texte par les deux institutions. Pourtant, sous la pression du Parti libéral-démocrate allemand (FDP), l’Allemagne a annoncé début février qu’elle ne soutiendrait pas la version finale du texte.

L’annonce de l’Allemagne semble avoir donné le courage à d’autres Etats membres de faire part de leur opposition à la directive, en particulier l’Italie, dont l’industrie a mis en œuvre d’importants efforts de lobbying pour contrer l’adoption du texte.

Dans un impressionnant volte-face, quatorze Etats membres — dont la Suède, l’Autriche ou encore le Luxembourg — ont fini par empêcher l’adoption de la directive à la fin février. La France, qui soutenait pourtant le texte depuis l’exemption du domaine de la finance, s’est également opposée à l’adoption de l’accord.

La semaine dernière, pour tenter de sauver la CS3D, la présidence belge du Conseil de l’UE a présenté un nouveau texte de compromis prenant en compte les demandes des différents Etats membres. Un vote sur cette proposition devait avoir lieu vendredi, mais il a été repoussé d’une semaine.

Dans sa proposition de compromis, la présidence belge propose de réduire le champ d’application de la directive (seules les entreprises d’au moins 1000 employés et 300 millions d’euros de chiffre d’affaire seraient concernées, contre 500 employés et 150 millions d’euros dans l’accord provisoire) et de retarder l’application du texte, entre autres.

LOBBYING • “Revenir sur des engagements ou formuler de nouvelles exigences témoigne d’un mépris flagrant pour le Parlement européen en tant que co-législateur”, a déclaré Lara Wolters, rapporteure du texte au Parlement.

L’eurodéputée néerlandaise n’est pas la seule à critiquer le volte-face des Etats membres. Ces dernières semaines, un grand nombre d’associations et de députés de l’aile gauche du Parlement européen ont dénoncé le comportement de plusieurs gouvernements européens.

Certains industriels en faveur de l’adoption de la CS3D sont du même avis. C’est le cas d’une partie de l’industrie alimentaire qui estime que des normes communes à l’échelle européennes faciliteraient la mise en vente de leurs produits dans l’ensemble des Etats membres.

Pourtant, le reste de l’industrie européenne semble majoritairement opposé à l’adoption de cette directive. Les obligations que cette dernière créerait viendraient alourdir les charges administratives déjà élevées et limiter leur compétitivité, expliquent les industriels. 

La directive impose aux entreprises concernées de prendre les mesures nécessaires pour limiter les risques d’impacts négatifs environnementaux et sociaux à travers leur chaîne de valeur. L’adoption d’un plan garantissant que le modèle de l’entreprise est aligné avec l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C est aussi obligatoire. En cas de non-respect de la directive, des amendes allant jusqu’à 5% du chiffre d'affaires net peuvent être imposées aux entreprises.

TIC TOC • La détermination de la présidence belge risque de ne pas être suffisante pour sauver la CS3D. Afin que la directive soit adoptée avant les élections, il faudrait que le Parlement puisse, lors de sa dernière plénière en avril, voter sur la version du texte adoptée par le Conseil.

Mais du côté du Conseil, les espoirs de voir les Etats membres s’accorder sur une nouvelle version du texte s’amenuisent. Le report du vote qui devait avoir lieu vendredi dernier n’est pas bon signe.

Selon Euractiv, Lara Wolters, la rapporteure du Parlement européen sur la CS3D, souhaiterait sauver le texte à tout prix, même si cela implique de diminuer son ambition afin de satisfaire les Etats membres.

La raison est simple : si la directive n’est pas adoptée avant les élections, son existence même serait mise en danger. Il est en effet attendu que le Parlement européen connaisse un tournant à droite au sortir des élections, donnant ainsi plus de poids aux eurodéputés pro-business du centre-droit et de la droite pour s’opposer à la directive.


Inter Alia

ÉLECTIONS • C’est maintenant officiel : Ursula von der Leyen sera la tête de liste du Parti populaire européen (PPE, centre-droit) pour les élections européennes. Elle a été officiellement élue par les députés nationaux du PPE lors du congrès du groupe politique à Bucarest. Pour rappel, le PPE est actuellement le premier groupe politique au Parlement européen. Les sondages indiquent tous qu’il conservera cette position après les élections. 

Sur les 737 délégués du PPE pouvant voter pour élire la tête de liste, seuls 499 ont décidé d’utiliser leur vote. Parmi eux, 89 ont voté contre Ursula von der Leyen. “J'ai hâte de me battre avec ce merveilleux parti à mes côtés”, a déclaré Ursula von der Leyen sur son nouveau compte Twitter dédié à sa campagne.

Le jour même, le commissaire au marché intérieur Thierry Breton (Renew) a envoyé une pique à la candidate sur X : “Malgré ses qualités, Ursula von der Leyen mise en minorité par son propre parti. La vraie question désormais : Est-il possible de (re)confier la gestion de l’Europe au PPE pour 5 ans de plus, soit 25 ans d’affilée ?”. 

“Le PPE lui-même ne semble pas croire en sa candidate”, a-t-il ajouté, faisant référence aux 400 voix récoltées par l’ancienne ministre de la défense allemande.

Côté français, la majorité présidentielle Renaissance-Horizons-Modem a officiellement nommé Valérie Hayer tête de liste pour la campagne à venir. Cette dernière a réalisé son premier meeting à Lille, pendant lequel elle a surtout appelé à un “sursaut” pour contrer la montée de la liste du Rassemblement National dans les sondages.

DÉFENSE • Le 6 mars, la Commission européenne a présenté une communication détaillant sa stratégie industrielle de défense européenne. Cette communication s’accompagne d’une proposition de règlement établissant un programme pour l’industrie de défense européenne (EDIP).

Depuis le début de la guerre en Ukraine, le budget des Etats membres alloué à la défense a significativement augmenté. Pourtant, depuis 2022, 78% des achats d’équipements militaires ont été réalisés à l’étranger, dont 68% aux Etats-Unis.

L’objectif de cette nouvelle stratégie est de permettre à l’UE de booster son industrie de défense afin de moins reposer sur des achats à l’étranger. D’ici 2030, l’objectif est que 50% des équipements achetés proviennent d’Europe — un objectif qui monte à 65% en 2035 — et que les États membres réalisent 40% de leurs achats de manière conjointe.

La Commission s’engage à allouer 1,5 milliards d’euros à l’EDIP d’ici 2027. Pour le reste, il revient aux États membres de mettre la main à la poche. Pour autant, la Commission fait plusieurs propositions, comme celle d’utiliser les fonds de cohésion ou encore de pousser la Banque européenne d’investissement (BEI) à changer sa politique de prêts afin qu’elle puisse financer des investissements dans le domaine de la défense — ce qu’elle n’est pas autorisée à faire pour le moment.

L’idée de contracter un nouvel emprunt commun est aussi sur la table, tout comme celle d’utiliser les profits des actifs russes. Il faudra cependant que les Etats membres s’accordent pour mettre en place de telles mesures, ce qui est loin d’être acquis.

La Commission a voulu le plus possible l’Ukraine dans cette proposition. Kiev pourrait ainsi, par exemple, participer aux achats conjoints des Etats membres. 

Les Etats membres et le Parlement doivent à présent se prononcer sur cette stratégie et ce règlement.

INFLATION • L’inflation dans la zone euro est descendue à 2,6% pendant le mois de février, contre 2,8% en janvier, selon Eurostat. Ce niveau est tout de même plus élevé que ce prédisaient les économistes (2,5%, selon un sondage de Reuters).

L’inflation de base (qui exclut la grande variabilité des prix de l’alimentation et de l’énergie) a aussi baissé moins fortement que ce que les économistes attendaient, passant de 3,3% en janvier à 3,1% en février.

Le 7 mars, le Conseil des gouverneurs (principal organe décisionnel de la BCE) a décidé de laisser inchangés les trois taux d’intérêts directeurs. Cependant, les projections de la BCE sur l’inflation ont été revues à la baisse, en particulier pour 2024, année pendant laquelle l’inflation est maintenant estimée à 2,3%.

“Nous progressons bien vers notre objectif d'inflation et nous sommes donc plus confiants, mais nous ne sommes pas suffisamment confiants. Nous avons clairement besoin de plus de données. Nous en saurons un peu plus en avril, mais nous en saurons beaucoup plus en juin”, a déclaré Christine Lagarde, suggérant une potentielle baisse des taux en juin au plus tôt.

CONCURRENCE • Depuis le 7 mars, les plateformes en ligne ayant été désignées comme “gatekeepers” (“contrôleurs d'accès”) dans le cadre du Digital Markets Act (DMA) doivent respecter les obligations créées par ce règlement, qui vise à rendre les marchés dans le secteur du numérique plus “équitables” et “contestables”.

Pour rappel, les gatekeepers sont au nombre de 6 : Amazon, Apple, Alphabet (Google), Meta, Microsoft, and ByteDance. Ils doivent respecter un certain nombre d’obligations techniques visant à garantir que les marchés du numérique restent ouverts.

Parmi elles, l’obligation d’autoriser les boutiques d’applications tierces sur les smartphones. Cette dernière a déjà fait du bruit la semaine dernière, lorsqu’Apple a annoncé bloquer le compte développeur d’Epic, l’éditeur du jeu vidéo Fortnite qui souhaite lancer une boutique d’application concurrente à l’App Store sur le système iOS.

Le 7 mars, la Commission a alors demandé  des comptes à Apple. Le lendemain, le commissaire au marché intérieur Thierry Breton annonçait que la marque à la pomme revenait sur sa décision. “Le DMA donne déjà des résultats très concrets !”, s’est-il exclamé sur X.

La semaine dernière avait mal commencé pour Apple : la Commission a annoncé qu’elle imposait une amende de 1,8 milliard d’euros à l’entreprise pour abus de position dominante sur le marché de la distribution d'applications de streaming de musique auprès des utilisateurs d'iOS.

Après une enquête sur les pratiques d’Apple, la Commission a conclu qu’Apple imposait des restrictions empêchant aux développeurs d’applications de streaming d’informer pleinement les utilisateurs d’iOS d’autres abonnements moins chers disponibles en dehors de l’application. Ces restrictions interdisant “l’orientation des utilisateurs” vers ces options d’abonnements sont qualifiées de dispositions “anti-steering” en Anglais.

Apple est ainsi accusée d’enfreindre l’article 102 du TFUE qui interdit les abus de position dominante.

LEX • Ces dernières semaines, d’importants progrès ont été faits sur plusieurs initiatives législatives.

1. La séance plénière du Parlement européen qui s’est déroulée du 26 au 29 février a été marquée par plusieurs décisions importantes, parmi lesquelles l’adoption définitive de la “loi” sur la restauration de la nature avec 329 voix pour, 275 contre et 24 abstentions.

Le règlement vise à contraindre les Etats à mettre en place des mesures favorisant le retour de la biodiversité dans au moins 20% des surfaces terrestres et maritimes d’ici à 2030, et de restaurer au moins 30% de certains habitats à la même date, puis 60% d’ici 2040 et 90% d’ici 2050. 

Malgré de nombreuses concessions ayant largement réduit la portée du texte lors des négociations avec le Conseil de l’UE, le parti populaire européen (PPE) a décidé, la veille du vote, de rallier les partis des conservateurs et réformistes européens (CRE) et d’Identité et démocratie (ID) afin de s’opposer à son adoption. 

Le texte doit encore être adopté formellement par le Conseil de l’UE.

2. Le 4 mars, le Parlement et le Conseil de l’UE ont trouvé un accord provisoire sur le règlement emballages et déchets d’emballages. Les deux institutions se sont accordées pour réduire les emballages de 15% d’ici 2040, avec des objectifs intermédiaires de 5% d’ici 2030 et 10% d’ici 2035.

Selon l’accord provisoire, certains formats d’emballages seraient interdits dès 2030 comme les emballages miniatures pour les produits de toilette ou les emballages pour les aliments et boissons consommés sur place dans les restaurants. 

Des règles spécifiques s’appliquent également à différents types de produits. La réutilisation des emballages est aussi encouragée.

Le texte doit maintenant être adopté formellement par le Parlement et le Conseil.

3. Le 5 mars, le Parlement et le Conseil de l’UE sont parvenus à un accord provisoire sur la proposition de règlement sur le travail forcé. Selon l’accord trouvé, tout produit fabriqué en recourant au travail forcé sera interdit, sans distinction de taille d’entreprise ou de pays d’origine.

Le Parlement a insisté pour qu’une liste de secteurs économiques où il existe un travail forcé imposé par l’Etat soit créée. Cette liste sera utilisée — avec d’autres critères — pour déterminer si l’ouverture d’une enquête sur la supply chain d’une entreprise est nécessaire.

L’accord doit encore être approuvé par le Conseil et le Parlement.


Nos lectures de la semaine

  • L'élargissement de 2004 est l’une des grandes réussites de l'UE, qui mérite d’être une source de fierté, expliquent Michael Emerson et Daniel Gros du CEPS.

  • Andrew Duff et Luis Garicano présentent leur proposition d'un budget européen réformé, à deux niveaux, dans un rapport pour l'EPC. 

  • Bruegel a publié un policy brief de Zsolt Darvas et al. sur la voie qui s’offre à l’Ukraine pour devenir membre de l’UE.


Cette édition a été préparée par Augustin Bourleaud et Maxence de La Rochère. À la semaine prochaine !