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Par What's up EU
1 mai · 6 mn à lire
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La Commission s’en prend aux panneaux solaires chinois

Enquête FSR sur des producteurs de panneaux chinois • Mais aussi — Corruption, Loi restauration de la nature, Trade and Technology Council, Inflation, Ukraine, Russie


Bonjour. Nous sommes le 8 avril et voici votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn


Le Briefing

Le 3 avril, la Commission européenne a ouvert deux enquêtes approfondies dans le cadre du règlement relatif aux subventions étrangères (FSR). Les entreprises visées sont toutes deux des producteurs de panneaux solaires chinois. 

© Shutterstock© Shutterstock

QUE PASA • Ces enquêtes concernent deux entreprises impliquées dans une procédure de marché public en Roumanie. Sont en jeu la conception, la construction et l’exploitation d’un parc photovoltaïque d’une puissance de 110 MW qui sera en partie financé par l’UE.

Conformément au règlement sur les subventions étrangères (FSR), une entreprise est tenue de notifier son appel d'offre public dans l'UE si : 

  • Le marché public dépasse 250 millions d’euros, et

  • L’entreprise a perçu au moins 4 millions d’euros de contributions financières extra-européennes pendant les 3 années précédant la notification. 

La Commission estime que les subventions étrangères reçues par deux consortiums d’entreprises chinoises pourraient fausser la concurrence au sein du marché intérieur :

  • Le premier est une filiale allemande de Longi Green Technology, l’un des plus grands producteurs de panneaux solaires et photovoltaïques au monde. 

  • Le second rassemble deux filiales de l’entreprise publique chinoise Shanghai Electric (Shanghai Electric UK et Shanghai Electric Hong Kong International Engineering).

RISQUES • L’enquête devra permettre à la Commission de déterminer si les subventions reçues par ces entreprises faussent la concurrence au sein de cette passation de marché public. L’investigation devra être menée à terme dans un délai de 110 jours ouvrables après le 4 mars, date de la notification des deux consortiums.

Les issues possibles de l’enquête sont les suivantes : 

  • La Commission pourrait demander aux entreprises chinoises de prendre des engagements visant à remédier à la distorsion de concurrence.

  • Les entreprises pourraient se voir interdire l’attribution du marché public.

  • La Commission pourrait aussi ne pas émettre d’objection.

CRRC • Mais il est également possible qu’une ou plusieurs des entreprises visées se retirent du marché public avant ou pendant l’enquête de la Commission. C’est ce qu’il s’est passé dans le cadre de la dernière — aussi la première — enquête de la Commission dans le cadre du règlement sur les subventions étrangères.

Lancée à la mi-février, l’enquête visait une filiale du fabricant public de train chinois CRRC dans le cadre d’un marché public bulgare pour l’attribution de plusieurs trains électriques, de services de maintenance et de formation du personnel. Pour lire notre édition sur le sujet, c’est ici.

L’entreprise s’est retirée d'elle-même du marché public un peu plus d’un mois après l’annonce de l’enquête. Difficile de savoir la raison exacte, mais on peut penser que les exigences de la Commission en matière de divulgation de documents et de transparence ont conduit l’entreprise à préférer se retirer plutôt que de devoir faire face à une enquête approfondie.

“En l’espace d’à peine quelques semaines, la première enquête ouverte au titre du règlement relatif aux subventions étrangères a déjà donné des résultats”, s’est félicité le commissaire au marché intérieur Thierry Breton.

REACTIONS • Cette deuxième enquête dans le cadre du FSR concerne un secteur particulièrement vulnérable à la concurrence chinoise. 

“Les panneaux solaires ont pris une importance stratégique en Europe : pour la production d’énergie propre, la création d’emplois et la sécurité de l’approvisionnement”, a déclaré Thierry Breton au sujet de l’ouverture de l’enquête.

Pour la Chambre de commerce de Chine auprès de l’UE (CCCEU), le FSR n’est rien d’autre qu’un “nouvel outil de coercition économique visant à interférer avec les opérations économiques raisonnables et légales des entreprises chinoises sur le marché européen de la transition énergétique”.

CONTEXTE • Si les importations de panneaux chinois ont permis à de nombreux Etats membres de rapidement augmenter leurs capacités de production d’électricité renouvelable, l’industrie européenne du panneau solaire tire depuis plusieurs mois la sonnette d’alarme au sujet de la concurrence chinoise.

Dans le cadre Plan industriel du Pacte vert (‘Green Deal Industrial Plan’), l’ambition est que 40% des technologies indispensables à la transition énergétique soient produites en Europe d’ici 2030 — y compris les panneaux solaires. Mais la situation actuelle est préoccupante : offre supérieure à la demande, prix ultra-bas sur le marché en raison de la concurrence de producteurs de pays tiers, stocks non-vendus, coûts de production élevés — le secteur fait face à d’importantes difficultés.

En février, le plus grand producteur de panneaux solaires d’Allemagne décidait d’ailleurs de se délocaliser aux Etats-Unis, menant à une baisse de 10% de la capacité de production outre-Rhin. En France et en Suède, Systovi et le groupe REC ont tous deux fermé des usines de production ces derniers mois.

Face aux demandes des industriels, la Commission reste peu favorable à l’imposition de droits antidumping sur les panneaux solaires chinois. À la place, des mesures incitatives sont envisagées dans le cadre d’une Charte européenne du solaire qui serait actuellement en préparation du côté de la Commission, rapporte Politico.


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Inter Alia

ROLEX • Avec l’aide des polices autrichiennes, roumaines et slovaques, la police financière italienne a arrêté 22 personnes et saisi plusieurs biens dans le cadre d'une fraude présumée concernant le fonds de relance post-pandémique de l'UE (Next Generation EU, NGEU).

Les cas de fraudes liés à de l’argent public européen tombent sous la juridiction du Parquet européen, situé au Luxembourg. Ce dernier a déclaré qu’une organisation criminelle est soupçonnée d’avoir obtenu 600 millions d’euros de subventions de la Facilité pour la reprise et la résilience (l’un des instruments de NGEU) de l’Italie entre 2021 et 2023.

L’argent obtenu comprend des fonds alloués par Simest, une entité publique italienne dont l’objectif est de soutenir les petites entreprises — celle-ci coopère pleinement à l’enquête.

Sur les 22 personnes arrêtées, 8 ont été placées en détention provisoire tandis que 14 sont assignées à résidence. “Les sujets faisant l’objet de l’enquête utilisaient des technologies de pointe, telles que les VPN, les serveurs en nuage situés à l’étranger, les crypto-actifs et les logiciels d’intelligence artificielle, afin de mener à bien les comportements frauduleux et de dissimuler et protéger les activités illégales”, explique le Parquet européen.

Les suspects auraient mis en place un réseau de sociétés écran s’étendant jusqu’en Slovaquie, Roumanie et Autriche — ils transféraient l’argent vers les comptes bancaires de ces entreprises dès qu’ils recevaient les paiements italiens.

Dans son rapport annuel publié en mars, le parquet européen a déclaré avoir ouvert plus de 200 enquêtes vis-à-vis du fonds de relance de l’UE en 2023.

Les biens saisis dans le cadre de cette affaire comprennent des appartements, des villas, des voitures et montres de luxe. Un petit aperçu : 

© Parquet européen© Parquet européen

ENVIRONNEMENT • Alors que le règlement sur la restauration de la nature devait être adopté par le Conseil de l’UE le lundi 25 mars, la présidence belge a décidé de reporter le vote, craignant que le résultat n’atteigne pas le seuil minimal de 65% de la population européenne (dans le cadre du vote à la majorité qualifiée).

En effet, plusieurs gouvernements — comme la Suède, la Finlande et la Hongrie — ont annoncé avant la réunion qu’ils voteraient contre ce texte visant à restaurer au moins 20% des espaces terrestres et maritimes européens d'ici à 2030.

L’ambition du règlement avait déjà été revue à la baisse lors des négociations interinstitutionnelles entre le Parlement et le Conseil de l’UE. Adoptée de justesse par le Parlement le 27 février, la version actuelle du texte reste critiquée par plusieurs gouvernements européens qui estiment que ce règlement représente une menace pour le secteur agricole. 

À l’approche des élections, la question agricole est de plus en plus sensible à travers l’UE — les gouvernements des différents Etats membres souhaitent à tout prix ne pas s’aliéner davantage les agriculteurs. 

Pour cette raison, il est probable que le vote soit reporté après les élections. Si la présidence belge tente actuellement de sauver le texte, le premier ministre belge Alexander de Croo a lui-même qualifié le règlement de “mauvais”.

TTC • La semaine dernière, la ville universitaire de Louvain en Belgique était sous le feu des projecteurs à l'occasion de la 6ème réunion ministérielle du Trade and Technology Council (TTC) entre l’UE et les Etats-Unis. Ce forum semestriel vise à coordonner les politiques des deux côtés de l’Atlantique sur des questions commerciales et technologiques clés.

Ce sommet n’a donné lieu à aucune avancée majeure — les représentants se sont concentrés sur les sujets sur lesquels ils sont globalement d’accord.

Un communiqué conjoint évoque le renforcement du contrôle des investissements étrangers directs (IED) via un dépôt commun, la prolongation de trois ans de la coopération sur les perturbations du secteur des semi-conducteurs, ainsi qu'un forum sur la diversification des chaînes d'approvisionnement en matières premières stratégiques pour les technologies vertes et numériques. L'office européen de l'IA et l'Institut de sécurité de l'IA des États-Unis travailleront ensemble sur des outils d'évaluation des modèles d'intelligence artificielle.

En toile de fond, la perspective d'un second mandat Trump inquiète. L'ancien président a promis de durcir sa politique America First, notamment par des droits de douane de 10% sur toutes les importations. Dans le scénario de l’élection de Trump, l’avenir du TTC est plus incertain que jamais — certains proposent de le formaliser en un accord-cadre sur le commerce et l'investissement (un Trade and Investment Framework Agreement, TIFA).

Il est donc possible que cette réunion du TTC ait été la dernière. Le bilan du TTC est jusqu’à présent extrêmement mitigé : les deux parties n’ont pas été capables de parvenir à un véritable accord sur les tarifs douaniers sur l’aluminium et l’acier, ou encore à finaliser un accord sur les matières premières critiques — accord qui aurait permis aux producteurs européens de voitures électriques de bénéficier de subventions américaines dans le cadre de l’IRA (Inflation Reduction Act).

INFLATION • L’inflation annuelle dans la zone euro est passée de 2,6% en février à 2,4% en mars, révèlent les estimations d’Eurostat. En détail :

  • Le prix de l’alimentation, de l’alcool, du tabac et des biens industriels hors énergie augmentent moins rapidement.

  • Les prix de l’énergie continuent de baisser (-1,8%, comparé à -3,7% en février).

  • Les services connaissent le taux annuel le plus élevé en mars, avec une inflation stable de 4% — de nombreux économistes craignent que la hausse rapide des salaires ne continue de faire augmenter les prix dans ce secteur.

L’inflation sous-jacente, qui exclut les prix de l'énergie, des denrées alimentaires, de l'alcool et du tabac (ils ont tendance à être plus volatils que les autres) afin de donner une meilleure idée des pressions sur les prix, est passée de 3,1% (février) à 2,8% (mars).

Les experts estiment que la Banque centrale européenne (BCE) choisira probablement le mois de juin pour commencer à baisser les taux. 

UKRAINE • Le 27 mars, les ministres de l’UE ont trouvé un accord sur une possible prolongation des mesures de libéralisation des échanges avec l’Ukraine jusqu’en juin 2025. Les négociations sur ce sujet avec le Parlement peuvent vont donc être réouvertes.

Contexte : depuis juin 2022, l’UE a libéralisé ses échanges avec l'Ukraine sur de nombreux produits agricoles afin de soutenir l’économie du pays. Ces mesures (appelées Autonomous Trade Measures, ATM) ont été prolongées une fois et arrivent à expiration en juin 2023. 

Suite aux pressions des agriculteurs européens, dont beaucoup vivent mal la concurrence des produits agricoles ukrainiens bon marché, le Conseil de l’UE et le Parlement avaient initialement trouvé un accord provisoire le 20 mars pour étendre la liste des produits dit “sensibles” et mettre en place des mesures d’urgence dans le cas où les importations de ces produits dépasseraient le niveau moyen pour 2022-2023. Ces produits comprennent le sucre, l'avoine, le maïs, les œufs, ou encore la volaille. 

Mais plusieurs Etat membres, notamment des pays frontaliers de l’Ukraine comme la Pologne, ont formé une minorité de blocage et ont effectivement mis en pause les négociations sur le sujet, souhaitant des restrictions plus ambitieuses sur les importations. La France s’est récemment rangée du côté de la Pologne.

Le compromis trouvé par la présidence belge du Conseil tient compte des demandes de ces Etats membres en étendant la période de référence sur laquelle est calculée le niveau moyen d’importations jusqu’avant le début de la guerre avec l’Ukraine (second semestre 2021), période pendant laquelle les importations ukrainiennes étaient plus basses. En d’autres termes, les mesures d’urgence pourront être déclenchées plus facilement.

Ces mesures pourraient coûter à l’Ukraine environ 330 millions d’euros si le pays ne trouve pas d’autres marchés à l’export. 

RUSSIE • Les services de renseignement belges et tchèques ont révélé une opération de corruption russe visant à influencer l’opinion publique européenne en faveur de la Russie, notamment en offrant des pots-de-vin à des députés européens.

Le ministère des affaires étrangères tchèque a sanctionné l’oligarque ukrainien Viktor Medvedchuk, un proche de Vladimir Poutine accusé d’avoir mené une vaste opération d’influence en faveur de la Russie via le média tchèque pro-russe Voice of Europe.

“Cela confirme ce que nous soupçonnions : le Kremlin utilise des médias douteux qui se font passer pour des médias et tente secrètement d’acheter de l’influence”, a déclaré à Politico la commissaire européenne Věra Jourová, chargée des valeurs européennes, de la transparence et de la démocratie.


Nos lectures de la semaine

  • “Vers quoi la BCE se dirige-t-elle à présent ?”, s’interroge Martin Sandbu pour le FT.

  • “Malgré des énormes déficits d'investissement, l'UE continue d'envoyer une grande partie de son épargne à l'extérieur de ses frontières”, constate Maria Demertzis dans un article d’opinion pour Bruegel.

  • Dans un papier pour Brugel, Armin Steinbach s’interroge sur les leçons à tirer du Partenariat oriental dans la perspective de l'adhésion à l'UE des pays des Balkans occidentaux.


Cette édition a été préparée par l’équipe de What’s up EU, y compris Maxence de La Rochère, Marc Planas et Gianni Gaboret. À la semaine prochaine !