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Par Augustin Bourleaud
30 sept. · 4 mn à lire
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Déforestation : l’UE s’attire les foudres de ses partenaires commerciaux

L'entrée en application du règlement déforestation fait polémique. Mais aussi : élections en Autriche, budget français, Commerzbank et UniCredit.


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Le Briefing

En un an, l’Union européenne s’est attirée les foudres d’un grand nombre de ses partenaires commerciaux. En cause, un règlement interdisant la mise en vente et l’exportation de produits issus de la déforestation. 

Alors que l’application des règles en question approche à grands pas, les pays tiers et les entreprises tirent la sonnette d’alarme : beaucoup de producteurs estiment ne pas être en capacité de répondre aux exigences de ce règlement.

L’UE fait face à un dilemme : maintenir l’ambition environnementale du règlement quitte à prendre le risque de déstabiliser les flux commerciaux de certaines marchandises, ou temporiser afin d’apaiser les tensions avec ses partenaires commerciaux.

Déforestation de l’Amazonie, Mato Grosso, Brésil © iStock, ParalaxisDéforestation de l’Amazonie, Mato Grosso, Brésil © iStock, Paralaxis

QUEZACO • Le 30 décembre 2024, le règlement européen sur la déforestation entre en application. À partir de cette date, la vente en Europe ou l’exportation de tout produit issu de la déforestation sera pour la première fois interdite. 

Jusqu’à présent, l’UE disposait d’un règlement sur la coupe illégale de bois mais pas sur la déforestation à proprement parler — par exemple, la déforestation liée à l’expansion agricole n’était pas systématiquement couverte. 

Les principaux produits concernés par ce nouveau règlement sont les suivants : le bétail, le cacao, le café, l’huile de palme, le caoutchouc, le soja et le bois.

À partir de la fin de l’année, les entreprises qui les commercialisent devront fournir des preuves que ces produits sont 100% “zéro déforestation”, c’est-à-dire qu’ils ne proviennent pas de terres récemment déforestées et qu’ils n’ont pas contribué à la dégradation de forêts.

C’est justement le niveau d’exigence de ces preuves qui inquiète les pays tiers et leurs entreprises. Les entreprises concernées devront évaluer les risques de déforestation sur l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement, indiquer les coordonnées géographiques des parcelles d’où proviennent les produits en question, ou encore mettre en place des mesures d’atténuation des risques.

Dans chaque pays européen, les autorités seront chargées d’effectuer des contrôles réguliers sur les produits concernés. En cas de non-respect, des amendes pouvant atteindre 4% du chiffre d’affaires des entreprises concernées sont prévues.

HARO SUR LE BAUDET • Depuis plus d’un an, l’UE est sous le feu des critiques : elle est accusée d’avoir produit un règlement trop ambitieux, qui présente des zones de flou sur des points clés, et qui ne laisse pas assez de temps aux entreprises pour se préparer.

La Malaisie et l’Indonésie — les deux plus grands producteurs d’huile de palme — ont montré une opposition particulièrement virulente aux nouvelles règles. Début septembre, l’association des producteurs d’huile de palme indonésiens déplorait une “absence de consultation sérieuse entre les décideurs politiques de l'UE et leurs partenaires commerciaux” ayant mené à “une incertitude généralisée quant à la manière dont ce règlement sera mis en œuvre”. 

Les deux pays reprochent à l’UE d’ignorer les pratiques de certification locales en imposant des méthodes qui ne peuvent pas toujours être respectées, en particulier par les petits producteurs.

La pression se fait également sentir au Brésil, où 15 milliards de dollars d’exportations pourraient être affectés, selon les chiffres du ministère de l’agriculture brésilien. 

PROBLÈMES • Aux États-Unis, l’opposition aux nouvelles règles est bipartisane. En mai, la représentante américaine au commerce Katherine Tai urgeait la Commission européenne de retarder l’application du règlement tant que certains problèmes n’étaient pas résolus.

Est notamment reproché à l’UE un manque de transparence sur certains aspects du règlement. Plus tôt dans l’année, la Commission européenne était tenue d’annoncer le niveau de risque de déforestation associé à chaque pays du monde — faible, standard ou élevé. Ce niveau de risque a un impact direct sur les mesures d’atténuation que doivent prendre les producteurs.

Sous la pression de plusieurs pays, la Commission a décidé de temporairement attribuer un risque standard à l’ensemble des pays. Les entreprises qui exploitent des ressources provenant de pays dans lesquels le risque de déforestation est quasi-inexistant se retrouvent donc avec les mêmes contraintes que si elles utilisaient des ressources provenant du Brésil ou d’Indonésie. 

Plusieurs documents visant à aider les entreprises à se préparer à l’entrée en application des règles n’ont pas encore été publiés par la Commission.

SUSPENS • L’opposition à l’application du règlement se fait ressentir au sein même de l’UE, où les règles ont pourtant été adoptées par le Parlement et le Conseil conformément à la procédure législative ordinaire.

Le chancelier allemand socialiste Olaf Scholz a récemment appelé à ce que l’application des règles soit repoussée. L’Autriche et la République tchèque ont également fait part de leurs inquiétudes.

Du côté du Parlement européen, le Parti populaire européen (PPE, centre-droit) souhaite un report de l’application du règlement, tandis que les sociaux-démocrates (S&D, centre-gauche) et les Verts souhaitent que les règles entrent en application comme prévu, sans quoi ils estiment que l’UE perdrait en crédibilité.

Sans ce règlement, la Commission européenne estime que la consommation européenne causera 248 000 hectares de déforestation et 110 millions de tonnes d'émissions en équivalent CO2 par an d'ici 2030.

Bien que les services de la Commission maintiennent que les règles s’appliqueront bien dès le 30 décembre 2024, des rumeurs laissent entendre qu’Ursula von der Leyen pourrait proposer une solution de secours dans les semaines qui arrivent. 

DIPLOMATIE • Le sort du règlement déforestation interroge sur la capacité de l’UE à imposer ses normes environnementales à d’autres pays du monde. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières a subi des critiques similaires au règlement déforestation.

La multiplication des normes liées au Pacte vert européen souligne le besoin d’une meilleure utilisation des canaux diplomatiques pour renforcer l’acceptabilité des politiques européennes sur les sujets environnementaux.


Inter Alia

AUTRICHE • Hier, le FPÖ, parti d'extrême droite autrichien, est arrivé en tête des élections parlementaires avec 29% des suffrages. Le parti avait déjà fait un score de 24,5% aux élections européennes.

Lors de ces élections, le parti a creusé l’écart avec ses rivaux traditionnels, le parti populaire ÖVP (26%), actuellement au pouvoir, et les sociaux-démocrates SPÖ (21%). La participation du FPÖ à une future coalition gouvernementale reste cependant très incertaine.

BUDGET La Commission européenne a accordé un délai supplémentaire au gouvernement français pour soumettre son projet de plan budgétaire pour 2025 et un plan structurel à moyen terme, qui détaille les objectifs budgétaires et les réformes prioritaires. 

L’échéance a été repoussée du 20 septembre au 15 octobre, à la demande de plusieurs États membres. Paris est par ailleurs déjà la cible d’une procédure pour déficit excessif, comme six autres pays de l’UE. Le déficit français s’élève actuellement à 5,6% du PIB, et pourrait dépasser 6% en 2025.

COMMERZBANK  Coup de tonnerre dans le secteur bancaire. Sous réserve du feu vert de la BCE, la banque italienne UniCredit pourrait bientôt détenir environ un tiers des parts de Commerzbank, la deuxième banque d’Allemagne.

Début septembre, le gouvernement décide de mettre en vente une partie des parts détenues par l’État allemand dans Commerzbank, dont il est le principal actionnaire.

L’irruption fulgurante d’UniCredit au capital de Commerzbank a pris le gouvernement de court. La banque italienne a acheté 4.5% des titres début septembre, avant de révéler qu’elle avait déjà acheté une part similaire sur les marchés, cumulant une participation de 9%. La semaine dernière, UniCredit a annoncé avoir acquis une part additionnelle de 11,5% via des instruments financiers. 

Sous réserve de l’accord de la Banque centrale européenne (BCE), UniCredit a annoncé son intention d’acquérir jusqu’à 29,9% des parts. 

La BCE doit donner son accord lorsqu'une personne morale ou physique souhaite acquérir plus de 10% des parts d’une banque. L'objectif est de s’assurer que l’acquéreur présente la solidité financière requise et que la banque continuera à satisfaire aux exigences prudentielles. La BCE doit à nouveau donner son accord lorsqu’un actionnaire dépasse 20%, 30% et 50% des parts. 

Olaf Scholz s’est positionné contre la stratégie d’UniCredit, qu’il juge “inamicale” et “hostile”. Le gouvernement allemand a d’ailleurs déclaré qu’il ne céderait pas le reste des ses actions (12%) conformément au plan initial. 

Berlin craint notamment qu’UniCredit ne rende les conditions de prêt aux entreprises moins avantageuses, affectant le Mittelstand, tissu de PME allemandes très innovantes dont Commerzbank est le premier prêteur.

Le timing est intéressant : dans son récent rapport, Mario Draghi estime qu’une consolidation du secteur bancaire pourrait permettrait de réduire le coût du capital et de renforcer le positionnement des acteurs européens du secteur financier sur le marché mondial. Le gouvernement allemand est accusé de faire passer les intérêts nationaux avant l’intérêt commun européen.


Nos lectures de la semaine

  • Martin Wolf dans le FT et Andrew McAffee dans sa newsletter The Geek Way soutiennent que l'excès de réglementation est un frein majeur pour l'économie européenne. 

  • Kamil Sekut et J. Scott Marcus (pour Bruegel) et Oscar Guinea et Oscar du Roy (pour l'ECIPE) montrent que la machine réglementaire européenne poursuit sa marche vers une complexité toujours plus grande. 


Cette édition a été préparée par Augustin Bourleaud, Noé Piloquet, Chloé Joubert, Antoine Langrée, Lidia Bilali et Maxence de La Rochère. À la semaine prochaine !