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Par Augustin Bourleaud
8 nov. · 6 mn à lire
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Défense européenne : où en est-on ?

Ce que le rapport Niinistö dit de l'état de la défense européenne • Mais aussi — Mercosur, Pharma, Allemagne


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Si vous l’aviez manqué 

  • Les émissions de gaz à effet de serre ont baissé de 8,3% au sein de l’UE en 2023, surtout grâce aux renouvelables, selon un rapport publié le 31 octobre.

  • Les droits de douane européens sur les véhicules électriques chinois sont entrés en application le 30 octobre. Les tarifs douaniers vont de 7,8% pour Tesla à 17% pour BYD et 35,3% pour SAIC. Ils s'appliqueront pendant 5 ans et s’ajoutent aux droits standards de 10% sur les importations de voitures au sein de l’UE.

  • Le parquet européen enquête sur le financement de la campagne électorale de 2019 de Manfred Weber, leader du Parti populaire européen, selon Politico.


Le Briefing

Le 30 octobre, l’ancien président finlandais Sauli Niinistö a remis à Ursula von der Leyen son rapport sur la préparation civile et militaire de l’UE face aux crises. En matière de défense, le rapport tire la sonnette d’alarme, mais les Etats membres sont divisés sur la direction à emprunter, notamment en matière de financement.

Sauli Niinistö a été président de la Finlande pendant de 2012 à 2024  © Commission européenne

AU RAPPORT En mars, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, demandait à Sauli Niinistö — qui venait de finir son dernier mandat en tant que président de la Finlande — d’écrire un rapport sur la préparation de l’UE en matière civile et militaire.

Cette demande n’est pas anodine : c’est la Finlande qui a mis sur la table l’idée d’une stratégie européenne de préparation aux crises — climatiques, sanitaires, économiques, ou encore militaires — au début de l’année 2024.

Pour des raisons historiques, la Finlande a mis la sécurité au cœur de son organisation politique et sociale. Le pays partage une frontière avec la Russie — à laquelle elle a cédé 11% de son territoire pendant la Seconde guerre mondiale. La Finlande dispose d’un service militaire obligatoire, et il est recommandé aux citoyens d’avoir de quoi survivre en autosuffisance pendant 72 heures en cas de crise — Niinistö propose d’ailleurs d’étendre cette recommandation à l’ensemble de l’UE.

Fidèle à la conception finlandaise de préparation aux crises, le rapport insiste à la fois sur l’importance de la préparation civile et militaire — les inondations en Espagne rappellent les risques sécuritaires liés à des enjeux non militaires. 

Niinistö appelle l’UE à consacrer 20% de son budget à la sécurité et la préparation des crises, au sens large du terme. 

DÉFENSE En matière de défense, le constat est alarmant. 

Si la plupart des pays européens dépassent à présent le minimum de 2% du PIB alloués à la défense — comme exigé par l’OTAN — les investissements des 27 restent extrêmement fragmentés.

80% des investissements nationaux en défense sont cantonnés au territoire de chaque Etat membre. En parallèle, l’UE est de plus en plus dépendante de pays tiers : comparé à la période 2014-2018, les pays européens ont presque doublé leurs importations d’armes depuis l’étranger entre 2019 et 2023 — et plus de la moitié de ces importations proviennent des Etats-Unis.

Le constat n’est pas nouveau. Il y a 15 ans, les Etats membres s’accordaient pour consacrer 35% de leurs investissements militaires à des achats et investissements communs. L’objectif n’a pas été atteint : ces investissements n’ont quasiment jamais dépassé les 20%.

Dans leurs rapports respectifs sur le marché intérieur et la compétitivité, Enrico Letta et Mario Draghi ont également tiré la sonnette d’alarme.

FINANCEMENT Lors du Conseil européen de juin, Ursula von der Leyen déclarait que 500 milliards d’euros d’investissements à l’échelle européenne seraient nécessaires pendant les 10 prochaines années. Pour mettre les choses en perspectives : les Etats membres ont individuellement dépensé un total de 240 milliards d’euros en défense en 2022.

En matière de financement, deux solutions s’offrent aux Etats membres : (i) de nouvelles contributions nationales au budget de l’UE ou (ii) un nouvel emprunt commun, comme cela a déjà été fait avec Next Generation EU durant l’épidémie de Covid. L’Allemagne et les Pays-Bas sont opposés à cette deuxième option, tandis que la France y est favorable.

Niinistö n’évoque pas d’emprunt commun en matière de défense — le rapport est d’ailleurs plutôt timide sur les aspects financiers. Il appelle cependant à ne pas attendre le prochain budget de long terme de l’UE (cadre financier pluriannuel, pour les intimes), qui débutera en 2028, pour augmenter les contributions des Etats membres sur les sujets de défense. Actuellement, seulement 1% du budget de long terme 2021-2027 est consacré à la défense.

Le rapport salue l’action de la Banque européenne d’investissement (BEI), qui a modifié ses règles en matière de financement des biens et infrastructures à double-usage (civil et militaire). Jusqu’à présent, la BEI ne pouvait financer ces biens et infrastructures qu’à la condition que l’usage civil soit majoritaire face aux applications militaires.

OTAN Niinistö appelle à renforcer la capacité de l’UE à coopérer avec l’OTAN — 23 États membres de l’UE sur 27 en font partie, la Finlande et la Suède ayant rejoint l’alliance respectivement en 2023 et 2024.

Le président finlandais insiste sur le fait que l’OTAN reste la colonne vertébrale de la défense collective. Il soulève un point sensible : d’un côté, les Etats-Unis critiquent l’UE pour son manque d’investissement en matière de défense ; de l’autre, Washington souhaite que le centre de gravité de la défense européenne reste transatlantique.

Ces inquiétudes ont été évoquées par l’ancien secrétaire général de l’OTAN, le Norvégien Jens Stoltenberg, qui a averti sur un risque de duplication des efforts de l’OTAN du côté de l’UE. “Ce que l'UE ne doit pas faire, c'est commencer à mettre en place des structures de défense alternatives”, déclarait-t-il en septembre.

CIA L’une des propositions du rapport Niinistö concerne la coopération en matière de renseignement. Une version antérieure du rapport, obtenue par Bloomberg, appelait à la création d’un véritable service de renseignement européen. La version finale du rapport ne parle que de coopération — une proposition plus réaliste.

WHAT NEXT Le rapport de Sauli Niinistö est moins percutant que celui de ses homologues Enrico Letta et Mario Draghi : le diagnostic qu’il établit sur les questions de défense est déjà connu, et les propositions mises en avant sont pour la plupart déjà discutées.

Pour la première fois, l’UE va se doter d’un commissaire à la défense et à l’espace : Ursula von der Leyen a nommé le lituanien Andrius Kubilius à ce poste — sa nomination doit encore être validée par le Parlement européen, tout comme celle des 25 autres commissaires. 

Le rapport Niinistö est mentionné dans la lettre de mission du commissaire-désigné — lettre au sein de laquelle von der Leyen confie au futur commissaire : la rédaction d’un livre blanc sur le futur de la défense européenne d’ici le printemps prochain ; la mise en place d’une stratégie européenne de défense (présentée en mars 2024) et, dans ce cadre, l’adoption du programme européen pour l'industrie de la défense (qui mobilisera 1,5 milliards d’euros du budget de l’UE entre 2025 et 2027) ; ou encore la mise en place de projets de défense d’intérêt européen commun, comme un bouclier aérien européen.


Partenariat avec le Brussels Sustainability Club

Le Brussels Sustainability Club recevait mercredi 30 octobre Kamil Maj, conseiller auprès de la présidente du Parlement européen Roberta Metsola. La conversation, modérée par Stefano Miriello (Carbon Capture and Storage Association), a porté sur les priorités politiques de cette nouvelle assemblée, les auditions des commissaires désignés devant le Parlement, et ce à quoi il faut s’attendre en matière de législation environnementale pour le prochain mandat. What’s up EU était partenaire média de l'événement. 


Inter Alia

MERCOSUR Les négociations entre l’UE et le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay et plus récemment la Bolivie) connaissent un nouveau rebondissement, qui pourrait déboucher sur un accord entre les deux blocs — après plus de 20 ans de négociations.

Le commissaire européen sortant au commerce, Valdis Dombrovskis, s’est entretenu le 23 octobre dernier avec les ministres argentins et brésiliens en marge du sommet du G20 à Brasilia, ouvrant la voie à un accord potentiel d’ici la fin de l’année 2024. Son déplacement fait suite à l’appel de onze chefs d’État européens en septembre dernier d’accélérer les négociations.

L’accord doit être adopté par le Conseil à la majorité qualifiée, après approbation du Parlement. 

La France, opposée à la conclusion de l’accord pour des raisons liées à l’environnement et à la protection de ses agriculteurs, ne semble plus en mesure d’exercer une minorité de blocage au sein du Conseil — plusieurs pays ont changé leur fusil d’épaule, en raison d’une croissance économique européenne atone et d’une quête d’influence en Amérique latine, notamment en vue de diversifier les chaînes d’approvisionnement.

La France défend l’insertion de clauses miroir en matière environnementale, notamment pour protéger les agriculteurs européens d’une concurrence déloyale. Ces clauses sont jugées comme inacceptables par plusieurs pays du Mercosur, notamment le Brésil. Récemment, le choix par la Commission européenne de repousser d’un an l’entrée en vigueur du règlement sur la déforestation a permis d’apaiser les tensions

La FNSEA, principal syndicat agricole français, a déjà appelé à une mobilisation dès le 15 novembre prochain et se dit également prête à manifester à Bruxelles. Sophie Primas, ministre déléguée au commerce, a déclaré que la conclusion d’un accord sans feu vert de la France serait une “erreur politique”.

PHARMA Jeudi 31 octobre, la Commission a infligé à Teva, le plus grand producteur de médicaments génériques au monde, une amende de 462.6 millions d'euros pour abus de position dominante. 

Le médicament vedette de l’entreprise, appelé Copaxone, traite la sclérose en plaques. Le Copaxone contient un ingrédient actif sur lequel Teva détenait un brevet jusqu’en 2015. Teva est accusé de deux comportements abusifs, ayant eu pour objectif de retarder l’entrée de concurrents sur le marché.

L’entreprise a artificiellement étendu la protection conférée par le brevet  en utilisant de manière abusive les procédures de l'Office européen des brevets (OEB). Elle a également réalisé une campagne de dénigrement systématique d’un nouveau médicament concurrent contenant le même ingrédient actif que Copaxone et dont la sécurité́, l’efficacité́ et l’équivalence thérapeutique ont été approuvées par les autorités sanitaires.

La Commission considère que ces deux pratiques, étendues sur une période de 9 ans, constituent une même infraction au sein des marchés concernés. Ce n’est pas la première amende que Teva reçoit au sein de l’UE : en 2020, l'entreprise a été condamnée pour pour s’être mise d’accord avec une autre entreprise sur les prix d’un médicament utilisé pour traiter la narcolepsie.

ALLEMAGNE La coalition gouvernementale allemande, composée des socialistes (SPD), des Verts et des libéraux (FDP), est en pleine débâcle. Les partis peinent à trouver un terrain d'entente, et les sondages sont alarmants : la coalition ne recueille plus que 30 % des intentions de vote. 

Les désaccords se sont cristallisés autour du budget, qui doit être adopté d’ici la fin de l’année et sur lequel les partenaires de coalition peinent à s’entendre. Si des divisions existent entre les trois partis, un gouffre s’est creusé entre le conservatisme budgétaire du FDP et les ambitions sociales et climatiques des SPD et des Verts.

Les tensions se sont intensifiées en octobre : le chancelier Olaf Scholz n’a invité ni Christian Lindner (ministre des finances, leader du FDP) ni Robert Habeck (ministre de l’économie, leader des Verts) à un sommet avec l’industrie. En réponse, ils ont organisé leurs propres réunions avec les représentants de l’industrie et fait leurs propres propositions.

La crise au sein de la coalition intervient dans un contexte économique difficile pour l’Allemagne, qui peine à relancer sa croissance. Volkswagen, l'un des plus grands employeurs du pays, a récemment annoncé la possible fermeture de trois usines et prévoit de licencier des milliers de salariés en Allemagne.

L'accumulation des tensions laisse présager une fin prématurée pour cette coalition, possiblement d’ici le printemps où des élections anticipées pourraient se tenir. La situation est particulièrement critique pour le FDP, qui risque de ne pas atteindre le seuil des 5 % requis pour siéger au Bundestag, ce qui l'exclurait de la représentation parlementaire.

Au niveau européen, la discorde outre-Rhin entrave l’émergence d’une position allemande solide sur des sujets clés. Alors que le rapport Draghi appelle à ce que des mesures ambitieuses soient adoptées pour renforcer la compétitivité, une Allemagne désunie rend la tâche fastidieuse. Plus tôt dans l’année, le FDP avait notamment bloqué l’adoption de la directive sur le devoir de vigilance des entreprises, alors même qu’un accord institutionnel avait déjà été trouvé, provoquant l’indignation à Bruxelles.


Nos lectures de la semaine

  • Deux lectures dans Politico. Clea Caulcutt et Eddy Wax se demandent si Stéphane Séjourné a la carrure pour succéder à Thierry Breton à la Commission européenne. Nicholas Vinocur avertit sur le fait que, quel que soit le vainqueur de la course à la Maison-Blanche, les Européens devront faire face au désintérêt croissant de l’Amérique pour l’Europe.


Cette édition a été préparée par Augustin Bourleaud, Antoine Langrée, Antoine Ognibene, Léopold Ringuenet et Maxence de La Rochère. À la semaine prochaine !