Bonjour. Nous sommes le 9 septembre, et voici votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn.
À suivre cette semaine : le rapport Draghi sur la compétitivité sera rendu public dans la journée ; mercredi, Ursula von der Leyen devrait présenter la liste des commissaires qu’elle a désignés, ainsi que leurs portefeuilles respectifs, à la Conférence des présidents du Parlement européen.
Vous travaillez dans le secteur de l’énergie à Paris et vous ne connaissez pas les Jeudis Énergie ? L’association organise son afterwork de rentrée le jeudi 10 octobre. On espère vous y retrouver nombreux. Plus d’informations ici et sur la page LinkedIn de l’association.
Le Briefing
Après d’interminables consultations, Emmanuel Macron a nommé Michel Barnier à Matignon. C’est la première fois qu’un homme politique passe du Berlaymont (siège de la Commission européenne, à Bruxelles) à Matignon.
Michel Barnier à la Commission européenne durant les négociations sur le Brexit © Commission européenne, 2017
RENTRÉE BUDGÉTAIRE • La tâche ne sera pas facile. Première urgence : trouver une majorité susceptible de voter le budget pour l’année prochaine.
Le gouvernement doit présenter un projet de loi de finances au Parlement avant le 1er octobre.
Au niveau européen, la France a été placée cet été en procédure pour déficit excessif. Le prochain gouvernement devra présenter à la Commission européenne une “trajectoire descendante plausible” pour atteindre 60% de dette publique et 3% de déficit public. Le déficit public s'établit actuellement à 5,6% du PIB.
Le gouvernement français doit au plus tard le 20 septembre présenter un projet de plan budgétaire à moyen terme, qui prend compte des recommandations de la Commission. Le ministère de l’économie a demandé un délai supplémentaire à la Commission le 7 septembre.
INCERTITUDES • Faute d’accord de coalition à ce stade, il est trop tôt pour se prononcer sur la politique européenne du prochain gouvernement.
L’incertitude politique en France ne devrait pas perturber le processus de nomination de la prochaine Commission. Les orientations politiques d’Ursula von der Leyen pour son second mandat sont déjà fixées et prennent en compte de nombreuses demandes françaises. Thierry Breton demeure le candidat de la France pour le Berlaymont.
Une fois un gouvernement en place, les positions françaises au Conseil de l’UE seront sujettes à un accord de coalition (encore hypothétique). L’Assemblée nationale aura donc son mot à dire sur la politique européenne de la France. Ce sera une chose inédite pour un pays de culture majoritaire, peu habitué à ce que ses désaccords internes ne fassent irruption sur la scène européenne.
Cohabitation ou “coexistence exigeante” ? Michel Barnier entend bien avoir les coudées franches pour déterminer et conduire la politique de la Nation, sans interférence de l’Elysée. Difficile cependant d’imaginer un Emmanuel Macron qui n’essaie pas de peser sur les dossiers européens depuis le Conseil européen où le président la République siège.
BARNIER L'EUROPÉEN • Bien connu à Bruxelles, Michel Barnier s’est forgé l’image d’un homme de dialogue et de compromis au sein de l’establishment européen. Présenté comme “le plus européen des politiques français”, il a consacré une grande partie de sa carrière à l’Union européenne.
Il a été ministre délégué aux affaires européennes (1995-1997). Il a siégé et négocié dans de nombreuses formations du Conseil de l’Union européenne en tant que ministre français de l’environnement (1993-1995), des affaires étrangères (2004-2005), ou de l’agriculture (2007-2009).
Il a été élu député au Parlement européen. Il n’y a siégé que six mois, avant sa nomination à la Commission européenne en 2010. Il était alors président de la délégation française du Parti populaire européen (PPE).
Il a été deux fois commissaire européen : à la politique régionale (1999 à 2004) sous la présidence de Romano Prodi ; et ensuite au marché intérieur et aux services financiers (2010 à 2014) en pleine de crise de la zone euro sous la présidence de José Manuel Barroso. Il y a recruté Olivier Guersent comme directeur de cabinet, lequel est aujourd’hui directeur général de la Concurrence.
Enfin, Barnier a été négociateur en chef du Brexit entre 2016 et 2021. Il avait alors rang de directeur général et rapportait directement aux présidents Juncker puis Von der Leyen. Il s’était entouré d’une task force d’une soixantaine de hauts fonctionnaires européens.
THE ART OF THE DEAL • La “méthode Barnier” dans les négociations avec le Royaume-Uni a été largement saluée par les dirigeants européens.
Avec Michel Barnier, les lignes rouges étaient publiques, ce qui a renforcé la discipline au sein du bloc européen face aux tentatives britanniques d’amorcer des négociations bilatérales. Ses consultations avec les capitales des Vingt-Sept ont été appréciées partout en Europe.
“La cohésion des Vingt-Sept, la coordination stratégique et le levier du marché unique, déployés tout au long d’âpres négociations avec le Royaume-Uni, sont des atouts européens à investir sur d’autres fronts”, notait Elvire Fabry dans un billet en 2021 pour l’Institut Jacques Delors.
QUEL EUROPÉEN ? • Se définissant comme “patriote et européen”, Michel Barnier a construit sa carrière sur une ligne résolument pro-européenne. Il avait d’ailleurs été dans la course un temps pour devenir président de la Commission européenne en 2014.
Depuis les primaires de la droite pour la présidentielle de 2022, il a cependant adopté une ligne plus critique vis-à-vis de l’Union européenne. Il avait proposé que la France s’affranchisse des jugements de la CEDH et de la CJUE en matière migratoire avec un “bouclier constitutionnel” pour mettre un terme à l’immigration non-européenne pendant trois à cinq ans. Cela revenait à remettre en cause la primauté du droit européen sur le droit national, principe cardinal de la construction européenne.
Inter Alia
AGRICULTURE • Le 4 septembre, le rapport du dialogue stratégique sur l’avenir de l’agriculture européenne a été publié et remis à Ursula von der Leyen. Cette initiative avait été annoncée en septembre 2023 par la présidente de la Commission européenne, avec pour but de dépasser la polarisation des débats sur l’agriculture.
Après 8 mois de discussion à huis clos avec des acteurs de l’ensemble de la chaîne agroalimentaire, un rapport a été rendu à Ursula von der Leyen par le président du dialogue stratégique, le professeur Peter Strohschneider.
Les propositions contenues dans ce rapport d’une centaine de pages ne sont que des recommandations. Pour autant, en conférence de presse, Ursula von der Leyen a qualifié le rapport de véritable “guide” qui servira de base à de futures réformes — l’ancienne ministre allemande doit d’ailleurs proposer certaines de ces réformes dans les 100 premiers jours de son mandat (d’ici mars prochain).
Les auteurs du rapport appellent notamment à une réforme structurelle de la PAC et de la manière dont son budget de 387 milliards d’euros — qui représente un tiers du budget de long terme de l’UE — est dépensé.
L’une des mesures phares concerne la réforme des subventions aux agriculteurs : les auteurs appellent à ce que ces subventions soient désormais basées sur la viabilité économique des exploitations plutôt que sur leur superficie — un critère en vigueur dans la PAC depuis 1962. L’objectif est que l’argent aille en priorité aux “agriculteurs actifs qui en ont le plus besoin” et non aux exploitations les plus vastes.
ILLUMINA/GRAIL • Coup de tonnerre. Le 3 septembre, la Cour de justice de l’UE a jugé illégale l’interdiction par la Commission européenne de l’acquisition de GRAIL par Illumina (les deux entreprises américaines sont actives dans le domaine des tests de détection du cancer). C’est tout un pan de la politique européenne de concurrence qui se retrouve affecté par cette décision.
La Cour a jugé que la Commission n’est pas autorisée à “accepter le renvoi devant elle de projets de concentration dépourvus de dimension européenne par des autorités nationales de concurrence lorsque celles-ci ne sont pas compétentes pour examiner ces projets en vertu de leur propre législation nationale”.
La Commission ne pourra donc plus examiner les concentrations qui ont un impact important sur la concurrence mais ne remplissent pas les critères qui permettent de les examiner au niveau national ou européen.
Un peu de contexte : la Commission est compétente pour examiner des concentrations — et potentiellement les interdire — seulement lorsque ces dernières ont une “dimension européenne”. Cette dimension européenne est établie par des seuils liés au chiffre d'affaires des entreprises concernées.
Tous les États de l’UE (sauf le Luxembourg) disposent eux aussi de règles qui définissent quels types de concentration leur autorité nationale de concurrence peut examiner. Cependant, les concentrations qui disposent d’une dimension européenne — les plus grosses — sont examinées par la seule Commission, selon le principe du guichet unique.
En dessous des seuils européens, la Commission n’est en général pas autorisée à examiner les concentrations. Cependant, dans des cas précis, un projet de concentration peut tout de même être examiné par la Commission — c’est tout l’enjeu de l’affaire Illumina/GRAIL.
L’un de ces cas, défini à l’article 22 du règlement sur le contrôle des concentrations, permet à une ou plusieurs autorités de concurrence nationales de demander à la Commission d’examiner un projet de concentration qui n'est pas de dimension européenne mais qui “affecte le commerce entre États membres et menace d'affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des États membres qui formulent cette demande”.
En 1989, lorsque l’Union se dote pour la première fois d’un règlement permettant le contrôle des concentrations, cette possibilité est introduite pour permettre à des autorités dans des pays de l’UE qui n’ont pas de règles sur les concentrations (et qui ne sont donc pas compétentes pour les examiner au niveau national) de demander à la Commission d’examiner certaines concentrations.
Au fil des années, l’ensemble des États membres — sauf le Luxembourg — s’est doté de règles sur les concentrations. La Commission a donc progressivement découragé les autorités nationales de concurrence de faire des demandes de renvoi à la Commission lorsqu’elles n’étaient pas compétentes pour examiner une concentration.
En 2021, la Commission européenne a renversé cette pratique en déclarant qu’elle accepterait certains renvois provenant d’autorités non compétentes pour examiner une concentration.
Ce changement était la conclusion d’années de réflexion sur des potentiels lacunes dans l’application des règles sur les concentrations. En d’autres termes, la Commission craignait que des concentrations ayant un effet important sur le marché intérieur n’échappent aux règles européennes et nationales.
Ces concentrations, appelées killer acquisitions (acquisitions prédatrices) interviennent lorsqu’une entreprise bien établie dans un marché acquiert une autre entreprise beaucoup plus petite qu’elle — les seuils en chiffre d’affaires ne sont donc parfois pas atteints — mais très innovante. Dans les secteurs pharmaceutiques et du digital, ces acquisitions peuvent renforcer le pouvoir de marché de très grandes entreprises sans pour autant être capturées par le droit national et européen.
L’affaire Illumina/GRAIL est la première dans laquelle la Commission a mis en œuvre cette pratique. Aucune des six autorités de concurrence qui a demandé un renvoi devant la Commission n’était compétente pour examiner la concentration en vertu de son droit national. GRAIL ne réalisait aucun chiffre d'affaires au sein de l’UE (ni ailleurs).
La Commission a tout de même accepté d’examiner la concentration, l’a interdite (septembre 2022) et a même imposé une amende aux deux entreprises (juillet 2023) pour avoir consommé la transaction sans le feu vert de la Commission — 432 millions d'euros pour Illumina (et seulement 1 000 euros pour GRAIL).
Les entreprises ont porté plainte contre la Commission devant le Tribunal de l’UE, qui a validé la décision de la Commission d’accepter d’examiner la concentration. Elles ont fait appel, et cette fois-ci la Cour a annulé à la fois la décision du Tribunal, l’amende, la décision de la Commission d’accepter d’examiner la concentration, ainsi que la décision d’interdiction de la concentration.
L’amende va être remboursée par la Commission, et on peut s’attendre à ce qu’un recours en indemnité soit introduit devant le Tribunal de l’UE, ce qui mènera probablement la Commission à payer des dommages et intérêts.
La portée de cette décision est significative :
Dans son jugement, la Cour insiste sur l’importance de la sécurité juridique. Selon la Cour, c’est l’existence de seuils clairs qui confère au droit des concentrations sa prédictibilité.
C’est un revers important pour la Commission, qui va par ailleurs devoir trouver un autre moyen pour examiner les killer acquisitions : “Nous examinerons les prochaines étapes pour faire en sorte que la Commission soit en mesure d'examiner les quelques cas où une concentration aurait un impact en Europe sans atteindre les seuils de notification de l'UE”, a déclaré Margrethe Vestager, la commissaire à la concurrence, en réaction à la décision de la Cour.
Quelles sont les solutions qui s’offrent à la Commission ? La Cour en suggère plusieurs, comme celle de demander aux États membres de revoir leurs seuils à la baisse, ou encore celle d’engager une révision des seuils à l’échelle européenne.
Nos lectures de la semaine
Bruegel a publié la nouvelle édition de ses Mémos, qui présentent les propositions de politiques publiques du think tank aux futurs dirigeants de l'UE. Intitulée “Unite, defend, grow”, elle est éditée par Maria Demertzis, André Sapir et Jeromin Zettelmeyer.
Sam Fleming, du FT, et Jean Pisani-Ferry échangent sur les défis de la transition écologique, la menace persistante du protectionnisme américain, et la fragilité des finances publiques françaises.
Cette édition a été préparée par Augustin Bourleaud, Antoine Ognibene, Maxence de La Rochère et Nathan Münch. À la semaine prochaine !