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Par Augustin Bourleaud
11 juil. · 5 mn à lire
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Entretien avec Stanley Pignal, rédacteur de Charlemagne à The Economist

Rencontre avec le rédacteur de la chronique Charlemagne de The Economist. On parle de la France, du Royaume-Uni et de la vie d'un journaliste à Bruxelles.


Si vous préférez lire l’entretien dans la langue dans laquelle il a été conduit (Anglais), rendez-vous sur ce lien.


Nous rencontrons Stanley Pignal dans les bureaux de The Economist au International Press Centre (IPC). Le bâtiment se trouve boulevard Charlemagne, à deux pas du rond-point Schuman, dans le quartier européen. Stanley écrit Charlemagne — la chronique hebdomadaire sur les affaires européennes — depuis 2022.

Nous l'avions déjà croisé avec ses trois enfants en mai, dans la file d'attente pour visiter le bâtiment du Conseil européen pour la journée de l’Europe. “Ils étaient surtout intéressés par les bonbons qu'ils pouvaient obtenir auprès des différentes délégations nationales. C’est une très bonne astuce pour les intéresser à l'UE”, se souvient-il.

L'influence décroissante de la France en Europe

Notre entretien a lieu le lendemain du second tour des élections législatives anticipées en France. À l'approche des élections, la crainte à Bruxelles était que l'extrême droite puisse arriver au pouvoir en France. “Je pense qu'il y a un vrai sentiment de soulagement à Bruxelles, mais aussi la conscience que des combats se profilent. Et la manière dont tout cela va se dérouler n’est pas claire”, note-t-il.

La perspective d’une cohabitation difficile en France inquiète à Bruxelles. La France n'est pas connue pour sa culture du compromis et des alliances politiques. La question de la répartition des pouvoirs entre Président et Premier ministre sera donc scrutée de près.

Stanley note : “Macron restera un acteur clé. Par convention, le président français conserve un 'domaine réservé' des affaires étrangères et européennes. Il continuera à assister au Conseil européen. Mais j'ai parlé à beaucoup de gens qui n'ont aucune idée de ce à quoi pourrait ressembler une cohabitation. L'attention va maintenant se porter sur la répartition du pouvoir entre le gouvernement français et le Président français. Beaucoup de réunions du Conseil de l'UE préparent les réunions du Conseil européen. Et si celles-ci sont menées par des personnes qui ne s'entendent pas nécessairement, les choses vont se compliquer.”

Après avoir porté de nombreux projets au niveau européen, Emmanuel Macron devra sans doute revoir ses ambitions à la baisse, par réalisme politique.

“Je pense que le résultat final sera probablement une diminution de l'ambition de la France à l’échelle de l’UE. Dans la relation franco-allemande, la France est le moteur qui propose des idées. Et puis l'Allemagne décide quelles idées elle peut ou ne peut pas accepter — l'emprunt commun en est l'exemple classique. Si vous arrêtez d'avoir cette machine à générer des idées venant de Paris, aurez-vous encore des réponses ambitieuses aux crises ? Bien sûr, il n’y a que le Président qui peut proposer des idées ambitieuses, mais il va certainement y avoir une inquiétude ici à Bruxelles que le niveau d'ambition de la France — et donc de l'Europe — soit quelque peu diminué.”

Le résultat des élections françaises est une déception pour Viktor Orbán, dont le pays a pris début juillet la présidence tournante du Conseil de l’UE. “Il aurait espéré avoir de nombreux alliés du RN au Conseil — pas le Conseil européen, mais les réunions du Conseil de l'UE”, analyse Stanley. “Si la France avait eu un gouvernement d'extrême droite après les élections, il aurait pu y avoir une minorité de blocage, même dans les dossiers où le vote est à la majorité qualifiée, avec l'Italie, la France, la Hongrie, les Pays-Bas et la Slovaquie.”

L’arrivée de Keir Starmer au 10 Downing Street

De l'autre côté de la Manche, le parti travailliste a remporté les élections avec une confortable majorité. Il n'y a pas si longtemps (en septembre 2023), son leader Keir Starmer avait des projets ambitieux pour reconstruire les liens avec l'UE. Ceux-ci incluaient notamment la renégociation de l'accord de libre-échange post-Brexit, le Trade and Cooperation Agreement (TCA).

Les ambitions de Starmer semblent désormais être plus modestes, mais aussi plus réalistes. L'UE avait montré peu d’enthousiasme pour une révision substantielle du TCA. Niveau commerce, le Labour a maintenant l'intention de se concentrer sur des ajustements techniques : accords sur les normes vétérinaires, qualifications professionnelles, et mobilité.

Les orientations stratégiques de l’UE sont moins claires. “Les priorités du Royaume-Uni sont toujours plus claires que les priorités européennes pour deux raisons”, affirme Stanley. “La première est qu'ils pensent plus à nous que nous ne pensons à eux. Pour le Royaume-Uni, la relation avec l'Europe est existentielle. C'est de loin le plus grand partenaire commercial, et le Brexit a secoué à la fois l'économie et la politique britanniques. Par conséquent, les Britanniques pensent beaucoup à l'UE, alors que l'UE est plus ou moins passée à autre chose après l'accord de Windsor. Et la deuxième raison est que les 27 capitales nationales et les institutions à Bruxelles ont toutes des vues légèrement différentes sur le Royaume-Uni.”

“Je pense que ce que nous avons sur la table en ce moment est le plus ambitieux du moins ambitieux. Nous n'avons pas une conversation plus large sur un accord commercial plus ambitieux. Je ne vois pas pourquoi Keir Starmer utiliserait son capital politique pour cela”, ajoute-t-il.

La prochaine réunion de la Communauté politique européenne (CPE) — un forum créé après l'invasion de l'Ukraine par la Russie où les dirigeants européens, y compris le Royaume-Uni et la Turquie, discutent de coopération — aura lieu au Royaume-Uni le 18 juillet. Les dirigeants se réuniront au palais de Blenheim, lieu de naissance et résidence historique de Winston Churchill.

“La CPE est une excellente opportunité pour Starmer de s'ancrer à nouveau en Europe. La CPE a toujours été une étrange créature. Elle est vraiment centrée sur les dirigeants européens et n’a pas toutes les discussions qui mènent à un communiqué commun et à la création de substance — ce que vous avez dans les autres réunions européennes. C'est vraiment une sorte de 'get-to-know-you'. C'est utile d'être dans la même pièce que tous ces autres dirigeants européens. Mais soyons honnêtes, la CPE a été un peu reléguée à la marge des sommets de l'UE et de l'OTAN.”

“Je pense que Starmer a une approche différente de celle de Sunak”, ajoute Stanley. “Il cherchera probablement à avoir un agenda un peu plus large, plus large que simplement le sujet des migrations.”

Rendre l’Union européenne intelligible

Une chose que nous apprécions au sein de la chronique Charlemagne est l'équilibre entre la technicité inhérente aux affaires européennes et la hauteur de vue. Cet équilibre est crucial lorsqu'on écrit pour un lectorat mondial comme celui de The Economist. Dans le bureau de Stanley, nous remarquons l'excellent livre d'Ashoka Mody, “Euro Tragedy” (2018) mais aussi un épais manuel de droit européen.

“Une des grandes difficultés lorsque l’on traite de l'UE est d'abord de la comprendre soi-même, ce qui n'est pas simple, puis de trouver des moyens de la rendre compréhensible pour les lecteurs, dont certains connaissent bien les principes de codécision, de trilogues, et d'autres pas du tout (ou s'en fichent). Si vous écrivez pour un public mondial, vous devez vraiment faire un gros effort pour traduire des décisions techniques, pleines de jargon, en : ‘Pourquoi devrais-je m'en soucier ? Pourquoi est-ce important au-delà de Bruxelles ?’”

Les institutions européennes sont caractérisées par leur polycentrisme. 700 députés européens, les fonctionnaires de la Commission, les représentations permanentes des Etats membres — et autant d’opinions et intérêts à défendre. “Un des contrastes clés de Bruxelles avec les capitales européennes est qu'il y a tellement de personnes à qui parler sur le même sujet que vous ne pourrez jamais vous faire assez d’ennemis pour que ça vous mette dans le pétrin en tant que journaliste. Alors que si vous êtes un journaliste qui couvre le ministère des finances en Allemagne, et que vous avez des mauvaises relations avec les 5 principaux responsables là-bas, vous êtes cuit.”

Cependant, “l'inconvénient d'être à Bruxelles est que, pour en comprendre le sens, vous devez passer beaucoup de temps ailleurs”, ajoute Stanley. “Vous n'allez voir qu'une image très partielle de l’UE si vous ne traînez que dans des endroits comme la Place du Luxembourg, le Berlaymont, et les sommets européens. Il est très important de se rendre dans les capitales européennes (mais aussi hors des capitales) pour avoir une idée de ce qui s'y passe.”

“Couvrir l'UE est un drôle de travail parce que ce n'est pas tout à fait un poste à l'étranger, mais ce n'est pas non plus tout à fait un poste national”, résume Stanley. “Vous avez des éléments de couverture nationale similaires à un correspondant national qui couvrirait Westminster, l'Élysée ou la Chancellerie allemande".

Sur le journalisme et la vie à Bruxelles

Nous demandons à Stanley s'il a des conseils en matière d’écriture. “Le seul conseil que je donnerais est si vous pouvez obtenir (ou vous donner) une deadline le matin plutôt que le soir. Pour moi, c'est crucial. Ma deadline est à 11h00 le mercredi matin. Cela signifie que je peux écrire l'essentiel d'un article le mardi après-midi ou le mardi soir, puis y revenir le lendemain matin pour le finaliser. Et ça fait toute la différence.”

Stanley est seul à rédiger Charlemagne. Mais son travail est tout sauf un travail solitaire. “J'ai l'énorme avantage d'avoir, au sein de The Economist, un réseau de personnes qui vont éditer, lire et donner leur avis sur les articles (...) Ce n'est pas un travail que quelqu'un peut faire seul. Si vous la jouez solitaire, vous risquez de vous méprendre sur l'importance que vous attribuez aux événements, ou alors vous risquez de ne pas avoir pas la confiance suffisante pour attribuer de l'importance à certains événements qui pourraient sembler mineurs au premier coup d’oeil.”

Stanley a déjà vécu à Bruxelles, lorsqu’il couvrait la crise de la zone euro pour le Financial Times. Il a retrouvé la capitale européenne en 2022 après avoir vécu à Paris, Mumbai et Londres. “La meilleure chose à propos de Bruxelles, ce sont les gens. Et voilà ce que je dis aux collègues qui envisagent de déménager à Bruxelles : comment vous sentiriez-vous d’aller à un cocktail et de tomber sur le vice-ambassadeur italien qui veut vous parler de réglementation alimentaire ? Si la situation vous semble cauchemardesque, évitez Bruxelles. Mais si vous vous dites, 'oh, je pourrais apprendre quelque chose d’intéressant', alors venez à Bruxelles. (...) L'UE est un ensemble fascinant d'institutions. Vous apprenez de nouvelles choses chaque jour, et vous les apprenez en rencontrant constamment de nouvelles personnes. La pire chose à propos de Bruxelles, ce sont les dimanches. Ils sont trop calmes.”

Côté gastronomie, Stanley a ses habitudes chez Casa Italiana, rue Archimède. On peut aussi le croiser au Jardin du Sommelier, rue Stevin. Une chose qui dérange Stanley plus que l'utilisation excessive d'oignons frits dans les restaurants belges est le ratio entre le prix des entrées et des plats principaux. “Une chose qui me dérange depuis plus d'une décennie est le ratio du prix d'une entrée par rapport à un plat principal à Bruxelles. Ailleurs, ce ratio est à peu près le même. Vous allez au restaurant et si l'entrée est à 14€, le plat principal sera autour de 22€. Mais en Belgique, ce ratio est pratiquement de 1 pour 1. Et je n'arrive pas à comprendre pourquoi ce ratio est si différent.”

Si vous avez une réponse à cette question, n'hésitez pas à nous écrire à contact@whatsupeu.co