Mais aussi – Censure, Roumanie, Déforestation.
Bonjour. Nous sommes le 9 décembre et voici votre condensé utile d’actualité européenne.
A la rentrée, What’s up EU va proposer des évènements pour donner la parole à ceux qui font et pensent l’Union européenne. Mais avant ça, on vous donne la parole.
Après 25 ans de discussions, la Commission européenne a finalisé ses négociations en vue d’un accord de libre échange avec les pays du Mercosur, malgré l’opposition de la France. Emmanuel Macron a d’ailleurs qualifié la conclusion de cet accord d’inacceptable.
Pour autant, rien n’est certain : l’aboutissement des négociations avec les pays du Mercosur marque le début d’un processus d’adoption semé d’embûches.
Ursula von der Leyen, accompagnée de Javier Milei, Luis Alberto Lacalle Pou, Luiz Inácio Lula da Silva, et Santiago Peña © Commission européenne 25 ANS • Les négociations sur un accord de libre-échange avec le Mercosur ont débuté en 1999. Suspendues à de multiples reprises, elles avaient débouché sur un premier accord politique en 2019, par la suite mis de côté, notamment en raison de la destruction de l’Amazonie sous Jair Bolsonaro.
Les négociations ont repris avec l’arrivée au pouvoir de Lula en 2022, se concluant le 6 décembre 2024 avec un nouvel accord politique entre la Commission européenne et les dirigeants du Mercosur.
La Commission européenne dispose — sauf exception — d’une compétence exclusive pour la négociation d’accords internationaux.
Le Conseil de l’UE dispose d’un rôle central : il est celui qui confie à la Commission le mandat de négociation. Après la conclusion d’un accord politique, c’est au Conseil que revient la décision finale de conclure l’accord après un vote du Parlement européen.
Lorsqu’il s’agit d’accords mixtes (qui couvrent des domaines de compétence des Etats membres), une ratification à l’échelon national par chacun des Etats membres est requise.
CONTENU • L’accord conduirait à l'élimination progressive des droits de douane sur 91% des biens exportés par l’UE vers le Mercosur.
Les exportations de voitures, vin et chocolat vers le Mercosur sont actuellement taxées à hauteur de 35%, 27% et 20% respectivement. Les droits de douane concernant les exportations du Mercosur vers l’UE seront également progressivement supprimées sur 92% des biens.
Parmi les fervents défenseurs de l’accord, on compte l’Allemagne, l’Espagne, ou encore la Suède. Côté allemand, les difficultés de l’industrie — notamment automobile — rendent la conclusion de cet accord vital.
Compte tenu des tensions commerciales avec la Chine et les Etats-Unis, nombreux sont ceux qui appellent à une diversification des échanges commerciaux de l’UE, notamment pour sécuriser l’approvisionnement européen en matériaux stratégiques en provenance de cette région.
OPPOSITION • La France est fermement opposée à la conclusion de cet accord. Elle tente de rallier une minorité de blocage au sein du Conseil, où le vote a lieu à la majorité qualifiée. La Pologne fait figure d’allié clé.
L’opposition concerne principalement le secteur agricole. Paris et Varsovie craignent que leurs agriculteurs ne parviennent pas à concurrencer les produits en provenance du Mercosur, et que les importations ne soient pas soumises à des exigences environnementales aussi élevées que les produits européens.
Lors du Conseil européen du 17 octobre, Emmanuel Macron avait à nouveau demandé que l’accord “respecte” les engagements de la COP21 et que clauses miroirs sur les normes environnementales soient introduites
Mais pour Paris, le vent semble avoir tourné : en janvier, alors qu’un accord était proche, Emmanuel Macron était parvenu à convaincre Ursula von der Leyen de ne pas aller au bout des négociations. Le rapport de force était différent : l’Allemande avait besoin du soutien du président français pour être reconduite à la tête de la Commission européenne.
La situation actuelle est tout autre. Alors qu’Emmanuel Macron est affaibli au niveau national, Ursula von der Leyen a été reconduite en juillet et son collège des commissaires — au sein duquel elle est plus influente que jamais — a récemment été approuvé par le Parlement.
CE N’EST PAS FAIT • Tout repose maintenant sur les étapes menant à l’adoption de l’accord.
Le texte va à présent être traduit dans toutes les langues officielles de l’UE. La Commission présentera ensuite une proposition d’accord au Conseil et au Parlement : la forme que prendra cette proposition sera cruciale.
Lorsqu’un accord international concerne des compétences exclusives de l’UE (politique commerciale, union douanière, etc), il est conclu par le Conseil, qui, après avoir recueilli l’accord du Parlement (sauf exception), adopte l’accord en votant à la majorité qualifiée.
Lorsqu’un accord international touche à des compétences partagées (protection des investissements, propriété intellectuelle, etc), le texte doit non seulement être adopté à l’unanimité par le Conseil, mais les Etats membres doivent également ratifier l’accord individuellement, en suivant leur propre procédure de ratification au niveau national (cela implique généralement un vote des Parlements nationaux).
L’accord UE-Mercosur est un accord “mixte” car il touche à la fois à des compétences exclusives et à des compétences partagées.
La Commission dispose donc de deux options :
Soit elle le soumet en entier au Conseil et au Parlement, ce qui implique que (i) le Conseil devra l’adopter à l’unanimité et (ii) l’ensemble des Etats membres le ratifier au niveau national.
Soit — et tout laisse penser que c’est ce qu’elle apprête à faire — elle scinde l’accord en deux, et soumet séparément la partie purement commerciale (qui comprend notamment droits de douane et quotas à l’importation), liée à des compétences exclusives, au Conseil et au Parlement. Seule une majorité qualifiée au sein du Conseil serait donc requise.
Le cœur de l’accord pourrait être ainsi adopté à la majorité qualifiée au Conseil — privant la France d’un droit de véto — et sans ratification au niveau national — en France, environ 90% des députés et 97% des sénateurs sont contre la ratification de l’accord.
BLOCAGE ? • Dans ce cas de figure, la France pourrait seulement parvenir à bloquer l’accord uniquement si elle constitue une minorité de blocage en ralliant au moins trois autres États membres à sa cause et qu’ils représentent ensemble 35% de la population de l’UE (conformément aux règles du vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil).
Difficile de dire si cette minorité se constituera. Le premier ministre polonais Donald Tusk semble prêt à voter contre le texte. Le gouvernement italien a récemment exprimé des réserves sur l’accord, notamment en raison des impacts sur le secteur agricole, mais le vote final de Giorgia Meloni reste incertain.
Partenariat commercial avec InterBev
L’agriculture occupe une place centrale dans les négociations passionnées sur le Mercosur, et à juste titre. Avec Agriculture Circulaire, on parle d’une agriculture dans laquelle le végétal nourrit l’animal et inversement en plaçant l’élevage herbager au cœur de la réflexion. Le site donne la parole aux agriculteurs, éleveurs, géographes, sociologues, historiens qui font et pensent l’agriculture de demain.
FRANCE • La valse continue. Pour la 3e fois cette année, la France attend la nomination d’un nouveau gouvernement.
Dans ces moments, les ministres démissionnaires continuent de voter au nom de la France au sein du Conseil de l’UE. Il n’y a donc pas de risque que la France n’ait pas voix au chapitre si un vote (par exemple sur le Mercosur) devait intervenir sans qu’un nouveau gouvernement ait été nommé.
Les effets de l’instabilité politique française portent un coup à sa crédibilité, notamment sur le plan budgétaire. Il en est de même de l’autre côté du Rhin, où la chute de la coalition et les élections à venir rebattent les cartes.
Le moteur franco-allemand a calé, et ce au plus mauvais moment : guerre en Ukraine et troubles au Moyen Orient, arrivée à la Maison Blanche de Donald Trump, pour ne citer que quelques sujets.
Si cette situation affaiblit fortement le Président Macron, il peut compter sur le groupe Renew dirigé par la française Valérie Hayer, qui joue un rôle important au Parlement européen.
ROUMANIE • Le 6 décembre, à seulement deux jours du second tour de l'élection présidentielle roumaine, la Cour constitutionnelle a pris la décision d’annuler “l’intégralité du processus électoral” en raison de soupçons d'ingérence russe. Le premier tour de l’élection avait vu le candidat prorusse Calin Georgescu, arriver en tête.
Cette décision a été prise au lendemain de la déclassification de documents du Conseil suprême de défense nationale par le président roumain sortant Klaus Iohannis, révélant que des campagnes de désinformation massives auraient été orchestrées par la Russie pour influencer le scrutin.
Ces documents indiquent qu’environ 25 000 comptes TikTok pro-Georgescu ont soudainement été activés deux semaines avant le premier tour.
Au lendemain du premier tour, les autorités roumaines avaient demandé à la Commission européenne d’enquêter sur des potentiels manquements de TikTok à ses obligations dans le cadre Digital Services Act (DSA) — ce règlement oblige TikTok à prendre des mesures pour empêcher les manipulations d’information.
La Commission a fait une demande d’information au réseau social, avant d’émettre, le 5 décembre, une “injonction de conservation” à son encontre : la plateforme doit préserver un certain nombre de données liées aux risques de désinformation, y compris des documents internes, et ce pour l’ensemble des élections de l’UE jusqu’au 31 mars 2025.
Cette mesure vise à permettre à la Commission européenne d’avoir accès à toutes les informations nécessaires en cas d’enquête contre TikTok. En cas de non-conformité avérée à l’issue d’une enquête, la Commission européenne peut infliger des amendes allant jusqu’à 6% du chiffre d'affaires (plus de détails ici).
La date des nouvelles élections n’a pas encore été déterminée.
DÉFORESTATION • Le 3 décembre dernier, le Conseil de l’UE et le Parlement sont parvenus à un accord pour retarder l’entrée en vigueur du règlement sur la déforestation d’un an, au 30 décembre 2025.
Ce délai vise à laisser plus de temps aux entreprises pour s’adapter au règlement, qui exige que les producteurs de cacao, café, huile de palme, bétail, caoutchouc, soja et bois prouvent que leurs produits sont 100% “zéro-déforestation”.
Depuis plus d’un an, l’UE est sous le feu des critiques de ses partenaires commerciaux, qui l’accusent d’avoir produit un règlement trop ambitieux. Le 2 octobre, la Commission européenne avait donc proposé d’accorder un délai supplémentaire, ce sur quoi le Parlement et le Conseil viennent de trouver un accord.
L’aile droite du Parlement européen a profité de la réouverture du texte pour tenter de réduire son ambition, sans y parvenir.
Dans un billet publié sur le blog de l’ECIPE, Andrea Dugo compare les modèles d'innovation suisse et suédois.
Cette édition a été préparée par Augustin Bourleaud, Noé Piloquet Hana Rajabally, Théotime Beau et Maxence de La Rochère. À la semaine prochaine !