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Par What's up EU
19 févr. · 5 mn à lire
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Les trains chinois dans le viseur de la Commission

La Commission pourrait faire dérailler CRRC • Mais aussi — La directive CS3D en ballotage ; Elections ; Défense européenne ; Inflation et croissance ; Russie ; Israël.


Bonjour. Nous sommes lundi 19 février 2024 et voici votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn.


Le Briefing

La Commission européenne a ouvert sa première enquête approfondie dans le cadre du règlement sur les subventions étrangères (FSR). Elle vise une filiale du fabricant public de trains chinois CRRC dans le cadre d’un marché public en Bulgarie.

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CONTEXTE Le règlement sur les subventions étrangères est entré en vigueur en juillet 2023. Il oblige les entreprises — européennes comme extra-européennes — à notifier à la Commission les contributions financières perçues hors de l’UE lorsqu’elles participent à des marchés publics ou à des fusions-acquisitions en Europe. 

Ce règlement visait à combler un vide juridique. Si les subventions au sein de l’UE sont contrôlées par le droit des aides d’Etat, l’UE n’avait pas de moyen de contrôler celles octroyées par des pays tiers. Les mesures antidumping s’appliquent quant à elles à des bien traversant une frontière, pas aux investissements étrangers ou à aux candidatures dans le cadre de marchés publics. 

Pour les marchés publics, l’obligation de notification est déclenchée si le marché public dépasse 250 millions d’euros et si l’entreprise en question a perçu au moins 4 millions d’euros de contributions étrangères extra-européennes dans les 4 ans précédant la notification. La Commission détermine ensuite si les contributions étrangères faussent le marché intérieur européen, que ce soit par des appels d’offre sous évalués ou des offres d’achat surévaluées.

BRAVE NEW WORLD Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, le FSR était vu comme une défense face à la possibilité de voir des acteurs non-européens acheter à bas prix des entreprises européennes dont la valeur en bourse s’était fortement dégradée. 

Avec l’Anti Coercion Instrument (ACI), le FSR participe de la volonté de l’UE de s’armer juridiquement face à la montée en puissance des États ou des puissances quasi-étatiques tels que les fonds souverains. Ces règlements actent aussi l’échec du droit international comme solution au problème des subventions. Si la Chine vient évidemment à l’esprit, le FSR obligera également les entreprises percevant des aides aux Etats-Unis au titre de l’Inflation Reduction Act (IRA) à les notifier et, le cas échéant, se voir imposer des mesures correctrices. 

CRRC CRRC Qingdao Sifang Locomotive s’est portée candidate à un marché public lancé par le ministère des transports bulagre pour l’attribution de plusieurs trains électriques, des services de maintenance et de formation du personnel. Le marché public était estimé à 610 millions d’euros par l’acheteur public bulgare .

L’offre de la CRRC est environ deux fois moins chère que celle de son rival, l’espagnol Talgo. La Commission devra déterminer si les subventions perçues par CRRC Qingdao lui ont permis de casser les prix, et le cas échéant si cela fausse le marché intérieur.  

La presse officielle chinoise y voit une décision motivée politiquement. Le Global Times qualifie l’action de l’UE de “chasse aux sorcières” et note que “l’outil commercial des enquêtes anti-subventions semble maintenant être devenu un outil permettant à l'Europe de contenir la Chine, en s'empressant de bloquer tout secteur qui montre des signes de développement”. 

ALSTOM SIEMENS • Pour rappel, la Commission européenne a interdit en 2019 l’acquisition d’Alstom par Siemens. Le mariage franco-allemand était vu comme une stratégie pour contrer la progression mondiale de CRRC en créant un “Airbus du rail”.

La Commission s’était longuement interrogée sur la menace compétitive que représentait CRRC sur le marché européen. Elle avait écarté le groupe chinois comme n’étant pas un concurrent crédible pour les trains à très grande vitesse et les équipements de signalisation ferroviaire. Alstom et Siemens avaient — sans succès — tenté d’expliquer que la CRRC était avantagée par ses faibles coûts et que son entrée sur le marché européen était crédible. 

La décision de prohibition avait causé de forts remous politiques. Paris et Berlin avaient en réaction publié un manifeste franco-allemand militant pour un droit de la concurrence renouvelé pour une politique industrielle du 21e siècle. D’une certaine manière, cette première enquête anti-subventions contre une filiale de la CRRC boucle la boucle de cette saga Alstom-Siemens. 

NEXT STEPS La Commission a jusqu’au 2 juillet pour prendre une décision finale. Elle peut accepter les engagements proposés par l’entreprise, interdire l’attribution du marché public, ou adopter une décision de non-objection. 


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Inter Alia

DAS CS3D • Les négociations sur la directive sur le devoir de diligence en matière de développement durable des entreprises (CS3D) s’enlisent. La directive doit imposer aux entreprises européennes des obligations de reporting quant à leur empreinte et celle de leurs fournisseurs en matière d’environnement et de droits de l’Homme. La directive prévoit aussi la responsabilité civile des entreprises en cas de défaut d’action face à des risques avérés. 

Les principales pierres d’achoppement concernent l’application de la directive aux entreprises de taille intermédiaire et aux services financiers. La semaine dernière, l’Allemagne a annoncé son abstention lors du vote au Conseil de l’UE. Cette déclaration a poussé certains pays comme l’Italie à sortir du bois et à s’opposer à un texte qui était déjà quasi final — l’accord politique a été trouvé en décembre. Il est probable que la directive ne soit pas votée d’ici la fin du mandat. Son avenir à la suite des élections de juin prochain est plus qu’incertain.

Le volte-face allemand a suscité l'agacement de nombreux partenaires européens, et expose au grand jour les divisions internes à la coalition tricolore, ce dont le FT s’est fait l’écho dans un article intitulé “EU partners lose trust in Berlin after policy U-turns”. Voir la ministre des affaires étrangères Annalena Baerbock publiquement critiquer le vote allemand fait effet mauvais genre.  

ELECTIONS • Ursula von der Leyen devrait annoncer aujourd’hui, lors d’une réunion de l’Union chrétienne-démocrate (CDU), qu’elle souhaite briguer un second mandat en tant que présidente de la Commission européenne. ​​Elle devrait conduire la liste du Parti populaire européen (PPE) lors des élections de juin 2024. Pour rappel, l’Allemande n’était pas tête de liste du PPE lors des élections de 2019.

Fabrice Leggeri, ancien directeur de l’agence Frontex (l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes), a annoncé rejoindre la liste du Rassemblement national (RN) pour les élections européennes. Fabrice Leggeri a dirigé Frontex entre 2015 et 2022. Sa démission avait fait suite à l’ouverture d’une enquête sur sa personne par l’office européen de lutte antifraude (OLAF), notamment pour non-respect de certaines procédures. 

DÉFENSE • Pendant une interview avec le FT, Ursula von der Leyen a annoncé que la Commission européenne présenterait d’ici fin février son plan pour renforcer l’industrie de défense en Europe.

“Nous devons dépenser plus, nous devons dépenser mieux, nous devons dépenser Europe”, a déclaré la présidente de la Commission européenne au FT. "Quelle est la compétence de la Commission ? C'est l'industrie. C'est notre cœur de métier. Nous sommes un facilitateur, pas un acheteur", a-t-elle ajouté. 

La proposition de la Commission devrait favoriser l’utilisation du budget de l’UE afin de soutenir les contrats conjoints pour les armes signés par les Etats membres. Le plan devrait aussi garantir que la production sera bel et bien achetée. Ces mesures se rapprochent de ce qui a été fait pendant le Covid pour soutenir la production de vaccins en Europe. “Nous avons fait ça pour les vaccins et pour le gaz”, explique Ursula von der Leyen.

Selon l’Otan, les dépenses de défense des membres européens de l’Otan — dont beaucoup appartiennent à l’UE — ont augmenté d’environ deux tiers entre 2014 et 2023, passant de 230 milliards de dollars à 380 milliards de dollars. Pour autant, le marché européen reste fragmenté, et ce malgré les différentes initiatives prises par la Commission au lendemain du début de la guerre en Ukraine. 

La semaine dernière, le premier ministre polonais Donald Tusk rencontrait Emmanuel Macron et Olaf Scholz lors d’une visite à Paris et Berlin. Si les dirigeants n’ont pas évoqué directement les récents propos de Donald Trump sur l’Otan, ils ont souligné l’importance de renforcer la coopération et les dépenses de défense en Europe.

CROISSANCE • L’économie européenne n’est pas en forme. La Commission européenne vient de revoir à la baisse ses prévisions de croissance pour 2024 pour la troisième fois depuis mai dernier.

Elle prévoit à présent que le taux de croissance de la zone euro sera de 0,8% en 2024, soit moitié moins que ce qu’elle annonçait en mai 2023. L’annonce a été faite juste après que Robert Habeck, ministre de l’économie et des finances allemand, a déclaré que le gouvernement allemand prévoyait un taux de croissance de seulement 0,2% pour 2024. “La situation est extrêmement mauvaise”, a-t-il expliqué.

INFLATION La faible augmentation de la productivité en Europe pourrait endiguer les efforts de la Banque centrale européenne (BCE) sur la réduction de l’inflation. 

C’est ce qu’a déclaré Isabel Schnabel, membre du directoire de la BCE, lors d’un discours au European University Institute à Florence. Selon l’économiste allemande, la faible croissance de la productivité renforce les effets de la hausse des salaires sur les coûts unitaires de main d'œuvre des entreprises. En d’autres termes, si la productivité n’augmente que très peu (ou baisse), la hausse des salaires actuelle devient un fardeau plus important pour les entreprises.

Cette situation augmente le risque que les entreprises n’aient d’autre choix que de répercuter la hausse des salaires sur les consommateurs en augmentant les prix, renforçant ainsi l’inflation, analyse Isabel Schnabel.

La solution ? L’ancienne universitaire suggère de réduire les restrictions réglementaires qui endiguent la croissance de la productivité et de lutter contre les barrières à l’entrée qui empêchent aux nouvelles entreprises plus productives de rivaliser avec les leaders actuels. 

RUSSIE • Le 14 février, la Hongrie a bloqué l’adoption du 13e paquet de sanctions contre la Russie, que la Commission cherche à adopter symboliquement pour les deux ans de l’invasion de l’Ukraine.

Selon le FT, la Hongrie aurait refusé d’approuver l’adoption du paquet à cause des sanctions contre des entreprises chinoises et indiennes — ce serait en effet la première fois que des entreprises de Chine continentale et d’Inde sont sanctionnées. 

Les discussions devraient continuer dans l’espoir d’adopter le paquet d’ici le 24 février, deuxième anniversaire de l’invasion russe en Ukraine.

ISRAËL • Le premier ministre espagnol Pedro Sanchez et son homologue irlandais Leo Varadkar, ont demandé à la Commission européenne de “réexaminer d’urgence” les liens commerciaux entre l’UE et Israël dans le cadre de l’accord d’association.

“Nous demandons à la Commission d’examiner d’urgence si Israël respecte ses obligations, notamment dans le cadre de l’accord d’association UE-Israël, qui fait du respect des droits humains et des principes démocratiques un élément essentiel des relations bilatérales”, ont écrit les deux dirigeants dans une lettre consultée par Euractiv. 


Nos lectures de la semaine

  • Une note de Georg Zachmann et al. pour Bruegel plaide en faveur d'une plus grande intégration des marchés de l'électricité européens.

  • Matthias Bauer et Dyuti Pandya défendent une politique de libéralisation réglementaire dans un papier pour l'ECIPE.


Cette édition a été préparée par Augustin Bourleaud et Maxence de La Rochère. À la semaine prochaine !