Bonjour. Nous sommes le 7 octobre 2024 et voici votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn.
Le Briefing
L’Union européenne va imposer des droits de douane s’élevant jusqu’à 45% sur les véhicules électriques fabriqués en Chine. Cette décision intervient alors que plusieurs gouvernements, notamment l’Allemagne ou la Hongrie, ont exprimé publiquement leurs réserves sur cette proposition de la Commission.
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MADE IN CHINA • Les constructeurs chinois tels que SAIC, Geely ou BYD ont réalisé une véritable percée en Europe ces vingt dernières années. De 1% des ventes en 2010, les constructeurs chinois représentent désormais 11% du marché en 2024. Et ce n’est pas tout : 20% des véhicules électriques vendus en Europe sont fabriqués en Chine — cela comprend les Tesla, Dacia ou BMW.
Le gouvernement chinois a soutenu le développement de l’électrique à coups de subventions directes, de crédits d’impôt et de prêts à taux préférentiels. BYD a reçu 2,1 milliards d’euros de subventions directes du gouvernement chinois en 2022.
En raison de la croissance intérieure moribonde, les constructeurs chinois se sont tournés vers l’exportation afin d’écouler leur production, quitte à brader les prix. Les véhicules électriques chinois se vendent actuellement en Europe environ 20% moins cher que les mêmes modèles en Chine.
MADE IN BRUSSELS • Le 4 octobre 2023, la Commission a lancé une enquête anti-subvention sur les importations de véhicules électriques à batterie destinés au transport de passagers en provenance de Chine.
Après avoir consulté les entreprises concernées, la Commission a annoncé l’entrée en vigueur de droits de douane provisoires le 4 juillet 2024. Les mesures définitives doivent être imposées dans les 4 mois suivant l'imposition des droits provisoires, soit dans le cas d'espèce au 31 octobre au plus tard.
Le commerce est une compétence exclusive de la Commission. Les États membres peuvent seulement s’opposer à l’instauration de droits de douane proposés par la Commission. Ils doivent pour cela réunir une majorité de 55% des Etats membres et 65% de la population européenne.
TARIFS DOUANIERS • En matière d’enquête anti-subvention, les tarifs douaniers sont fixés en fonction du niveau de subventions estimé et du niveau de coopération des entreprises pendant l’enquête.
Les tarifs douaniers vont de 7,8% pour Tesla à 17% pour BYD et 35,3% pour SAIC. Ils concernent non seulement les constructeurs automobiles chinois, mais également ceux qui fabriquent des véhicules électriques en Chine en vue de les exporter vers l’Union européenne, comme Tesla, BMW et Volkswagen.
Ils s'appliqueront pendant 5 ans et s’ajoutent aux droits standards de 10% sur les importations de voitures au sein de l’UE. Les tarifs en vigueur aux Etats-Unis et au Canada pour les importations de véhicules électriques produits en Chine sont de l’ordre de 100%.
DÉSUNION EUROPÉENNE • Cette décision constitue l'affaire la plus retentissante depuis l’instauration de droits de douane contre les importations de panneaux photovoltaïques chinois en 2013.
La Commission entend justement éviter le fiasco survenu pour les panneaux photovoltaïques. L’instauration — jugée trop tardive — des droits de douane de 2013 a laissé le temps aux producteurs chinois de dominer ce segment en Europe.
Cinq gouvernements européens ont voté contre les droits de douane, dont l’Allemagne et la Hongrie ; douze gouvernements se sont abstenus, dont l’Espagne ; et dix gouvernements ont soutenu l’imposition des droits de douane, dont la France et l’Italie.
Du côté des réticents, on craint que ces mesures coûtent cher aux grands groupes automobiles occidentaux (BMW, Volkswagen, Tesla) qui produisent des véhicules électriques en Chine.
La perspective d’une guerre commerciale inquiète également de nombreux acteurs du secteur. La Chine a lancé une enquête anti-subventions sur les produits laitiers européens, qui vient s’ajouter au porc et aux alcool de type Cognac.
Lors d’une visite en Chine en septembre, le premier ministre espagnol Pedro Sanchez avait appelé l’UE à “revoir” sa position. L’Espagne est le principal exportateur de produits porcins vers la Chine.
Enfin, les tarifs douaniers renchérissent le prix de produits qui ont un rôle important dans l’objectif ambitieux de neutralité carbone que s’est fixé l’UE. L’UE doit effectuer une mise en balance délicate :résilience du secteur automobile européen face à la concurrence chinoise d’une part, financement de la transition écologique d’autre part.
Inter Alia
DÉFORESTATION • La Commission européenne a cédé aux pressions de ses partenaires commerciaux. Le 2 octobre, celle-ci a proposé que l’entrée en application du règlement sur la déforestation — qui interdit la mise en vente sur le marché européen de produits ayant contribué à la déforestation — soit décalée d’un an, afin de laisser plus de temps aux entreprises pour s’y conformer.
Initialement, le règlement sur la déforestation devait s’appliquer à partir du 30 décembre 2024 (30 juin 2024 pour les PME), couvrant les produits suivants : le bétail, le cacao, le café, l’huile de palme, le caoutchouc, le soja et le bois.
La proposition de la Commission de décaler l’application du règlement doit maintenant être adoptée par le Conseil et le Parlement européen. Si vous avez raté notre briefing de la semaine dernière sur le sujet, c’est ici.
AUDITIONS • Le Parlement européen a fixé le calendrier des auditions des commissaires européens désignés. Du 4 au 12 novembre, les 26 candidats passeront chacun un grand oral devant la ou les commissions parlementaires compétentes.
Les députés européens passeront au crible les candidats et pourront émettre un avis défavorable sur un candidat. Par ailleurs, d’ici aux auditions, la commission des affaires juridiques (JURI) du Parlement européen examinera au peigne fin les déclarations d’intérêts des candidats.
Une fois les auditions terminées, l’ensemble du collège des commissaires sera soumis au vote à la majorité simple du Parlement, réuni en séance plénière. Si tout se passe bien, la Commission devrait prendre ses fonctions au début du mois suivant, c’est-à-dire au 1er décembre 2024.
Certaines auditions promettent d’être plus compliquées que d’autres, même s’il y a parfois des surprises. La désignation de l’italien Raffaele Fitto au poste de vice-président ou la reconduction du hongrois Oliver Várhelyi suscitent des tensions entre les groupes parlementaires de la majorité centriste — le premier pour son appartenance au groupe des Conservateurs et réformistes (ECR), l’autre pour sa grande proximité avec Viktor Orbán et sa tendance à faire passer les intérêts hongrois avant les intérêts européens.
En 2019, les candidats roumains et hongrois n’avaient pas passé la première étape des déclarations d’intérêts, tandis que la française Sylvie Goulard avait essuyé un avis défavorable à la suite de son audition — elle s’était retirée au profit de Thierry Breton.
DONNÉES PERSONNELLES • Suite à un jugement de la Cour de justice de l’UE (CJUE), Meta va devoir drastiquement limiter les données à caractère personnel qu’elle utilise à des fins de publicité ciblée.
Max Schrems, un activiste autrichien militant pour la protection des données privées, avait contesté devant les juridictions autrichiennes l’utilisation faite par Meta d’informations personnelles dévoilées en dehors de la plateforme Facebook à des fins de publicité ciblée. Max Schrems avait publiquement révélé son homosexualité lors d’une table ronde et avait par la suite était la cible de publicités visant spécifiquement les personnes homosexuelles (invitations à des évènements, etc).
La CJUE a jugé qu’un réseau social ne peut utiliser l'ensemble des données à caractère personnel obtenues à des fins de publicité ciblée — notamment en dehors du réseau social, via des cookies, par exemple — sans limitation dans le temps et sans distinction en fonction de leur nature.
Le fait que Max Schrems ait publiquement dévoilé son orientation sexuelle ne signifie pas qu'il a autorisé le traitement d'autres données personnelles le concernant. Cela découle du principe de minimisation des données prévu par le règlement général sur la protection des données (RGPD).
Max Schrems est un marathonien du contentieux européen. Il est à l’origine de l’invalidation par la CJUE, dans ses arrêts Schrems et Schrems II, des accords Safe Harbor et Privacy Shield qui concernaient le transfert des données à caractère personnel de l’UE vers les Etats-Unis.
HONGRIE • La Commission a saisi la CJUE d’un recours contre la Hongrie le 3 octobre. La Commission juge insuffisantes les réponses apportées par le gouvernement hongrois à ses observations depuis le lancement d’une procédure d’infraction — par laquelle la Commission européenne demande à un État-membre de respecter le droit de l'Union européenne — en février 2024.
La procédure en infraction vise la loi hongroise sur la défense de la souveraineté nationale adoptée fin 2023. Cette loi crée un bureau pour la défense de la souveraineté, compétent pour enquêter sur les activités en Hongrie des organisations et personnes qui reçoivent des financements étrangers et qui pourraient compromettre la souveraineté de la Hongrie.
En pratique, le bureau sert à surveiller et poursuivre en justice les opposants politiques du régime au pouvoir, et peut accéder aux ressources et données des services secrets. Ses rapports ne peuvent pas être contestés en justice.
FOOTBALL • Dans un arrêt de la plus haute importance pour le monde du football, la CJUE a jugé que certaines règles de la FIFA relatives aux transferts internationaux de footballeurs professionnels entravent la liberté de circulation des joueurs et restreignent la concurrence entre les clubs.
La FIFA va donc devoir modifier son système de transfert des joueurs, et notamment la règle selon laquelle les joueurs qui rompent leur contrat sans “motif valable” sont tenus de verser une indemnité au club qu'ils quittent. Cet arrêt pourrait entraîner une réduction des frais de transfert et renforcer le pouvoir de négociation des joueurs.
Le football a déjà permis à plusieurs reprises à la CJUE d’enfiler ses gants comme gardienne du droit européen, de l’arrêt Bosman de 1995 sur la liberté d’établissement à l’arrêt Superleague de 2023.
STARMER • À l’issue de leur rencontre du 2 octobre, Starmer et von der Leyen ont annoncé que l’UE et le Royaume-Uni organiseront des sommets bilatéraux réguliers à partir de 2025 et leur volonté d'accroître la coopération sur les sujets d’intérêt commun, de l’énergie au climat en passant par l’immigration.
Si Starmer a fait du “reset” avec l’UE un thème de campagne, les pistes de négociation entre Bruxelles et Londres restent floues vu les lignes rouges de chacun. Bruxelles veut avancer ses pions en matière de quotas de pêche et de mobilité des étudiants. La Commission, comme les États membres, veillent à ce que Londres ne tente pas d’obtenir des concessions en termes d’accès au marché européen — pas de cherry picking.
Nos lectures de la semaine
Michel Barnier a annoncé qu’il avait l’intention de rétablir des contrôles à ses frontières en invoquant “circonstances exceptionnelles”, comme l’Allemagne le fait depuis mi-septembre : le FT fait le point.
L’Italie, la France et l’Allemagne appellent dans une lettre commune la Commission à mettre un frein à la réglementation bancaire pour préserver la compétitivité du secteur en Europe, notamment face aux Etats-Unis. Pour en savoir plus, lisez cet article de Bloomberg.
On vous recommande trois lectures sur les conséquences potentielles des élections américaines pour l'Europe : en matière de politique étrangère (Giuseppe Spatafora et Christian Dietrich de l'IESUE), de politique économique (Aslak Berg et Zach Meyers du CER), et dans l’hypothèse d’une victoire de Kamala Harris (Ian Bond et Luigi Scazzieri, également du CER).
Cette édition a été préparée par Nathan Münch, Luna Ricci, Antoine Langrée, Maxence de La Rochère et Augustin Bourleaud. À la semaine prochaine !