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Par Augustin Bourleaud
25 sept. · 5 mn à lire
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Comment faire émerger des champions européens ?

Le débat sur les règles relatives au contrôle des concentrations est relancé. On parle aussi de Benjamin Haddad, d'automobile, de l'Ukraine et de Google.


Bonjour. Nous sommes le 23 septembre et voici votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn.


Le Briefing

Les récents rapports Draghi et Letta sont sans appel. L’Union européenne manque cruellement de compétitivité. Prix de l’énergie trop élevés, manque de mobilisation des capitaux privés, ou encore fardeau administratif trop conséquent sur les entreprises font risquer à l’UE une “lente agonie”.

Dans ce contexte, de nombreuses voix s’élèvent pour favoriser l’émergence de champions européens et changer les règles relatives au contrôle des concentrations.Margrethe Vestager, s’est opposée à un relâchement des règles sur le contrôle des concentrations — sa potentielle successeure semble plus ouverte à l'idée © Commission européenneMargrethe Vestager, s’est opposée à un relâchement des règles sur le contrôle des concentrations — sa potentielle successeure semble plus ouverte à l'idée © Commission européenne

CONTEXTE En 2019, lorsque la Commission européenne interdit la fusion entre Alstom et Siemens — deux leaders européens du secteur ferroviaire — la France et l’Allemagne appellent, dans un manifeste commun, à une refonte des règles de concurrence.

Parmi leurs propositions, celle de réviser le règlement de 2004 sur le contrôle des concentrations pour “tenir compte de la concurrence au niveau mondial, de la concurrence potentielle future (...) afin de donner à la Commission européenne une plus grande flexibilité dans l'évaluation des marchés pertinents”.

Paris et Berlin proposent même que le Conseil puisse avoir un droit de véto sur les décisions de la Commission dans certains cas précis où la stratégie industrielle du continent est en jeu.

Bruno Le Maire commente : “Le règlement européen sur le contrôle des concentrations date de 2004. Depuis, de nouveaux champions industriels ont émergé dans le reste du monde avec une rapidité sans précédent.”

Le raisonnement est le suivant : favoriser l’émergence de champions européens en permettant aux entreprises de fusionner plus facilement afin qu’elles puissent atteindre une taille critique leur permettant de rivaliser avec les grandes entreprises à l’international.

LETTA, DRAGHI Les récents rapports Letta et Draghi ont remis le sujet sur la table.

Mario Draghi appelle à une refonte ciblée de la manière dont les règles de concurrence sont appliquées. Bien que “le renforcement de la concurrence entraîne généralement une baisse des prix et favorise l'innovation, dans certains cas, il peut nuire à l'innovation”, explique-t-il.

Selon l’ancien premier ministre italien, la Commission devrait admettre des justifications liées à l’innovation, mieux prendre en compte l’évolution future des marchés, et inclure la sécurité et la résilience dans ses critères d’évaluation des concentrations.

Rejoignant Enrico Letta, Mario Draghi suggère également qu’une consolidation du secteur des télécommunications pourrait être nécessaire.

L’analyse de Draghi est nuancée : il rappelle que la concurrence est essentielle car elle favorise l’innovation, des prix plus bas, une meilleure productivité et plus d’investissement. Un bon niveau de concurrence est la base solide sur laquelle l’industrie européenne doit se fonder, mais il faut en partie adapter les règles et leur application.

OUI MAIS Ce deuxième point ne fait pas l’unanimité. Réagissant à la publication du rapport Draghi, l’actuelle commissaire à la concurrence Margrethe Vestager a déclaré à Euractiv : “Rien ne prouve que les entreprises en situation de monopole ou détenant de très grandes parts de marché soient disposées à investir davantage que les entreprises exposées à la concurrence.”

Au sein même de la Commission européenne, les services diffèrent dans leur approche de ces questions. La DG Concurrence a toujours une citadelle des défenseurs de la concurrence libre et non faussée ; la DG GROW, jusqu’à récemment sous la houlette de Thierry Breton, est plus ouverte à la consolidation de secteurs clés.

COMMISSION La nouvelle Commission européenne semble annoncer un tournant, au moins sémantique, en faveur d’une approche plus interventionniste des questions liées à l’industrie, la compétitivité et la concurrence — un commissaire est désormais chargé de la souveraineté technologique ; un autre se chargera de la sécurité économique en plus du commerce international ; tandis que Stéphane Séjourné se chargera de la prospérité et de la stratégie industrielle.

Dans la lettre de mission adressée à chacun des commissaires désignés, Ursula von der Leyen mentionne explicitement les rapports Draghi et Letta, appelant chaque futur membre du collège des commissaires à s’en inspirer.

La lettre de mission de Teresa Ribera, la commissaire désignée pour le portefeuille de concurrence, suggère qu’une nouvelle approche du contrôle des concentrations pourrait se dessiner : “L’Europe a besoin d’une nouvelle approche de la politique de concurrence — une approche qui soutient mieux les entreprises qui grandissent sur les marchés internationaux.”

L’ancienne ministre espagnole l’a confirmé au FT : “Il y a une question de taille au niveau international (....) En ce qui concerne le rôle que doit jouer actuellement ce portefeuille [de concurrence], il est évident qu'il n'est pas exactement le même [qu'auparavant].”

En réaction à cette lettre, Margrethe Vestager a averti qu’une révision des règles sur le contrôle des concentrations pourrait ouvrir une boîte de Pandore. “Le problème avec [l'ouverture d'une] boîte de Pandore, c'est qu'on ne peut pas vraiment la refermer, ce qui crée beaucoup d'incertitude”.

Les premières règles européennes sur les concentrations datent de 1989. Elles ont été révisées une fois en 2004. Sans une réforme de ces règles, il semble peu probable que la Commission européenne puisse véritablement changer son approche des concentrations — la Cour de justice de l’UE (CJUE) veille scrupuleusement au respect par la Commission des règles en question.

Dans un monde post-Illumina/Grail — affaire dans laquelle la Cour de justice a tapé sur les doigts de la Commission européenne pour avoir adopté une interprétation trop créative du droit en vigueur — on peut s’attendre à que la Commission soit plus prudente sur son interprétation du droit de la concurrence.


Inter Alia

FRANCE Benjamin Haddad est nommé ministre délégué chargé de l’Europe au sein du gouvernement Barnier. Il succède à Jean-Nöel Barrot, nommé ministre des affaires étrangères après avoir lui-même été ministre délégué chargé de l’Europe (pendant 7 mois).

Avant son élection à l’Assemblée nationale en 2022, Benjamin Haddad était déjà un visage connu à Bruxelles et au sein de la communauté transatlantique. D’abord chercheur au Hudson Institute à Washington, il a été de 2019 à 2022 Senior Director du Centre Europe au Atlantic Council. Il est très engagé pour le soutien à l’Ukraine.

Si vous l’aviez manqué : sur France Inter, Thierry Breton est revenu sur les raisons de sa démission de la Commission européenne. “Personne n’a eu ma peau, c’est moi qui ai démissionné”, a-t-il déclaré.

VROOM VROOM Plusieurs constructeurs automobiles font pression sur la Commission européenne afin de retarder l’application des nouvelles normes d’émission de CO2.

À partir du 1er janvier 2025, les constructeurs automobiles européens sont tenus de respecter un seuil d’émission d’environ 95 grammes de CO2/km pour l’ensemble de leur flotte. Ce seuil est une moyenne : il est calculé sur l’ensemble des voitures neuves vendues par chaque constructeur (plus un constructeur vend de voitures électriques par rapport aux voitures thermiques, plus sa moyenne d’émission baisse).

La semaine dernière, l’association des constructeurs européens de voitures (ACEA), présidée par le PDG de Renault Luca de Meo, a tiré la sonnette d’alarme : de nombreux constructeurs automobiles européens — dont Renault, Volvo et Volkswagen — estiment qu’ils ne seront pas en mesure de respecter ces règles. En Europe, la vente de voitures électriques ralentit. Selon l’ACEA, les voitures électriques représentaient 14,4% du marché en août 2024, contre 21% il y a un an.

Dans une note qui circule à Bruxelles, plusieurs constructeurs expliquent que les amendes prévues en cas de non-respect des règles pourraient atteindre un total de 13 milliards d’euros.

Les constructeurs en question souhaitent donc une “révision urgente” des règles. Ils appellent notamment à ce que le seuil d’émission de 2025 ne s’applique que deux ans plus tard, en 2027. Ce seuil n’est d’ailleurs que le début d’une longue série qui conduira à l’interdiction de la vente de voitures thermiques en 2035.

Mais l’industrie automobile européenne ne parle pas d’une seule et même voix : Stellantis se dit prêt à l’entrée en vigueur de ces règles et s’oppose à toute forme de délai dans leur application. “Tout le monde est au courant des règles depuis longtemps et a eu le temps de se préparer”, a commenté le PDG de l’entreprise Carlos Tavares.

L’ONG Transport et Environnement (T&E) juge que la baisse des ventes invoquée par les constructeurs est temporaire : selon ses estimations, la vente de voitures électriques devrait atteindre 20-24% des ventes totales en 2025, notamment grâce à la mise en vente de sept nouveaux modèles entièrement électriques de moins de 25 000 euros.

La Commission européenne a accusé réception de la lettre de l’ACEA, à laquelle elle répondra prochainement.

UKRAINE Le 20 septembre, la Commission européenne a proposé un prêt exceptionnel de 35 milliards d’euros pour l’Ukraine. Ce prêt serait attribué au titre de l’assistance macrofinancière (AMF), qui est l’aide versée aux pays partenaires de l’UE qui rencontrent des difficultés financières.

Le prêt sera financé par des recettes provenant des actifs russes gelés en Europe, mais aussi par des contributions d’Etats membres et d’autres pays tiers. Le prêt s’inscrit dans le cadre du plan “Extraordinary Revenue Acceleration (ERA)”, un programme conçu par le G7 en juin afin de lever 50 milliards de dollars en utilisant des garanties sur les profits des avoirs russes gelés au sein de l’UE.

En déplacement à Kiev vendredi dernier, Ursula von der Leyen a annoncé que ces fonds serviraient principalement à stabiliser la situation financière de l’Ukraine afin de permettre au pays de soutenir l’effort de guerre. Kiev aura la liberté d’utiliser l’argent comme il l’entend.

Cette proposition doit encore être examinée et adoptée par le Parlement européen et le Conseil, normalement d’ici la fin de l’année. Un premier versement devrait être réalisé peu après. L’aide totale de l’UE à l’Ukraine depuis le début de la guerre a récemment atteint 118 milliards d’euros.

GOOGLE Ce mercredi, le Tribunal de l'UE a annulé une amende de près d’1,5 milliard d'euros infligée à Google en 2019 dans l’affaire Google Adsense. La Commission européenne estime que Google a abusé de sa position dominante sur le marché de l’intermédiation publicitaire liée aux recherches en ligne entre 2009 et 2016.

Google utilise AdSense for Search pour fournir des publicités aux sites web intégrant des moteurs de recherche. Google joue l’intermédiaire — sorte de régie publicitaire — entre les publicitaires et les propriétaires (“éditeurs”) de sites web souhaitant utiliser l'espace autour de leurs pages de résultats de recherche à des fins publicitaires.

Selon la Commission, les accords conclus entre Google et les éditeurs entre 2009 et 2016 contenaient des clauses restrictives, limitant l’affichage de publicités provenant de services concurrents. Des plaintes émanant de sociétés telles que Microsoft, Expedia, et Deutsche Telekom, ont conduit la Commission européenne à condamner l’entreprise américaine.

Dans sa décision, le Tribunal “confirme la plupart des appréciations de la Commission” mais annule tout de même la décision, pour deux raisons : (i) la Commission n’aurait pas démontré avaient la capacité de dissuader les éditeurs de chercher leurs publicités auprès de concurrents de Google ou d’empêcher ces concurrents de rivaliser avec Google et (ii) la Commission a uniquement pris en compte la durée cumulative des contrats, sans examiner si les éditeurs avaient eu l’occasion de se tourner vers les rivaux de Google lors du renouvellement des contrats.

La Commission dispose maintenant d’un délai de 2 mois pour faire appel.


Nos lectures

  • Dans un entretien publié par l’Institut Montaigne, Pierre Vimont offre une synthèse des défis auxquels fait face la nouvelle Commission européenne.


Cette édition a été préparée par  Augustin Bourleaud, Marwan Ben Moussa, Elisa Zevio, Antoine Ognibene, et Maxence de La Rochère. À la semaine prochaine !