Cinquième paquet "omnibus", dédié à la défense • Mais aussi — Pologne, Russie, Gibraltar, Schengen
Bonjour. Nous sommes le 18 juin et voici votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn. Le briefing du jour vous est proposé par Mathieu Solal, journaliste européen et cofondateur de la newsletter BLOCS.
La Commission européenne a présenté hier un paquet de simplification dit “omnibus’ visant le secteur de la défense. Celui-ci vise notamment la directive sur les marchés publics de la défense ou celle sur les transferts intra-UE de produits de défense.
Andrius Kubilius (commissaire à la politique étrangère de l’UE), Valdis Dombrovskis (commissaire en charge du commerce) et Henna Virkkunen (commissaire aux transports) © Commission européenne
MOT D’ORDRE • “Nous avons l’intention de donner plus de flexibilité aux États membres pour les marchés publics communs, plus de flexibilité pour les accords-cadres, et nous comptons faciliter les marchés publics de l’innovation”, a expliqué le commissaire à la Défense, Andrius Kubilius.
“Sans cette simplification, rien d'autre ne sera possible en matière de préparation de la défense”, a plaidé le commissaire. Un discours qui illustre bien le totem que constitue désormais la simplification des normes, à Bruxelles.
Le mot d’ordre a commencé à s’imposer à la suite de la victoire de la droite et de l’extrême-droite aux élections européennes de 2024.
Il s’est ensuite renforcé à la faveur du rapport Letta, puis du rapport Draghi, présentés respectivement au printemps et à l’automne 2024. Ces deux rapports préconisent en effet, entre autres, une simplification des normes pour pallier le décrochage économique constaté par rapport aux États-Unis.
L’élection du champion de la dérégulation Donald Trump a en outre rendu la tâche encore plus urgente aux yeux des décideurs européens.
CHIFFRES SOLIDES • L’impératif de simplification, appuyé par les grandes entreprises et les syndicats patronaux, notamment en France, s’appuie sur des chiffres solides.
Une récente étude du Fonds monétaire international (FMI) estime notamment que les barrières internes au sein de l’UE sont équivalentes à des droits de douane de 45 % pour l’industrie manufacturière — soit trois fois plus que pour les États-Unis — et de 110 % pour les services.
La Commission européenne a commencé dès le début de l’année civile à traduire en acte cette volonté de simplification, avec un objectif chiffré : réduire de 25 % les charges administratives, et de 35 % celles pesant sur les petites et moyennes entreprises, d’ici la fin de son mandat en 2029.
Pour y parvenir, elle doit présenter 9 paquets législatifs de simplification dits “omnibus” dans divers secteurs, de l’intelligence artificielle à l’énergie, en passant, donc, par la défense — le cinquième de ces paquets.
Les législations déjà présentées couvrent la politique agricole commune, le programme InvestEU, les règles touchant les entreprises de taille intermédiaire, ainsi que trois législations emblématiques du pacte vert.
CONTROVERSE • La simplification de ces trois textes — les directives sur le devoir de vigilance des entreprises (CS3D) et sur le reporting de durabilité (CSRD) et le règlement sur la taxonomie des investissements verts — proposée dès le mois de février, est de loin la plus controversée, pour l’heure.
Ce paquet, dit “omnibus I”, concerne en effet des textes adoptés au cours de la dernière législature, et même l’année dernière, pour ce qui concerne la CS3D.
Un timing qui remet en question la garantie de stabilité et de sécurité juridique, censées représenter deux avantages comparatifs de l’Union européenne, en particulier par rapport aux États-Unis.
Le virage à 180 degrés du président français, Emmanuel Macron, symbolise bien cette incertitude. Soutien affiché de la mise en place d’un devoir de vigilance européen pendant le premier mandat von der Leyen, il a exigé, début mars, que cette législation soit purement et simplement “écartée”.
Le gouvernement et, en particulier, son ministre de l’Economie, Éric Lombard, semblent néanmoins adopter une position différente, lui qui s’est prononcé fin mars en faveur d’un “maintien” du régime de responsabilité civile, un “élément essentiel” sans lequel “l’impact de la directive [sur le devoir de vigilance] sera très affaibli”.
EXPERTS MIS DE CÔTÉ • Le Parlement européen et le Conseil de l’UE n’en ont pas moins voté le report d’un an de l’entrée en application de la CS3D et de deux ans pour la CSRD, dans le cadre d’une procédure baptisée “Stop the clock”.
Par ailleurs, les négociations législatives sur la simplification des textes n’en finissent pas de défrayer la chronique.
La semaine dernière, Politico révélait ainsi que les experts des législations environnementales étaient mis de côté, dans les discussions des Vingt-Sept.
Du côté du Parlement, le rapporteur sur le paquet Omnibus I, Jörgen Warborn (PPE), entend par ailleurs aller encore plus loin que la Commission européenne dans l’exercice de simplification.
“Le rapporteur propose de faire passer le seuil d’application pour les deux textes aux entreprises d’au moins 3000 employés et réalisant au moins 450 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel. Ce qui reviendrait à vider les deux textes de leur substance”, estime Pierre Leturcq, chargé de programme à l’Institute for European Environmental Policy (IEEP).
“La bataille n’est pas terminée, mais il y a un vrai risque que ces deux textes majeurs disparaissent purement et simplement, sur fond de démagogie et de dynamiques purement politiciennes”, déplore le chercheur.
À LA DIÈTE • Le premier ministre polonais, Donald Tusk (Parti populaire européen, PPE, centre-droit), a remporté le 11 juin un vote de confiance au Parlement (la Diète). Ce vote, convoqué après la défaite de du candidat proeuropéen Rafał Trzaskowski aux élections présidentielles face au nationaliste Karol Nawrocki, visait à démontrer que le gouvernement restait stable malgré des tensions internes.
Cette victoire n’efface pas les fragilités de la coalition gouvernementale ainsi que les obstacles qui pèsent désormais sur l’agenda réformateur de Tusk, notamment en matière d’Etat de droit. Plusieurs milliards d’euros de fonds européens sont encore conditionnés à des réformes que le nouveau président pourrait désormais bloquer par veto.
Plus globalement, les ambitions européennes de Tusk risquent d’être compromises, alors qu’il souhaite positionner la Pologne parmi les chefs de file de l’UE.
La cohabitation s’annonce d’autant plus difficile que Nawrocki a déjà affiché son opposition à l’adhésion de l’Ukraine à l’UE et à l’OTAN. Alors que la présidence polonaise du Conseil de l’UE s’achève fin juin, Varsovie pourrait voir son rôle moteur en Europe centrale s’éroder, alors même que l’UE cherche à renforcer sa défense commune face à Moscou.
Certains députés de la coalition civique demeurent toutefois optimistes, estimant que la défense et la sécurité pourraient constituer un terrain d’entente avec le président.
RUSSIE • Le 10 juin, la Commission européenne a présenté un 18e paquet de sanctions contre la Russie.
Ce nouveau train de mesures s’attaque tout d’abord aux revenus énergétiques russes, notamment par une baisse du plafond du prix du pétrole russe de 60 à 45 dollars le baril et l’interdiction des transactions via les gazoducs Nord Stream. La flotte “fantôme” de pétroliers russes et les produits raffinés dans des pays tiers à l’aide de pétrole russe sont également ciblés.
Le paquet vise également le système bancaire russe en excluant 22 banques russes supplémentaires du système SWIFT. Deux banques chinoises, accusées d’aider Moscou à contourner les sanctions via des transactions en crypto-actifs, seraient également visées par les sanctions — il s’agirait du premier ciblage d’entités non-russes.
La Commission devra obtenir l’accord unanime des états membres pour adopter ces sanctions. La Hongrie et la Slovaquie ont menacé de s’y opposer, invoquant leur sécurité énergétique. Afin de garantir l'efficacité du dispositif, Ursula von der Leyen souhaite que ces mesures soient alignées avec les États-Unis, dont le soutien n’est pas non plus garanti.
GIBRALTAR • Le 11 juin, l’Union européenne et le Royaume-Uni ont conclu un accord sur Gibraltar, garantissant la libre circulation des personnes et des marchandises entre l’enclave britannique et l’Espagne.
L’accord supprime les barrières physiques et les contrôles à la frontière terrestre, tout en instaurant des contrôles conjoints au port et à l’aéroport de Gibraltar, réalisés par des agents britanniques et espagnols. C’est la concrétisation de l’accord de principe conclu in extremis entre l’Espagne et le Royaume-Uni avant l’entrée en vigueur du Brexit fin 2020.
Depuis le protocole sur l’Irlande du Nord de 2023, Gibraltar était le dernier territoire britannique sans accord clair avec l’UE, créant une incertitude pour les 15 000 travailleurs transfrontaliers quotidiens et les entreprises locales.
Le commissaire européen Maroš Šefčovič a salué une “étape véritablement historique”. Le ministre britannique des Affaires étrangères, David Lammy, a évoqué une “solution pratique après des années d’incertitude”. Le chef du gouvernement de Gibraltar, Fabian Picardo, a souligné la protection de la “souveraineté britannique” du territoire.
Le texte finalisé devra être ratifié par les parties.
SCHENGEN • Le 14 juin 1985, cinq États (France, Allemagne, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas) signaient à Schengen le premier accord de libre circulation européenne.
Aujourd’hui, 29 pays composent l’espace Schengen, qui supprime les contrôles intérieurs et favorise la mobilité, le commerce transfrontalier et les déplacements quotidiens.
Ce quarantième anniversaire est cependant marqué par le retour de barrières à la libre circulation : 11 États ont rétabli des contrôles aux frontières intérieures pour lutter contre l’immigration irrégulière et des risques sécuritaires.
Ces mesures gênent les frontaliers et provoquent des tensions diplomatiques, notamment entre Luxembourg et Berlin. “Nous soutenons pleinement l’accord de Schengen et rejetons fermement les contrôles aux frontières intérieures au sein de l’UE”, a déclaré le ministre luxembourgeois de l’Intérieur.
L’Allemagne a en effet rétabli des contrôles en septembre 2024, puis les a intensifiés, concrétisant une promesse de campagne du chancelier Friedrich Merz.
Déjà en février, le Luxembourg a adressé un courrier officiel de protestation à la Commission européenne, jugeant que les motifs allemands (la lutte contre les passeurs) ne s’appliquent pas à sa frontière.
Dans ce contexte, le Pacte asile et migration — adopté en avril 2024 — vise à renforcer la sécurisation des frontières extérieures. Il complète la récente révision du Code frontières Schengen, qui encadre strictement les réintroductions de contrôles intérieurs (nécessité, proportionnalité, alternatives).
Le défi est double : préserver l’intégrité de l’espace Schengen tout en garantissant une frontière extérieure solide, condition essentielle pour limiter les contrôles intérieurs.
Dans sa chronique pour le Financial Times, Martin Sandbu affirme que si l’UE souhaite exercer pleinement son influence en matière de sanctions, elle doit renoncer au principe d’unanimité, dépasser la gestion au coup par coup, et se doter d’un cadre plus centralisé et efficace.
Cette édition a été préparée par Augustin Bourleaud, Mathieu Solal, Alexis Rontchevsky, Léopold Ringuenet, Thomas Veldkamp et Maxence de La Rochère. À la semaine prochaine !