Bonjour. Nous sommes le 13 octobre et voici la Revue européenne de What’s up EU, votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez-nous également sur LinkedIn.
BRIEFING | Par Anna Crawford
Anna Crawford est chercheuse au European Policy Centre (EPC) à Bruxelles, au sein du programme Sustainable Prosperity for Europe. Elle est originaire de Stockholm.
La semaine dernière, la Commission européenne a présenté de nouvelles mesures destinées à protéger le secteur sidérurgique européen face à la surcapacité mondiale.
La proposition de la Commission — qui prévoit notamment un droit de douane de 50 % sur toutes les importations d’acier qui dépassent certains quotas — constitue un soulagement pour les producteurs européens. Elle n’est cependant pas une solution miracle.
Au cours de la dernière décennie, la production européenne d’acier a connu un déclin continu, passant d’environ 16 % de la production mondiale en 2004 à 7-8 % aujourd’hui. Dans le même temps, la part de la Chine est montée en flèche, passant de 25,8 % à plus de 50 %.
Ce déséquilibre s’explique en grande partie par une production excédentaire. La majeure partie de cet excédent provient de Chine, dont la stratégie industrielle repose sur d’importantes exportations et une consommation domestique limitée.
Plus récemment, la décision de Donald Trump de doubler les droits de douane (de 25 % à 50 %) sur l’acier et l’aluminium a ravivé les craintes européennes : les exportations chinoises initialement destinées au marché américain pourraient être redirigées vers l’UE, aggravant les difficultés des producteurs européens.
“Nous avons besoin de protection, sinon l’industrie sidérurgique ne survivra pas”, déclarait le mois dernier un dirigeant de Thyssenkrupp, le deuxième producteur européen d’acier, au Financial Times.
Introduites pendant la première présidence Trump, les mesures de sauvegarde visent à protéger les producteurs européens contre les afflux soudains d’acier importé.
Elles prennent la forme d’un contingent tarifaire, limitant le volume d’acier importé dans l’UE et imposant un droit de 25 % sur les importations dépassant ce seuil.
Si la proposition de la Commission est adoptée, les quotas seront réduits de près de moitié et les tarifs portés à 50 %.
Si ces mesures promettent un répit aux sidérurgistes européens, elles risquent de tendre les relations avec les partenaires non européens, en particulier le Royaume-Uni.
L’UE constitue en effet le premier marché d’exportation de la sidérurgie britannique, et ces mesures pourraient être fatales pour plusieurs entreprises du secteur. Elles pourraient aussi entraver les efforts de rapprochement post-Brexit — et, plus généralement, avoir un impact négatif sur la perception des partenaires commerciaux de l’UE.
De nombreux économistes estiment que les dirigeants politiques imputent trop facilement les difficultés industrielles à la surcapacité, sans s’attaquer à d’autres problèmes structurels. Le cas de l’acier ne fait pas exception à cette tendance.
Les prix élevés de l’énergie doivent être traités avec la même urgence.
La question risque de devenir de plus en plus cruciale, les processus de production décarbonés nécessitant en général davantage d’électricité par rapport aux procédés industriels traditionnels.
Par exemple, la production d’acier vert requiert en moyenne trois à quatre fois plus d’électricité que celle issue des hauts fourneaux classiques. La fabrication de ciment durable requiert au moins le double.
Les coûts énergétiques élevés constituent donc un frein important à la compétitivité industrielle européenne.
En 2024, le prix de l’électricité dans l’UE était 2,2 fois supérieur à celui des États-Unis et deux fois plus élevé qu’en Chine.
Cela s’explique notamment par la dépendance européenne aux combustibles fossiles importés (en particulier le gaz naturel), un manque d’infrastructures au sein du réseau électrique, et le poids des taxes et redevances sur les factures d’énergie.
Au-delà des prix élevés de l’énergie, la décarbonation industrielle exige des investissements coûteux dans les technologies vertes, ce qui accroît encore la pression sur les secteurs difficiles à décarboner (hard-to-abate sectors), tels que la sidérurgie.
Les mesures commerciales de sauvegarde ont un rôle à jouer : la surcapacité mondiale pèse sur les prix et diminue les bénéfices, réduisant ainsi le capital disponible pour investir dans les technologies vertes.
Toute action visant à lutter contre la surcapacité contribue donc à libérer des ressources pouvant être consacrées à la décarbonation.
Cependant, l’accès au capital constitue un problème plus complexe : la fragmentation du système financier européen limite sa capacité à financer les projets industriels d’envergure et à haut risque nécessaires à la transition écologique.
Les nouvelles mesures de protection sur l’acier — qui devront être approuvées par le Parlement européen et le Conseil — constituent un instrument essentiel pour faire face à la surcapacité mondiale. Si elles sont adoptées, elles remplaceront les dispositifs actuels, qui expirent en juillet 2026.
Le véritable défi pour l’UE réside toutefois dans la résolution de problèmes structurels qui mettent en péril la viabilité de nombreux secteurs de l’industrie.
L’utilisation de mesures protectionnistes risque d’être insuffisante si les problématiques parallèles liées aux coûts élevés de l’énergie et à la fragmentation du système financier ne sont pas traitées en urgence.
LEGAL CHECKING | Avec Les Surligneurs
Un gouvernement démissionnaire ne peut plus agir politiquement : il se limite à expédier les affaires courantes et n’a plus de légitimité pour engager l’État.
Pourtant, à Bruxelles, les ministres français démissionnaires continuent de siéger au Conseil de l’Union européenne, où se décident sanctions, budgets ou encore les quotas de pêche.
Ainsi, en décembre 2024, Michel Barnier venait d’être renversé par une motion de censure. Malgré cela, ses ministres participaient encore aux réunions du Conseil de l’UE : Jean-Noël Barrot défendait la position française sur l’Ukraine et la Syrie, tandis que Fabrice Loher, ministre délégué à la Mer, négociait les quotas de pêche méditerranéens.
Ce paradoxe illustre une particularité européenne : au Conseil, le ministre incarne l’État, quelle que soit la situation politique interne.
Si, en France, la démission suspend la responsabilité, à Bruxelles, elle ne prive pas d’action. L’Union ne connaît ni vacance du pouvoir ni affaires courantes : sa continuité dépasse celle des gouvernements nationaux.
En savoir plus ici.
IN CASE YOU MISSED IT
CENSURE • La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a survécu avec une nette majorité à deux motions de censure lancées les groupes Patriotes pour l’Europe (dirigé par Jordan Bardella) et La Gauche (co-présidée par Manon Aubry).
Les votes ont échoué à réunir la majorité requise : il y au 378 voix contre la motion des Patriotes pour l’Europe (179 pour, 37 abstentions), et 383 contre celle de La Gauche (133 pour, 78 abstentions).
Le groupe Patriotes pour l’Europe reprochait à la Commission ses accords commerciaux avec les États-Unis et le Mercosur, ainsi que sa gestion migratoire et environnementale. À gauche, La Gauche dénonçait le manque d’action sociale et climatique, et la position de la Commission sur le conflit à Gaza.
Les groupes centristes et de la coalition (PPE, Renew, S&D) ont largement soutenu von der Leyen. Les Verts se sont globalement abstenus.
TAXES • Les négociations s'enveniment sur le prochain budget de long-terme de l’UE, le cadre financier pluriannuel (2028-2034).
Le 10 octobre, les ministres des finances de l’UE se sont opposés à un projet de taxe européenne sur les entreprises (CORE) générant plus de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires. Quinze États membres, dont la France, l’Allemagne et l’Italie, s’opposent à cette mesure, dans un contexte tendu pour les économies européennes.
Après la levée de boucliers contre une proposition de taxe européenne sur tabac (TEDOR), il est clair que les Etats membres sont plus prompts à soutenir les dépenses nouvelles qu’à accepter de nouvelles ressources propres européennes pour rembourser les emprunts Covid (NextGenEU) et répondre aux nouveaux enjeux de compétitivité et de défense.
PETITS COLIS • Pour contrer l’explosion des colis low-cost en provenance de Chine via Temu ou Shein, la Roumanie a instauré une taxe de 5 euros sur les importations inférieures à 150 euros. D’autres pays européens vont suivre cette voie dans l’attente d’une mesure au niveau européen.
En mai 2025, la Commission a proposé que 2 euros de “frais de gestion” soient prélevés sur ces colis au prix inférieurs à 150 euros en provenance de pays non-européens. Ces “frais” — la Commission insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une taxe — devraient voir le jour courant 2026. La Commission souhaite que les recettes abondent le budget de l’UE, ce qui ne plaît pas à toutes les capitales.
Ce débat s’inscrit dans la réforme du système douanier européen lancée en 2023. La réforme — qui est toujours en cours de négociation — abolirait le seuil actuel de 150 euros en deçà duquel les marchandises sont exonérées de droits de douane. Jusqu'à 65% de ces colis entrant dans l'UE seraient actuellement sous-évalués afin d'éviter le paiement des droits de douane.
LA TAUPE • La Commission a ouvert une enquête interne sur des allégations visant le commissaire hongrois Olivér Várhelyi, accusé d’avoir été impliqué dans une opération d’espionnage orchestrée par Budapest lorsqu’il était représentant permanent à Bruxelles.
Selon une enquête menée par plusieurs médias européens, des espions sous couverture diplomatique auraient tenté de recruter des fonctionnaires de la Commission de nationalité hongroise.
Pour le CER, Zselyke Csaky analyse les récentes élections en Tchéquie, mettant en avant la bonne performance d’Andrej Babiš ainsi que les difficultés qu’elle entraîne pour la formation d’une coalition et les relations avec l’Union européenne. Dans Transitions, Zsuzsanna Vegh souligne que, si le retour de Babiš marque un renforcement du discours illibéral à Prague, une dérive autoritaire comparable à celle de la Hongrie demeure peu probable.
Merci à Maxence de La Rochère pour son aide dans la préparation de cette édition. À la semaine prochaine !