Virage serré pour le secteur automobile européen • Mais aussi — DMA, Sanctions contre la Russie, Contrôle des investissements sortants, OMC, Autriche
Bonjour. Nous sommes le 21 janvier et voici votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn. Le briefing de la semaine vous est proposé par Mathieu Solal, journaliste européen et rédacteur de BLOCS.
L’industrie automobile européenne risque la sortie de route. Entre tensions géopolitiques, prix de l’énergie élevés, ralentissement des ventes de véhicules électriques et exigences environnementales liées au Green Deal, le secteur appelle les institutions européennes à l’aide.
CHOC DE DEMANDE • Le commissaire Stéphane Séjourné a tenté de rassurer l’industrie automobile européenne, lors d’un premier déplacement dédié au secteur à Stuttgart.
Stéphane Séjourné n’entend pas revenir sur les objectifs ambitieux d’électrification des véhicules compris dans le Green Deal. Il a néanmoins ébauché un plan de soutien à court terme pour le secteur qui sera présenté par la Commission européenne le 26 février.
La ligne choisie : provoquer un "choc de demande" en mettant particulièrement l’accent sur les flottes d’entreprises, lesquelles représentent 58% des achats de véhicules neufs.
Le commissaire voit dans cette option "l'occasion de remplir [les] carnets de commande" et de créer "un marché du secondaire qui n'existe pas sur la voiture électrique".
Stéphane Séjourné a enfin annoncé que le "dialogue stratégique" entre la Commission et l’industrie débuterait dès le 30 janvier. La Commission présentera en outre un plan sectoriel le 26 février, date à laquelle sera aussi proposé le très attendu Pacte pour une industrie propre (Clean Industrial Deal).
CRISES EN CASCADE • Le secteur automobile est frappé par une production en baisse. Fin décembre, Volkswagen a annoncé la suppression de 35 000 emplois sur trois de ses sites allemands.
À court terme, les constructeurs s’estiment menacés par les nouveaux objectifs européens de décarbonation entrés en vigueur le 1er janvier : désormais, aux termes du règlement CAFE (Corporate Average Fuel Economy), la moyenne des émissions des voitures neuves vendues en Europe ne pourra pas dépasser 81 grammes de CO2 par kilomètre. Soit une baisse de 15% par rapport au seuil de 95 gCO2/km qui prévalait jusque-là.
Cette moyenne doit être respectée par chaque constructeur automobile sur sa “flotte” (i.e. sur l’ensemble de voitures neuves vendues pendant l’année).
En cas de dépassement de la limite, chaque gramme excédentaire est facturé 95 euros, et ce, pour chaque voiture immatriculée dans l’année. Les amendes potentielles se chiffrent en centaines de millions d’euros. Fiat, Ford, Mercedes et Volkswagen avaient été parmi les premiers constructeurs à être pénalisés en 2021 — année pendant laquelle le premier seuil était entré en application.
Dès septembre dernier, l’association des constructeurs européens de voitures (ACEA) avait tiré la sonnette d’alarme, de nombreux constructeurs automobiles européens — dont Renault, Volvo et Volkswagen — estimant qu’ils ne seraient pas en mesure de respecter ces règles.
REBOND ATTENDU • En cause, principalement : la baisse de part de marché de l’électrique, qui n’a représenté que 13% des ventes en 2024, bien loin des 25% que les constructeurs devraient atteindre en moyenne pour respecter les nouveaux seuils.
Un rebond est attendu cette année, avec le lancement prévu de 160 nouveaux modèles de véhicules électriques. Cela devrait entrainer une augmentation de 40% de la production et permettre aux véhicules à batterie d’atteindre une part de marché de 22%.
La demande reste néanmoins incertaine, ce qui incite d’ores et déjà certains constructeurs à augmenter les prix de leurs voitures thermiques et baisser celui de leurs voitures électriques.
Autre stratégie déployée par anticipation : le pooling, consistant à créer des partenariats avec les constructeurs de voitures électriques, comme l’américain Tesla ou les chinois BYD et Geely, afin que les émissions des flottes soient calculées collectivement.
Une option qui pourrait en pratique revenir à pousser les constructeurs européens à acheter des millions d’euros de crédits carbone à leurs concurrents chinois. Ce résultat semble absurde, au vu des sanctions commerciales mises en place par l’UE sur les véhicules électriques chinois (lire notre édition sur le sujet).
PÉKIN & WASHINGTON • Menacée par des mesures de rétorsions, l’industrie européenne semble par ailleurs préconiser l’apaisement face à la Chine.
Ola Källenius, nouveau président de l’ACEA et par ailleurs PDG de Mercedes Benz, a ainsi appelé la semaine dernière à faciliter la construction d’usines chinoises sur le sol européen.
Källenius a par ailleurs déclaré que les tarifs douaniers nuiraient à l'industrie et que Bruxelles devrait trouver un compromis avec Pékin pour les supprimer. L'Europe dépend notamment à 80% de la Chine pour les métaux rares, indispensables à la fabrication des batteries.
“Je ne peux pas accepter que nous nous retrouvions dans l'incapacité d'approvisionner nos usines de batteries à cause de tensions diplomatiques”, a affirmé Stéphane Séjourné.
L’ACEA préconise également de calmer le jeu vis-à-vis des Etats-Unis, qui représentent plus d’un cinquième des exportations de voitures européennes.
L’association a appelé à ce que l’UE aille vers un “grand compromis” (grand bargain) avec les Etats-Unis — Donald Trump a menacé d’augmenter les droits de douane de 10% à 20% sur l’ensemble des importations.
Partenariat commercial avec InterBev
Du Mercosur au défi de la souveraineté alimentaire, les sujets ne manquent pas pour les filières agricoles. Le site Agriculture circulaire entend laisser la parole à ceux qui font et pensent l’agriculture en plaçant l’élevage herbager au cœur de la réflexion. Dans le dernier article pour Agriculture Circulaire, Yannis Constantinidès prend une perspective historique et philosophique sur la consommation de viande. C’est à lire ici.
DMA • La Commission européenne serait en train de reconsidérer l’issue de trois enquêtes concernant respectivement Apple, Meta et Google, selon des informations du FT.
Ces enquêtes ont été ouvertes en mars 2024 dans le cadre du Digital Markets Act (DMA), le règlement européen visant à rendre les marchés numériques plus ouverts. Les trois entreprises risquent des amendes allant jusqu’à 10% de leur chiffre d'affaires annuel en cas de non-conformité.
Elles sont suspectées de ne pas s’être conformées à leurs obligations en matière d'auto favoritisme (Google Search), d’anti-steering (le fait de ne pas permettre aux entreprises d’orienter gratuitement les utilisateurs vers des offres plus avantageuses hors des app stores — Google Play et Apple Store) ou encore d’utilisation des données personnelles (Facebook).
Selon le FT, la Commission européenne serait en attente “d'orientations politiques” pour prendre des décisions finales à l’issue de ces enquêtes. L’incertitude autour de l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, ainsi que sa proximité avec Elon Musk et Zuckerberg, n’y sont pas pour rien.
L’eurodéputée Stéphanie Yon-Courtin a réagi à la nouvelle en écrivant une lettre adressée à Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne. Elle appelle la Commission à ne pas “céder sous la pression” et à appliquer le règlement de manière “impartiale et effective”.
SANCTIONS • La Hongrie risque de ne pas voter en faveur du renouvellement des sanctions de l’UE contre la Russie — qui requiert un vote à l’unanimité au Conseil — ce qui entraînerait notamment le dégel de 190 milliards d’euros d’avoirs russes dès le 31 janvier.
Les bénéfices générés par ces actifs sont pourtant cruciaux pour le soutien à l’Ukraine : ils ont vocation à rembourser un prêt de 50 milliards de dollars à Kiev. Les actifs gelés pourraient être immédiatement transférés à la Russie si les sanctions ne sont pas renouvelées.
Les avoirs sont détenus par Euroclear, dépositaire central de titres basé en Belgique. Une solution envisagée serait d’avoir recours au droit national belge : l’utilisation d’un décret datant de 1944, qui permet au roi belge Philippe de bloquer le transfert d’actifs hors du pays, serait en discussion.
La Belgique a pour le moment évité la prise de sanctions nationales contre la Russie par crainte de s’exposer à des recours juridiques russes, notamment sur la base de la violation d’un traité bilatéral d’investissement liant la Belgique à la Russie.
Le Premier ministre hongrois Viktor Orbán avait fait part en décembre de son intention d’utiliser son veto contre le renouvellement des sanctions européennes en cas d’assouplissement des sanctions américaines contre la Russie après l'investiture de Donald Trump.
INVESTISSEMENTS SORTANTS • Le 15 janvier, la Commission européenne a publié des recommandations concernant le contrôle des investissements sortants (outbound investment) réalisés par les entreprises européennes vers des pays tiers.
L’UE dispose déjà d’un mécanisme de filtrage des investissements directs étrangers réalisés sur le territoire européens, mais ne dispose pas d’un instrument permettant de contrôler les investissements sortants.
Il y a un an, la Commission européenne publiait un livre blanc sur le sujet, première étape vers la création d’un mécanisme de contrôle.
Les recommandations publiées le 15 janvier appellent les Etats membres à examiner l’impact des investissements sortants de leurs entreprises sur la sécurité économique, et ce dans trois secteurs : les semi-conducteurs, les technologies liées à l’intelligence artificielle et les technologies quantiques.
Les Etats membres devront soumettre un rapport à la Commission d’ici le 30 juin 2026.
OMC • La Commission envisage d’abandonner une plainte déposée en 2022 auprès de l’OMC contre la Chine. La plainte concerne les restrictions commerciales qui auraient été mises en place par Pékin contre la Lituanie en 2021, en réaction à l’ouverture d’un bureau de représentation taïwanais dans la capitale lituanienne, Vilnius.
L’UE, initialement soutenue par 17 pays tiers, accuse Pékin de coercition économique. Cependant, l’absence de preuves solides compromettrait les chances de succès de la plainte, selon les informations de Bloomberg.
L’enjeu actuel, principalement procédural, repose sur la question de savoir si le groupe spécial établi par l’OMC poursuivra ses travaux. L’UE avait suspendu ces derniers le 25 janvier 2024, laissant ainsi la plainte expirer automatiquement si aucune relance n’est demandée avant le 25 janvier 2025.
Washington insiste sur la reprise de la procédure et considèrerait un abandon de la plainte comme un signal de faiblesse face à la Chine.
En parallèle, l’UE vient de faire une demande de consultations à l’OMC contre la Chine concernant des pratiques commerciales “déloyales et illégales” en matière de propriété intellectuelle. Plus d’informations ici.
AUTRICHE • Le chancelier intérimaire autrichien, Alexander Schallenberg, a rencontré les dirigeants européens la semaine dernière.
Après la démission du chancelier Karl Nehammer début janvier suite à l’échec des négociations pour une coalition centriste, le poste pourrait revenir à Herbert Kickl, chef du Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ).
Ce parti d’extrême droite a remporté les élections de septembre dernier avec 29% des suffrages. Herbert Kickl ne cache pas son euroscepticisme et ses inclinations pro-russes. Le FPÖ a utilisé le concept de “remigration” — le fait d’expulser des individus d’origine non-autrichienne — pendant la campagne.
À Bruxelles, Schallenberg s’est entretenu avec le président du Conseil européen António Costa, la présidente du Parlement Roberta Metsola et la cheffe de la diplomatie européenne Kaja Kallas. Il a cherché à les rassurer sur l’engagement de l’Autriche concernant les valeurs de l’UE et le soutien à l’Ukraine.
LE RESTE • L’UE a annoncé un nouveau train de mesures d’aide humanitaire d’une hauteur de 120 millions d’euros à Gaza, à la suite de l’accord de cessez-le-feu.
Le groupe des Conservateurs et réformistes européens (ECR) a élu son nouveau président : le Polonais Mateusz Morawiecki, membre du PiS. Il prend la relève de Giorgia Meloni et a annoncé vouloir renforcer les liens avec le Parti populaire européen (PPE).
Un rapport du Kyiv School of Economics Institute et deux ONG analyse la manière dont les imôts payés par les entreprises étrangères restées en Russie remplissent les caisses de Moscou. Un résumé du FT est disponible ici.
Ne manquez pas la dernière édition de BLOCS : Comment Pékin se prépare au choc Trump.
L’essor des économies du sud de l’Europe est le sujet d’un article d’Olaf Storbeck, Eleni Varvitsioti, Barney Jopson et Amy Kazmin dans le FT.
Dans Silicon Continent, Pieter Garicano soutient que les responsables politiques européens devraient moins se préoccuper d’Elon Musk et de X, et davantage de TikTok, une plateforme sous le contrôle d'un “rival systémique”.
Erratum : dans notre dernière édition, nous avons évoqué le soutien d’Elon Musk à Nigel Farage — ce soutien appartient cependant au passé.
Cette édition a été préparée par Augustin Bourleaud, Mathieu Solal, Lidia Bilali, Luna Ricci, Antoine Langrée, Léopold Ringuenet, et Maxence de La Rochère. À la semaine prochaine !