Tournant à droite pour Omnibus I

La Revue européenne
5 min ⋅ 17/11/2025

Bonjour. Nous sommes le 17 novembre et voici la Revue européenne de What’s up EU, votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn


BRIEFING | Par Anna Crawford

Tournant à droite pour Omnibus I 

Anna Crawford est chercheuse au European Policy Centre (EPC) à Bruxelles, au sein du programme Sustainable Prosperity for Europe. Elle est originaire de Stockholm.


Le 13 novembre, le Parlement européen a adopté sa position sur le premier paquet Omnibus, un ensemble de propositions législatives visant à simplifier les obligations de reporting et de vigilance en matière de durabilité pour les entreprises.

Ce texte, qui réduit considérablement le nombre d’entreprises soumises aux règles en question, servira désormais de base aux négociations avec le Conseil, les trilogues.

Quesaco ?

Présenté en février, le paquet Omnibus I vise à réviser plusieurs textes phares du Pacte vert européen :

  • La directive sur le reporting des entreprises en matière de durabilité (CSRD), qui impose aux sociétés de publier leurs impacts environnementaux et sociaux ;

  • La directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CS3D), contraignant les entreprises, à partir de 2027, à identifier et à prévenir les risques liés aux droits humains et à l’environnement dans leurs chaînes d’approvisionnement ;

  • Le règlement sur la taxonomie, qui définit les activités économiques considérées comme durables au sein de l’UE.

Ensemble, ces dispositifs visent à créer un cadre cohérent  : la CSRD se concentre sur la transparence, la CS3D sur l’action. Les investisseurs bénéficient ainsi de données standardisées sur les risques ESG, censées orienter les capitaux vers les acteurs les plus vertueux.

Le mouvement en faveur d’une dérégulation reflète le virage politique amorcé par le Parti populaire européen (PPE), passé du rôle de pionnier climatique à celui de critique du Pacte vert. Ce virage, entamé avant les élections européennes de 2024, s’est accéléré ces derniers mois.

La droite européenne dénonce le coût excessif des politiques environnementales dans un contexte d’inflation persistante, de prix élevés de l’énergie et de concurrence internationale accrue, notamment avec les États-Unis et la Chine.

Certains pays, dont les États-Unis et le Qatar, ont virulemment critiqué la portée extraterritoriale et les mécanismes de responsabilité civile prévus par la CS3D, appelant Bruxelles à revoir sa copie.

Ambition revue à la baisse

La Commission proposait initialement d’alléger les obligations de reporting du CSRD en ne les imposant qu’aux entreprises de plus de 1 000 salariés, contre 250 auparavant. 

La proposition voyait la CS3D conserver son seuil initial tout en recentrant la vigilance sur les partenaires commerciaux directs, sauf en cas d’indices plausibles de risques en aval de la chaîne d’approvisionnement.

La position adoptée par le Parlement va plus loin :

  • La CSRD ne concernerait plus que les entreprises de plus de 1 750 salariés atteignant 450 millions d’euros de chiffre d’affaires ;

  • La CS3D ne concernerait plus que les entreprises de plus de 5 000 salariés atteignant 1,5 milliard d’euros de revenus ;

  • Les entreprises n’auraient plus à élaborer de plan de transition aligné sur l’Accord de Paris ;

  • La responsabilité en cas de manquement relèverait désormais des États membres, non plus des institutions européennes.

Les partisans du texte saluent un “recentrage” nécessaire pour préserver la compétitivité européenne. Ses détracteurs — ONG, écologistes et élus progressistes — y voient un recul majeur pour la protection de l’environnement et des droits humains, et dénoncent l’influence croissante des lobbys et de l’aile du Parlement située à droite du PPE.

Le nouveau visage des “omnibus”

Historiquement, les lois omnibus servaient à regrouper des ajustements techniques sans modifier la substance des réglementations. 

La nouvelle approche de la Commission en fait des instruments de réouverture de récents dossiers afin de mettre en place des assouplissements substantiels, tout en contournant certaines garanties démocratiques, telles que les consultations publiques ou les études d’impact.

Certains juristes estiment que le paquet Omnibus I pourrait enfreindre le droit européen et créer un dangereux précédent pour l’état de droit.

Compromis ou compromission ?

Le PPE a fait adopter le texte en scellant une alliance inédite avec les groupes d’extrême droite, après l’échec des discussions avec les libéraux de Renew Europe et les socialistes.

Le projet a été approuvé avec 382 voix contre 249, grâce au soutien des Patriotes pour l’Europe (PfE), de l’Europe des Nations Souveraines (ESN) et des Conservateurs et réformistes européens (ECR).

Cette entente a suscité une condamnation transpartisane : la gauche, le centre et la société civile y voient une rupture du cordon sanitaire.

  • “Le vote d’aujourd’hui marque un triste moment pour nos valeurs européennes”, a déclaré Kira Marie Peter-Hansen, négociatrice des Verts. 

  • Le groupe de la Gauche y voit une “alliance fasciste-conservatrice” qui restera dans les annales.

Et maintenant ?

Le Parlement et le Conseil entameront leurs trilogues le 18 novembre, avec pour objectif de finaliser la législation avant la fin de 2025. Le compromis devra ensuite être validé par les deux institutions avant son adoption finale.

Au-delà du débat réglementaire, l’épisode acte un réalignement profond au sein du Parlement européen : le PPE paraît désormais prêt à nouer des alliances opportunistes, y compris avec l’extrême droite, pour faire mener à bien ses objectifs.


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L’avenir de la souveraineté alimentaire se joue dans les prairies

Alors que la France cherche à concilier autonomie alimentaire, transition écologique et vie rurale, l’agriculture circulaire s’affirme comme un modèle d’avenir. 

Fondée sur la synergie entre cultures, élevage et territoires, elle remet la terre, l’herbe et les éleveurs au centre de la durabilité. Ce modèle vertueux repose sur une boucle simple : le végétal nourrit l’animal, l’animal fertilise le sol et le sol régénéré nourrit à nouveau le végétal.

L’élevage herbager y occupe une place clé. En valorisant les prairies permanentes, il favorise la captation du carbone, la filtration de l’eau et la biodiversité tout en soutenant une économie locale résiliente. Plus qu’une technique agricole, c’est une vision du lien entre production, territoire et société.

Pour découvrir ce modèle d’avenir et les initiatives qui le portent, rendez-vous sur le site agriculture-circulaire.fr.


IN CASE YOU MISSED IT

Ce qu’il ne fallait pas manquer

OMNIBUS NUMÉRIQUE • La Commission présentera le 19 novembre son projet d’Omnibus numérique. 

L’objectif est de rationaliser et simplifier la réglementation européenne en matière numérique, y compris le RGPD et le règlement sur l’intelligence artificielle. 

Les principales réformes envisagées incluent la création d’un guichet unique pour les signalements de violations, le relèvement des seuils de déclaration et un report de l’application des règles aux systèmes d’IA à haut risque. 

L’initiative vise à alléger les contraintes pesant sur les petites entreprises et à harmoniser les règles à l’échelle européenne.

Le centre et la gauche du Parlement européen ont déjà rejeté le projet, estimant qu’il affaiblit les protections des données et la souveraineté numérique de l’UE. 

Les Verts, les Socialistes et Renew ont adressé des lettres demandant son retrait, accusant la Commission de céder face aux intérêts des géants technologiques américains.

Face à une opposition transpartisane, Ursula von der Leyen pourrait devoir s’appuyer sur la droite pour obtenir l’adoption du texte, alors que les États membres demeurent divisés sur les modifications du RGPD.

UKRAINE • Les dirigeants européens restent engagés dans un bras de fer autour de l’utilisation de 140 milliards d’euros d’avoirs russes gelés, détenus principalement par la société Euroclear en Belgique, afin de financer un prêt d’envergure pour l’Ukraine.

Le Premier ministre belge Bart De Wever continue de s’opposer à ce plan, invoquant des risques juridiques et financiers majeurs en cas de restitution future des fonds à la Russie. Il réclame des garanties solides et une répartition de la responsabilité entre les États membres.

Ursula von der Leyen pilote les discussions pour sortir de l’impasse, tout en évoquant des alternatives telles qu’un endettement commun de l’UE ou des financements nationaux. Ces pistes se heurtent toutefois à l’opposition des pays les plus endettés et des frugaux.

Alors que Kiev risque une crise de liquidités dès le début de l’année prochaine, la pression s’intensifie pour trouver une solution, rendant l’utilisation des avoirs russes la voie privilégiée par la majorité des États membres.

ROYAUME-UNI • Le Conseil de l’UE a convenu de lancer des négociations avec le Royaume‑Uni pour réduire les frictions commerciales post‑Brexit, mais les discussions se compliquent en ce qui concerne les contributions financières britanniques au budget européen.

La France mène la demande d’une participation du Royaume‑Uni aux fonds de cohésion liés à la coopération énergétique, tandis que le montant d’accès au programme européen de réarmement SAFE divise toujours. 

Londres souhaite une réduction de 50 % de sa contribution à Erasmus+, mais l’UE ne propose que 30 %. 

PETITS COLIS • Les ministres européens des Finances ont approuvé l’instauration de droits de douane sur les petits colis expédiés via des plateformes comme Shein, Temu ou Alibaba, dès le début de 2026 — deux ans plus tôt que prévu. 

L’exonération actuelle pour les marchandises d’une valeur inférieure à 150 euros sera progressivement supprimée, remplacée par un tarif forfaitaire jusqu’à la mise en place d’un système douanier centralisé en 2028.

Selon la Commission, près de 65 % des petits colis entrant dans l’UE seraient aujourd’hui sous‑déclarés, permettant d’éluder droits et taxes, et privant les États membres de recettes douanières importantes.


Les lectures de la semaine 

  • Luis Garicano, Bengt Holmström et Nicolas Petit ont publié un manifeste pour une “Constitution de l’innovation”, dans lequel ils plaident pour des réformes institutionnelles ambitieuses afin de remettre la croissance au cœur du projet européen.

  • Le FT soutient que l’UE doit “repenser” l’AI Act.


Merci à Maxence de La Rochère pour son aide dans la préparation de cette édition. À la semaine prochaine !

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