Mais aussi - Omnibus, Avoirs Gelés, Chine, 28e régime
Bonjour. Nous sommes le 27 octobre 2025 et voici la Revue européenne de What’s up EU, votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn.
BRIEFING | Par Benoit Cormier
Benoit Cormier est Managing Director chez Teneo à Bruxelles, spécialisé en affaires européennes et internationales, défense, concurrence et communication. Il a auparavant été diplomate français à Washington, Hong Kong et Bruxelles, et a travaillé pour la Banque mondiale ainsi que la Commission européenne.
Le 16 juillet, alors que beaucoup d’européens étaient en vacances, la Commission a dévoilé sa proposition pour le prochain budget de l’UE, appelé le Cadre financier pluriannuel (CFP). Il couvrira sept années, de 2028 à 2034, pour un montant de 2 000 milliards d’euros, soit environ 1,25% du revenu brut de l’UE.
Selon la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, il s’agit d’un plan “conçu pour une nouvelle ère”, annonçant une évolution dans la manière dont l’UE finance la défense, la compétitivité, la migration et l’action extérieure.
Le budget de l’UE représente actuellement environ 200 milliards d’euros par an. Le plan de la Commission ferait grimper ce chiffre à près de 300 milliards. Cette augmentation (+50%) n’a pas échappé aux capitales européennes.
Les gouvernements européens sont conscients que cette proposition de budget à la hausse intervient alors que l’Europe doit répondre à des chocs extérieurs multiples. Mais la plupart des gouvernements restent réticents à dépenser plus au niveau européen parce que leur situation économique est difficile.
Les Etats membres doivent se mettre d’accord à l’unanimité au sein du Conseil sur le prochain CFP — l’actuel prenant fin en 2027. Le Parlement européen doit aussi donner son consentement. Le processus va durer environ deux ans. Ce timing peut paraître long, mais il est en réalité très serré au vu des ambitions de la Commission et du long processus d’amendements attendu jusqu'en 2027.
La nouvelle architecture proposée par la Commission conserve les fonds préalloués pour la cohésion et l’agriculture, et ajoute des piliers consacrés à la compétitivité et à l’action extérieure. En plus de détail :
La technologie est la grande gagnante, avec des fonds multipliés par cinq.
La défense passe de quasiment rien à environ 130 milliards d’euros sur un total de 2 000 milliards pour 2028-2034.
Triplement des crédits pour la gestion des migrations et des frontières, doublement des efforts pour la recherche.
Consciente du scepticisme des Etats membres à l’égard de nouvelles contributions nationales au budget européen et afin de maintenir les contributions nationales stables, la Commission propose cinq “ressources propres” européennes :
Une part accrue des recettes du marché carbone (environ 10 milliards d’euros/an) et du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (environ 1,5 milliard d’euros/an).
Des ressources nouvelles via une taxe sur les déchets électroniques non collectés (environ 15 milliards d’euros/an), une taxe sur le tabac (environ 11 milliards d’euros/an).
La ressource CORE (Corporate Resource for Europe), un prélèvement forfaitaire sur les entreprises réalisant plus de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires, soit environ 7 milliards d’euros/an.
En complétant avec des ajustements sur les ressources existantes, la Commission estime que ce budget modernisé pourrait financer ses priorités et le service de la dette sans mettre les budgets nationaux sous tension.
Une caractéristique phare du projet de CFP est le passage à des “plans de partenariat nationaux et régionaux”, c’est-à-dire des enveloppes budgétaires plus larges regroupant agriculture, cohésion, politiques sociales, gestion migratoire et autres, dans un cadre de performance par pays.
Selon la Commission, ce cadre favoriserait les synergies, réduirait les lourdeurs administratives et adapterait les fonds aux besoins locaux, tout en garantissant des dispositifs de sauvegarde pour le soutien aux revenus agricoles et que les régions moins favorisées reçoivent au moins autant qu’aujourd’hui.
Mais l’idée de regrouper les fonds agricoles et de cohésion fait l’objet de vives critiques de la part des régions, agriculteurs, ministres de l’Agriculture et députés européens, où une majorité semble désormais s’opposer à la réforme.
Les premières réactions en commission du budget au Parlement ont été glaciales. Les corapporteurs ont estimé que la proposition était “tout simplement insuffisante” face aux défis de l’Europe, et ont critiqué le regroupement de nombreux programmes dans des plans nationaux, y voyant un risque de renationalisation de la politique européenne. Les eurodéputés contestent aussi l’affirmation selon laquelle le budget n’est pas en hausse une fois le remboursement de la dette déduit.
D’un point de vue juridique, le Parlement ne peut pas purement et simplement bloquer la proposition, mais il peut refuser le budget final une fois voté par les capitales. Si les groupes PPE et S&D s’y opposent, ils seraient proches d’une minorité de blocage au Parlement.
Les États membres se montrent également sceptiques. Les ministres des Affaires européennes en ont débattu il y a quelques jours, l’Allemagne réclamant une “réduction globale d’une proposition beaucoup trop élevée” et menant la fronde au nom des contributeurs nets.
La France et la Pologne estiment, elles, que les piliers agriculture et cohésion ne reçoivent pas assez de crédits par rapport à la compétitivité. En outre, toute nouvelle “ressource propre” nécessite une adoption à l’unanimité, ce qui complique davantage les ambitions de la Commission.
Trois facteurs détermineront la négociation dans les deux prochaines années. D’abord, la taille et l’étendue du pilier compétitivité, où il faudra concilier politique industrielle, montée en gamme technologique et sécurité des chaînes d’approvisionnement avec contraintes budgétaires et souci de souveraineté. Ensuite, la question politique des nouvelles ressources propres européennes, plusieurs capitales s’opposant par principe à des taxes européennes. Enfin, la gouvernance : si le pilotage par plans nationaux devient la règle, auditeurs et eurodéputés exigent un contrôle renforcé.
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OMNIBUS • Le 22 octobre, le Parlement européen a rejeté le mandat de négociation sur le paquet législatif Omnibus I, qui vise à simplifier les directives sur le reporting en matière de durabilité (CSRD) et le devoir de vigilance (CS3D).
La proposition de la Commission européenne prévoit d’une part, de relever de façon significative les seuils d’application de la CS3D : seules les entreprises de plus de 5 000 salariés et réalisant plus de 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires serait soumises à ces exigences de vigilance.
D’autre part, le volet CSRD vise principalement un report des échéances et une limitation du volume d’information à fournir, pour réduire la charge du reporting de durabilité.
En séance plénière, le compromis soutenu par la coalition centriste (PPE, S&D, Renew) n’a pas tenu, malgré un accord en commission il y a deux semaines.
Le vote a été serré : 318 voix contre, 309 pour et 34 abstentions, illustrant la fragmentation des positions entre et au sein des groupes politiques. À neuf voix près, le mandat de négociation aurait pu être adopté. Le rejet est une défaite pour le PPE, qui a mené les négociations en commission.
Difficile de savoir exactement ce qu’il s’est passé : le vote était à bulletin secret, une demande des groupes à la droite du PPE (PfE, ECR, ESN) visant à faire en sorte que les députés de la coalition se sentent libres de faire défection.
Certains élus centristes et du groupe des socialistes ont probablement rejoint l’opposition, parce qu’ils jugeaient que les simplifications affaiblissaient à outrance les directives.
Le texte sera remis sur la table en plénière le 13 novembre. Cette fois-ci, les eurodéputés voteront sur les amendements en plénière (et non en commission).
L’objectif est de parvenir à une adoption du paquet Omnibus I d’ici la fin de l’année, alors que de nombreux partenaires commerciaux de l’UE, dont les Etats-Unis et le Qatar, font pression sur l’UE pour qu’elle simplifie ses règles en matière de due diligence.
AVOIRS GELÉS • Lors du Conseil européen du 23 octobre, la Belgique a mis un coup d’arrêt à la proposition de la Commission d’utiliser jusqu’à 140 milliards d’euros d’avoirs russes gelés pour accorder un prêt à l’Ukraine.
Ce prêt serait remboursé par l’Ukraine une fois des réparations payées par la Russie dans le cadre d’un accord de paix. La proposition avait déjà été débattue lors d’un Conseil européen informel le 1er octobre. Le premier ministre belge Bart De Wever avait alors émis de nombreuses réserves.
Les avoirs russes gelés sont en effet détenus en grande majorité par Euroclear à Bruxelles. Ce serait donc la Belgique qui serait la cible d’une éventuelle action en justice de la Russie.
Bart De Wever estime qu’il n’existe pas de base juridique solide permettant à l’UE d’utiliser ces avoirs gelés dans le cadre d’un prêt et qu’il faudrait une mutualisation complète du risque dans le cas où la Belgique devait rembourser la Russie.
D’ici le prochain Conseil européen, qui se déroulera en décembre, la Commission a été chargée d’explorer des pistes pour faciliter un accord entre Etats membres sur la question.
28e RÉGIME • La Commission a présenté son programme de travail pour 2026 le 21 octobre. Elle prévoit de proposer au premier trimestre 2026 un “28e régime” pour créer une entité juridique européenne commune.
La proposition de la Commission prend pour base les articles 50 et 114 TFUE, ce qui suggère qu’une directive (et non un règlement) sera proposée. Un règlement aurait instauré un cadre juridique unique applicable directement dans toute l’UE, alors qu’une directive laisse aux États membres une marge d’interprétation, risquant de maintenir certaines divergences entre marchés nationaux.
Ce choix provoque la colère des startups, qui réclament un règlement garantissant une véritable harmonisation transfrontalière. Elles dénoncent une trahison de l’esprit d’un cadre unique promis par la Commission. Le texte pourrait encore évoluer avant sa présentation officielle.
CHINE • L’UE et la Chine tiendront des négociations sur les matières premières critiques cette semaine. Pékin a récemment renforcé ses restrictions à l’exportation, essentiellement sur les terres rares, provoquant des tensions et des perturbations pour les industries européennes dépendantes de ces ressources.
Par ailleurs, Ursula von der Leyen a dévoilé le 25 octobre un futur plan “RESourceEU”, visant à diversifier les partenaires d’approvisionnement (Australie, Canada, Chili…), à encourager le recyclage et à renforcer la résilience des chaînes de valeur stratégiques.
Pour le Grand Continent, Mario Draghi propose sa vision d’un “fédéralisme pragmatique”.