Règlement déforestation : l’arbre qui cache la forêt

La Revue européenne
5 min ⋅ 20/10/2025

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BRIEFING | Par Pierre Leturcq

Règlement déforestation : l’arbre qui cache la forêt

Pierre Leturcq est expert associé auprès des think tanks E3G et IEEP, consultant en affaires européennes et enseignant à Sciences Po. Il est le fondateur et coordinateur du Green Trade Network, un réseau de spécialistes des rapports entre commerce international et protection de l’environnement.


Trois mois à peine après l’accord de Turnberry, les Etats-Unis remettent la pression pour pousser l’UE à reculer sur des textes environnementaux, selon un “position paper” du gouvernement américain consulté par le Financial Times

Les ambitions climatiques de l’UE semblent être devenues une monnaie d’échange dans les négociations commerciales avec les Etats-Unis. A moins que cette explication soit un bon alibi pour une Commission désireuse de raboter son agenda vert.  

Attaques trumpiennes 

La déclaration conjointe du 21 août entre l’UE et les Etats-Unis avait déjà annoncé la couleur. La Commission s’engageait à répondre aux “préoccupations américaines”  suscitées par des textes clés du Green Deal européen : 

  • Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) . Le MACF vise à taxer les importations de produits à forte intensité carbone pour éviter les délocalisations d’émissions et assurer une concurrence équitable avec les producteurs européens. 

  •  La directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CS3D). La CS3D impose aux grandes entreprises d’identifier, prévenir et remédier aux atteintes aux droits humains et à l’environnement dans leurs chaînes de valeur. 

  • La directive sur la publication d’informations en matière de durabilité des entreprises (CSRD). La CSRD oblige les entreprises à publier des informations détaillées sur leurs impacts environnementaux, sociaux et de gouvernance. 

  • Le règlement sur la déforestation importée. Il interdit la mise sur le marché, l’importation et l’exportation de produits comme le bois, le cacao, le café, l’huile de palme, le soja, le caoutchouc, la viande bovine s’ils proviennent de terres déboisées ou dégradées. 

Le MACF, la CS3D, la CSRD et le règlement sur la déforestation importée étaient des piliers des ambitions environnementales portées par la Commission von der Leyen I, mais ont été significativement rabotés après les élections du Parlement européen en 2024.

  • Sous la pression du PPE et à travers les "paquets Omnibus", la Commission cherche à simplifier sa législation environnementale et à alléger le fardeau administratif pesant sur les entreprises. 

  • Cette volonté de rationalisation a entraîné l’exemption de nombreux opérateurs et la réduction des exigences, illustrant un rééquilibrage entre transition écologique et compétitivité économique dans la nouvelle phase politique.

A titre d’exemple, la nouvelle mouture de la CS3D adoptée le 13 octobre par le Parlement européen réduit significativement son champ d’application dans la phase initiale. 

Celle-ci s'applique à partir de 2028 aux entreprises de plus de 5000 salariés et de plus de 1,5 milliards de chiffre d'affaires annuel, contre 1000 salariés et 450 millions d’euros de CA dans la version précédente. Les obligations des entreprises pour mettre en œuvre l’accord de Paris et la loi Climat européenne sont également allégées. 

Les reports répétés du règlement sur la déforestation importée 

Le règlement sur la déforestation importée est particulièrement symptomatique des atermoiements de la Commission. 

Fin septembre, la commissaire à l’environnement Jessika Roswall, proposait un nouveau report de l’entrée en vigueur du règlement, qui s'appliquerait seulement à partir de fin 2026, contre fin 2025 actuellement. 

Cette annonce est intervenue le jour même de la conclusion de l’accord UE-Indonésie — un des principaux exportateurs d’huile de palme vers l’UE.  

Selon la Commission, ses systèmes informatiques ne seraient pas prêts à absorber la quantité de données des importateurs qui auront à déclarer l’origine géographique de leurs produits. En coulisses à Bruxelles, cette justification ne convainc pas. 

La Commission a eu plus de trois ans pour se préparer à cette entrée en vigueur, déjà repoussée d’un an. La commissaire Teresa Ribera a indiqué quelques jours après qu’une année de report lui semblait un délai trop long et que les obstacles techniques devraient pouvoir être surmontés en un temps plus court. 

Cette prise de parole a ajouté à la confusion ambiante sur le devenir des législations environnementales à portée extraterritoriale.

Une accélération du calendrier de négociations commerciales 

Parallèlement à ce ralentissement du calendrier environnemental, la Commission européenne souhaite accélérer la signature d’accords commerciaux majeurs, notamment avec le Mercosur. 

  • La Commission présentait le 8 octobre des mesures de sauvegarde agricoles censées calmer les tensions générées par la conclusion à venir de l’accord avec les pays du Mercosur. La Commission souhaite signer le texte définitif le 5 décembre prochain lors d’un sommet au Brésil. 

  • Le texte prévoit qu’une enquête soit ouverte si les importations de produits sensibles (comme le bœuf ou la volaille) augmentent de plus de 10 % en un an et que les prix chutent de 10 %. 

Ces différents accords répondent en priorité aux impératifs de diversification et de sécurité économique poursuivis par la Commission. Le Brésil est un exportateur majeur de bauxite, de graphite, et de manganèse. L’Indonésie exporte du nickel et de cobalt, des minerais critiques essentiels à la transition énergétique. 

Ces deux accords commerciaux restent cependant très éloignés des velléités affichées en matière de durabilité dans la nouvelle stratégie commerce et développement durable présentée par la Commission en 2022. Leurs dispositions sur les questions environnementales demeurent non sanctionnables et surtout pas spécifiques aux enjeux environnementaux de ces partenaires.


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Ce qu’il ne fallait pas manquer

EUCO • Le Conseil européen se réunit le 23 octobre à Bruxelles pour une réunion centrée sur le soutien à l’Ukraine et le renforcement de la pression sur la Russie. 

Les dirigeants européens discuteront également de la défense européenne à l’horizon 2030, afin d’améliorer la coordination et la résilience face aux menaces hybrides. 

Trois priorités économiques domineront les débats : simplification administrative, compétitivité climatique et autonomie numérique. Le logement abordable sera abordé comme enjeu social majeur. Le sommet inclura aussi un échange sur la situation économique, l’euro numérique, la paix à Gaza, et la poursuite des travaux sur la migration.

RETRAITES • Selon Politico, la Commission envisage de conditionner les versements du futur budget européen 2028‑2034 à la mise en œuvre de réformes nationales des retraites. 

Cette initiative, inspirée du modèle du plan de relance post‑Covid, suscite déjà de fortes réticences politiques, plusieurs gouvernements redoutant qu’elle ne ravive les tensions sociales autour des retraites. 

Sur proposition de la Commission, le Conseil de l’UE adopte chaque année des recommandations de politique économique spécifiques à chaque pays dans le cadre du semestre européen. L’idée serait ici d'accroître le caractère incitatif de ces recommandations en conditionnant le versement de certains fonds européens à des réformes.  

L’objectif serait de renforcer la viabilité financière des systèmes publics face au vieillissement démographique, tout en incitant les citoyens à épargner davantage pour leur retraite. La Commission n’imposerait pas d’âge légal, mais pourrait réduire les paiements aux pays qui ignoreraient ses recommandations économiques. 

MARCHÉS PUBLICS • La révision des directives européennes sur les marchés publics est un gros chantier. Les marchés publics représentent environ 2 500 milliards d’euros par an, soit 15% du PIB européen, tirés par des secteurs clés comme l’énergie, les transports, la santé ou l’éducation.

La Commission a publié le 14 octobre 2025 son évaluation des directives actuellement en vigueur. Adoptées en 2014, les directives sur les marchés publics ont permis de moderniser et d’harmoniser les règles d’achat public dans l’UE en les rendant plus transparentes, plus accessibles aux PME et davantage orientées vers des objectifs sociaux, environnementaux et d’innovation .

L’étude de la Commission conclut à une application difficile : plus de 50 réglementations sectorielles se sont ajoutées, rendant le cadre peu lisible. Si la transparence s’est accrue — le nombre d’appels d’offres publiés au niveau européen a presque doublé — la concurrence reste faible : deux tiers des marchés ne reçoivent qu’une seule offre. 

Une consultation publique précédera la révision des directives, sans doute courant 2026.​

CONCURRENCE • La Commission a infligé des amendes pour un total de 157 millions d’euros à Gucci, Chloé et Loewe pour entente sur les prix de revente imposés. 

Les trois maisons de luxe ont coordonné leurs pratiques commerciales pour restreindre la liberté tarifaire de leurs distributeurs. Gucci, Chloé et Loewe ont incité leurs distributeurs indépendants à aligner leurs prix et conditions de vente sur ceux pratiqués dans leurs propres canaux de vente.


Les lectures de la semaine 

  • Dans une note pour le CER, Aslak Berg, Elisabetta Cornago, Zach Meyers et Sander Tordoir présentent un programme de réformes destiné à donner un nouveau souffle au marché unique.

  • Pour le FT, George Bridges dresse le portrait d’une Europe prisonnière de sa propre “puissance réglementaire” : autrefois outil d’influence, cette avalanche de normes freine désormais son innovation et sa compétitivité face à une Amérique en pleine dérégulation.

  • Dans une tribune pour Bruegel, Fiona M. Scott Morton estime que le prix Nobel d’économie 2025 met en lumière la nécessité pour l’Europe d’accepter les conséquences de la destruction créatrice afin de pleinement bénéficier des gains de l’innovation et de la concurrence


Merci à Maxence de La Rochère pour son aide dans la préparation de cette édition. À la semaine prochaine !

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