La déclaration commerciale conjointe entre l’UE et les Etats-Unis : la fin du début

Mais aussi -- Euro Numérique, Mercosur, Brouillage GPS, Défense européenne

La Revue européenne
6 min ⋅ 02/09/2025

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BRIEFING | Par Nathan Munch

La déclaration commerciale conjointe entre l’UE et les Etats-Unis : la fin du début

Nathan Munch est policy manager à l’OCDE. Il a précédemment travaillé chez Business Europe à Bruxelles comme conseiller du Président et Directeur Général. 

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Le 21 août, la Commission européenne et le gouvernement américain ont publié une déclaration conjointe en dix-neuf points et quatre petites pages pour “un commerce et des investissements transatlantiques équitables, équilibrés et mutuellement bénéfiques”. 

Quelques explications 

Cette déclaration conjointe formalise la poignée de main entre la présidente de la Commission Ursula von der Leyen et le président américain Donald Trump le 27 juillet à Turnberry en Ecosse. Les droits de douane américains sont entrés en vigueur le 7 aout. 

  • En sécurisant un taux de droit global de 15% (plutôt que 30%), la Commission s’est félicitée d’avoir évité une guerre commerciale avec les Etats-Unis. 

  • Ce taux représente toutefois plus que le triple des droits de douane moyens applicables avant l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche (4.8%). 

  • Le commerce de biens entre l’UE et les Etats-Unis représente 867 milliards d’euros en 2024 (et 817 milliards d’euros pour les services). 

Certains secteurs font l’objet d’exemptions, comme l’aéronautique (avions et pièces détachées) qui ne feront l’objet d’aucun tarif douanier. A l’inverse, le secteur pharmaceutique voit les tarifs douaniers passer de 0% (exemption) à 15% (tarif standard, avec des exemptions cependant). Le secteur des vins et spiritueux n’a pas obtenu l’exemption espérée, malgré le lobbying français. 

Le taux de 15% s’applique également rétroactivement aux voitures et aux pièces automobiles dès le premier jour du mois où l’UE initie les procédures réduisant les tarifs douaniers sur les véhicules en provenance des Etats-Unis. 

  • Les véhicules et pièces automobiles étaient taxées à 27.5% à l’entrée sur le marché américain depuis mars. Le taux a été rétroactivement fixé à 15% à la toute fin du mois d'août.

  • Une clause distincte de la déclaration conjointe précise que l’UE et les Etats-Unis commenceront à collaborer dans d’autres domaines relatifs à l’automobile, notamment en “assurant une reconnaissance mutuelle de leurs normes respectives”. 

  • Cette reconnaissance mutuelle demeure encore vague à ce stade, mais suscite déjà de nombreuses inquiétudes quant aux standards américains en matière de sécurité et de pollution.

Les importations d’acier et d’aluminium ne bénéficient pas du plafonnement tarifaire général. Elles demeurent soumises à un droit de 50%, tant que l’UE et les États-Unis n’auront pas entamé des discussions sur une coopération visant à combattre la surproduction, en particulier celle venant de Chine, et éventuellement à instaurer des quotas tarifaires.

Signe de l’immense complexité administrative du nouveau régime douanier américain, les producteurs de fromage italiens — Parmigiano Reggiano et Grana Padano — se sont plaints à la Commission que certains produits continuaient à être taxés à 30% malgré l’entrée en vigueur du tarif douanier de 15%. 

Promesses floues 

La déclaration conjointe du 21 août prévoit une série d’engagements encore très vagues et qui dépassent largement la discipline commerciale — voire tout simplement les compétences de l’UE. On citera notamment: 

  • L’engagement de l’UE pour l’achat massif de puces IA américaines pour environ 40 milliard de dollars et 750 milliards de dollars de gaz naturel liquéfié d’ici à 2028. 

  • Les 600 milliards de dollars d’investissements attendus des entreprises européennes aux États-Unis d’ici 2028. 

  • L’augmentation prévue par l’UE de ses achats d’équipements militaires et de défense américains.

Ce sont surtout ces concessions stratégiques — plus que les clauses commerciales de l’accord cadre à proprement parler — qui alimentent les critiques sur la “capitulation” d’Ursula von der Leyen face à Donald Trump. 

Dans un discours prononcé à Rimini le 22 août, Mario Draghi a déclaré : “Pendant des années, l’Union européenne a cru que sa dimension économique, avec 450 millions de consommateurs, suffirait à lui apporter du pouvoir géopolitique et de l’influence dans les relations commerciales internationales. Cette année restera dans les mémoires comme celle où cette illusion s’est dissipée.”

Par ailleurs, la Commission s’est engagée auprès des Etats-Unis à réexaminer une série de textes — CSRD, CSDD, règlement sur la déforestation, mécanisme sur l’ajustement carbone aux frontières. La Commission entend déjà réformer ces textes en profondeur dans le cadre de paquets “omnibus” visant à simplifier l’environnement réglementaire européen. 

La réglementation européenne du numérique toujours dans le viseur

L’UE entend poursuivre l’application de ses régulations numériques phares, notamment le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA).

La Commission a indiqué : “La déclaration conjointe ne contient aucun engagement concernant la réglementation numérique de l'UE. Nous avons clairement indiqué aux États-Unis que les modifications apportées à notre réglementation numérique — la législation sur les marchés numériques et la législation sur les services numériques — n'étaient pas sur la table.”

Quelques jours après la déclaration conjointe, Donald Trump a menacé de mesures de rétorsion les pays qui appliquent des règles “discriminatoires” à l’égard des entreprises technologiques américaines.  

Il est donc fort probable que le sujet revienne sur la table. Pour la commissaire à la concurrence Teresa Ribera, l’UE doit être prête à quitter la table des négociations lors de la conclusion d’un accord commercial formel si les Etats-Unis mettent ces menaces à exécution. 

Et maintenant ? 

Les nouveaux tarifs douaniers américains s’appliquent déjà, et l’UE a suspendu dès le 7 août ses mesures de rétorsion (ou “rééquilibrage”) adoptées le 24 juillet. Mais cet accord n’est à ce stade qu’un accord politique.

Sa concrétisation du côté européen se fera selon les procédures juridiques de l’UE, en concertation avec les États membres et le Parlement européen. La Commission souhaite aller au plus vite sur l’amélioration de l’accès au marché et la réduction des tarifs afin d’obtenir un allègement tarifaire réciproque pour ses secteurs stratégiques. 

Le calendrier et les modalités de cette mise en œuvre seront précisés prochainement. La déclaration, bien qu’ayant reçu l’appui des États membres, ne revêt pas de caractère juridiquement contraignant et sert de référence pour les négociations futures.  


IN CASE YOU MISSED IT

EURO NUMERIQUE • Les ministres des finances de l’UE accélèrent les négociations sur la création d’un euro numérique, une monnaie qui serait équivalente aux espèces — dont l’utilisation est en déclin — mais sous forme électronique. 

En avril, Piero Cipollone, membre du directoire de la BCE, résumait l’intérêt d’un euro numérique en ces termes : 

“Les achats en ligne représentent plus d’un tiers de nos transactions de détail, mais les espèces ne peuvent être utilisées pour ces achats et il est souvent impossible de régler à l’aide d’un service de paiement européen. Nous sommes donc contraints d’avoir recours à des systèmes de paiement non européens. Il s’agit là d’une faiblesse structurelle à laquelle il convient de remédier.”

Au sein de la zone euro, 13 pays s’appuient exclusivement sur des systèmes de paiement internationaux (Visa, Mastercard) pour les opérations par carte, et deux tiers des transactions par carte (tous pays) sont réalisées à travers des systèmes de paiement internationaux.

Les discussions sur l’euro numérique s’intensifient, notamment depuis l’adoption en juillet du “Genius Act” aux Etats-Unis, qui encadre les stablecoins (“cryptomonnaies stables”) adossés au dollar et fait craindre une domination encore plus prononcée de ces derniers à l’échelle mondiale.

Si plusieurs stablecoins adossés à l’euro existent déjà, le lancement d’un stablecoin administré par la BCE permettrait de renforcer la place de la zone euro au sein de ce marché.

La présidence danoise du Conseil de l’UE a pour objectif l’adoption d’une position commune des Etats membres sur la question d’ici la fin 2025.

MERCOSUR • La Commission européenne devrait présenter une proposition législative concernant l’implémentation de l’accord UE-Mercosur cette semaine. La proposition sera signée par le collège des commissaire le 3 septembre.

L’accord sera divisé en deux textes. L’un rassemblant les aspects purement commerciaux pouvant être adopté par le Conseil (à la majorité qualifiée) et le Parlement européen (à la majorité simple) car concernant des compétences exclusives de l’UE. 

L’autre relatif aux compétences partagées entre l’UE et ses Etats membres (comme la protection des investissements) et qui requiert donc une ratification de la part de tous les Etats membres, qui implique généralement une adoption par le Parlement national.

Cela permettra une adoption rapide et sans trop d’obstacles des aspects purement commerciaux du texte. L’avenir de la partie du texte qui devra être ratifiée par les Etats membres est plus incertain, avec la France en première ligne.

BROUILLAGE GPS • Le week-end dernier, l’avion d’Ursula von der Leyen a été confronté à un brouillage GPS lors de son approche de Plovdiv, en Bulgarie — une manœuvre attribuée à une probable ingérence russe selon les autorités locales et européennes. 

L’incident est intervenu lors de la tournée des Etats en première ligne de la menace militaire russe par la présidente de la Commission européenne — Lettonie, Finlande, Estonie, Pologne, Lituanie, Bulgarie et Roumanie. 

Le brouillage n’a pas compromis la sécurité du vol : grâce aux systèmes terrestres, l’appareil a pu atterrir sans avoir à modifier sa trajectoire.

Ce type de brouillage, qui consiste à saturer les fréquences utilisées par les satellites, complique de plus en plus la navigation aérienne, civile et militaire.

Si la Russie n’a pas officiellement réagi, la Commission souligne que cet épisode illustre les risques croissants auxquels font face les États européens en matière de sécurité numérique et aérienne. 

De tels actes sont déjà documentés dans la région de la mer baltique depuis plusieurs années.

DEFENSE • Le programme européen SAFE, doté de 150 milliards d’euros, vient d’atteindre sa souscription complète : dix-neuf États membres, dont la France, la Pologne, l’Italie et l’Espagne, ont réservé la totalité des crédits disponibles pour des achats coordonnés d’équipements militaires tels que défenses anti-aériennes, cyber, drones, a annoncé Ursula von der Leyen.

Prochaine étape : l’évaluation par la Commission des projets soumis par les Etats membres afin d’allouer aux mieux les prêts, qui pourraient commencer à être versés d’ici la fin de l’année 2025.


LECTURE DE LA SEMAINE

  • Pour le FT, Laura Dubois et Chris Cook mesurent l’expansion historique des usines d’armement au sein de l’UE.


À la semaine prochaine !

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