Retour sur le feuilleton Intel — Mais aussi • Géorgie, Coopération Parlement-Commission, Ukraine, Slovaquie
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Le 24 octobre, la Cour de justice de l’UE a rendu son jugement final dans l’affaire Intel. Ce jugement sonne la fin de vingt années de procédure, sans pour autant mettre fin aux débats sur le traitement des abus de position dominante.
Au coeur de cette maxi-affaire, les microprocesseurs vendus par Intel © Unsplash
MARATHON • Le couperet est tombé. Par sa décision, la Cour de justice confirme l’annulation par le Tribunal de l’UE de la décision de la Commission imposant une amende de plus d’un milliards d’euros à Intel en 2009.
En 2009, la Commission conclut (après une enquête débutée en 2004) qu’Intel a abusé de sa position dominante dans le marché mondial des puces informatiques x86, en offrant notamment des remises aux fabricants d'ordinateurs contre la garantie que ces derniers ne s'approvisionnent que chez Intel.
Les entreprises dominantes ont, selon la jurisprudence, une “responsabilité particulière” de ne pas porter atteinte à la concurrence. Ou comme l’a dit Spiderman : “With great powers come great responsibilities”.
L’amende infligée à Intel dépasse le milliard de dollars. L’entreprise fait appel mais le Tribunal de l’UE valide en première instance la décision de la Commission (2014). Intel obtient gain de cause en appel : la Cour de justice annule l’arrêt du Tribunal et lui renvoie l’affaire, considérant que ce dernier n’a pas assez examiné certains raisonnements de la Commission (2017).
EFFETS • Selon la Cour, le Tribunal aurait dû tenir compte des arguments de la Commission en ce qui concerne l’analyse économique du comportement d’Intel. Loin d’être anecdotiques, les raisons de ce renvoi sont au cœur du débat sur la manière de prouver prouver l'existence d'abus de position dominante.
Pour comprendre ce débat, il faut revenir en 2008 : la Commission publie des “orientations” concernant ses priorités en matière d’application de l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) — qui interdit les abus de position dominante — aux abus d’exclusion. Ces orientations marquent le passage d’une approche formaliste à une approche basée sur les effets dans la manière dont la Commission sélectionne les cas qu’elle décide d’investiguer :
— L’approche formaliste repose sur la logique suivante : les comportements des entreprises peuvent être rangés dans des catégories distinctes et identifiés comme étant plus ou moins néfastes pour la concurrence. Lorsque le comportement d’une entreprise entre dans certaines catégories, la Commission suppose que le comportement est anticoncurrentiel (sur la base d’une présomption).
— À l’inverse, l’approche basée sur les effets repose sur l’établissement d’un lien de causalité entre le comportement d’une entreprise et des effets négatifs avérés sur la concurrence. Elle implique une analyse économique détaillée.
En 2008, la Commission signale donc qu’elle compte s’intéresser davantage aux comportements susceptibles d’avoir des effets anticoncurrentiels. Pour autant, elle n’entend pas mettre cette approche au cœur de son raisonnement juridique : l’analyse économique vise seulement à l’aider à établir ses priorités d’investigation.
En 2009, le dossier Intel est un premier test grandeur nature de cette nouvelle logique. Dans sa décision, la Commission effectue une analyse économique (pour les connaisseurs, un “test du concurrent aussi efficace”), mais celle-ci ne fait pas partie de son argumentaire principal. Le Tribunal ne porte d’ailleurs pas une grande attention au test économique réalisé par la Commission lorsqu’il valide sa décision.
Mais Intel argue en appel que le raisonnement économique de la Commission est erroné et que ce dernier aurait dû être mieux pris en compte par le Tribunal. C’est précisément pour cette raison que la Cour de justice renvoie l’affaire : elle estime que l’analyse économique a quand même joué un rôle important dans la décision et doit donc être examinée. Lorsque le Tribunal réexamine l’affaire, il met à nu les défauts de l’analyse économique de la Commission et annule l’amende. Le 24 octobre 2024, la Cour de justice a confirmé la décision du Tribunal.
PORTÉE • Depuis 2017, plusieurs autres jugements ont confirmé l’importance de l’analyse économique. En 2023, la Commission a amendé certaines parties de ses orientations de 2008. À l’été 2024, elle présente son projet de lignes directrices (visant à remplacer les orientations) sur l’article 102 et les abus d’exclusion.
Dans ce projet de lignes directrices, la Commission prend acte du contenu de la jurisprudence mais semble vouloir revenir à une approche formaliste, basée sur des présomptions. La Commission explique : “une mise en œuvre trop rigide de l'approche fondée sur les effets pourrait placer la barre d'intervention à un niveau qui rendrait le contrôle [...] excessivement lourd, voire impossible”. À l’inverse, une approche trop formaliste pourrait conduire à punir des comportements qui n’ont pas d’effets anticoncurrentiels.
La Commission a ouvert des consultations sur son projet de lignes directrices. Les lignes directrices semblent désormais à contre-courant du jugement de la Cour de justice dans Intel, qui donne la part belle à l’analyse des effets et ne mentionne pas une seule fois le terme “présomption”.
LA SUITE • L’affaire Intel frappe par sa durée. Dans son rapport sur la compétitivité, Mario Draghi a critiqué “les cas qui s’étendent sur des décennies comme Intel” et a appelé à rendre ces procédures plus faciles à naviguer pour les entreprises.
Mario Draghi s’est d’ailleurs prononcé sur le projet de lignes directrices de la Commission : il considère qu’elles sont trop floues et laissent donc une discrétion excessive à la Commission.
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GEORGIE • Le 26 octobre, les Géorgiens votaient lors d’élections législatives voyant s’affronter l’opposition coalisée pro-européenne et le parti au pouvoir Rêve géorgien, contrôlé par l’oligarque pro-Russe Bidzina Ivanishvili. C’est ce dernier qui finit par remporter les élections avec 54% des voix.
Le parti Rêve géorgien est au pouvoir depuis 2012. L’actuelle présidente Salome Zurabishvili a été élue en 2018 sous la bannière du parti, mais s’en progressivement éloignée, notamment en raison des tendances pro-russes et anti-européennes de ses membres.
Salome Zurabishvili dénonce une “falsification totale” des élections liée à des ingérences russes. Les élections ont été marquées par de nombreuses fraudes. L’opposition appelle les citoyens à manifester contre les résultats et l’ingérence russe, une semaine après le référendum moldave sur l’inscription de l’adhésion à l’UE dans la constitution, durant lequel 130 000 citoyens auraient été soudoyés par Russie.
Le président du Conseil européen Charles Michel a appelé la Commission électorale géorgienne à enquêter sur les “irrégularités” constatées lors du scrutin. Viktor Orbán a salué la victoire du parti Rêve géorgien. Il sera en Géorgie ce lundi.
Les résultats des élections assombrissent les perspectives d’adhésion de la Géorgie à l’UE. La Géorgie a obtenu le statut de candidat en décembre 2023, mais les négociations sont à l’arrêt suite au tournant pro-russe du gouvernement et à l’adoption d’une loi sur les influences étrangères réduisant considérablement la liberté des médias et des ONG.
PARLEMENT • Le 21 octobre, le Parlement européen et la Commission européenne se sont accordés sur neuf principes de coopération visant à renforcer les interactions entre les deux institutions et garantir une plus grande transparence. Ces principes, dévoilés par Ursula von der Leyen et Roberta Metsola, seront à la base d’un nouvel accord-cadre interinstitutionnel — le dernier date de de 2010.
Le timing est important : cet accord politique intervient quelques semaines avant les auditions parlementaires des commissaires européens désignés par Ursula von der Leyen. Le Parlement est donc en position favorable pour que ses demandes soient prises en compte.
De nombreux principes ont simplement été mis au goût du jour. D’autres sont plus novateurs : la Commission s’engage par exemple à fournir “une justification complète et des informations” en cas d’usage de l’article 122 du TFUE. Cet article permet au Conseil de prendre des mesures urgentes sur proposition de la Commission — au sein de cette procédure, le Parlement n’a pas son mot à dire.
L’article 122 a notamment été utilisé pendant la crise du Covid et la crise énergétique. Bien que conditionné, son usage a été étendu durant le premier mandat de von der Leyen, sous les critiques du Parlement.
Le Parlement pourrait voter sur les détails de l’accord en novembre, avant le vote des eurodéputés sur l’ensemble du collège des commissaires. Du côté du Conseil, les ambassadeurs des Etats membres voient d’un mauvais œil les concessions faites par la Commission, notamment en ce qui concerne l’article 122.
UKRAINE • Le 22 octobre, le Parlement européen a approuvé un prêt à l’Ukraine de 35 milliards d’euros.
Cette proposition, soutenue par une écrasante majorité au Parlement, s’inscrit dans le projet du G7 de débloquer 50 milliards de dollars afin de soutenir l’effort de guerre ukrainien. Bien que le Conseil ait déjà donné son feu vert, l’aide de l’UE reste incertaine.
Ces versements seront financés par les intérêts accumulés sur les avoirs russes gelés par les sanctions européennes depuis le début de la guerre en 2022. Ces sanctions sont actuellement renouvelées par périodes de six mois, après lesquelles un État membre de l’UE peut bloquer le renouvellement et ainsi mettre en péril l’engagement financier de l’UE (les sanctions sont votées à l’unanimité au sein du Conseil).
Pour rassurer les prêteurs alliés du G7 — notamment les États-Unis — la Commission a propose de modifier le mécanisme de renouvellement. Une option envisagée est de renouveler les sanctions (seulement) tous les 36 mois. Cependant, la Hongrie a annoncé qu’elle bloquerait cette proposition et ce jusqu’aux résultats des élections présidentielles aux Etats-Unis.
SLOVAQUIE • Le 22 octobre, la Commission a débloqué 799 millions d'euros de subvention de la Facilité pour la reprise et la résilience destinés à la Slovaquie après avoir évalué que le gouvernement respectait les critères relatifs à la lutte contre la corruption et au renforcement de l'indépendance du système judiciaire.
Le gouvernement slovaque a donc fini par réussir à rassurer la Commission grâce au rétablissement des sanctions pénales pour fraude aux fonds de l’UE, qui seront désormais sanctionnés plus lourdement que la fraude aux fonds publics nationaux.
La Slovaquie était devenue le nouveau “casse-tête de l'UE en matière d'état de droit” après l’annonce de la suppression, en 2023, des délits de fraude aux fonds de l’UE et du parquet spécialisé dans la lutte contre la corruption et les crimes graves.
Les enquêtes menées par ce parquet spécialisé avaient abouti à de nombreuses condamnations de personnalités liées au parti populiste de gauche Smer dont est issu le premier ministre Robert Fico, nationaliste allié du premier ministre hongrois Viktor Orbán et proche de Moscou. Ces réformes avaient déclenché de grandes manifestations dans la capitale, l’opposition accusant le premier ministre slovaque de vouloir protéger ses alliés.
Robert Fico avait finalement rétabli les peines pour fraude aux fonds de l'UE, mais la Commission continuait de bloquer les fonds du plan de relance après la décision de la Cour constitutionnelle slovaque qui avait déclaré ses réformes conformes à la Constitution le 3 juillet dernier. “Les discussions se poursuivent entre les autorités slovaques et la Commission afin de clarifier les questions en suspens", a annoncé la Commission.
Zach Meyers du CER avertit que réformer la politique de concurrence en suivant le modèle américain pourrait s’avérer inadapté pour l’économie européenne.
Dans Silicon Continent, Pieter Garicano affirme que le déficit d’innovation en Europe provient davantage d’une insuffisance des investissements privés en R&D que d’un manque de soutien public.
Pour le Centre Grande Europe de l’Institut Jacques Delors, Sébastien Maillard défend l’idée d’un statut intermédiaire d’Etat associé dans le processus d’adhésion à l’UE.
Valérie Hayer, présidente du groupe Renew au Parlement européen, a lancé Strasbourg Express, la newsletter sur les coulisses de son mandat au Parlement, sur Kessel.
Cette édition a été préparée par Augustin Bourleaud, Antoine Langrée, Noé Piloquet, Luna Ricci, Antoine Ognibene, et Maxence de La Rochère. À la semaine prochaine !