Défense européenne : où en est-on ?

Mais aussi - Mercosur, EMFA, Budget européen, Google AdTech

La Revue européenne
6 min ⋅ 08/09/2025

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BRIEFING | Par Juraj Macjin

Défense européenne : où en est-on ? 

Juraj Majcin est Policy Analyst au sein du European Policy Centre (EPC) à Bruxelles, où il se concentre sur les questions de sécurité et de défense européennes et transatlantiques, ainsi que sur l’industrie de la défense et l’innovation. Ses analyses ont été publiées dans des médias internationaux tels qu’Euractiv, Newsweek, Reuters, ou CNN. Il est originaire de Slovaquie.

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L’Europe entre dans une phase décisive dans sa quête de renforcement de ses capacités de défense. Alors que la guerre de la Russie en Ukraine continue de faire rage, que les doutes sur la fiabilité des Etats-Unis s’accroissent et que les membres de l’OTAN sont sommés d’augmenter leurs dépenses de défense, la Commission européenne tente de se tailler un rôle plus important.

La récente tournée d’Ursula von der Leyen sur le flanc est de l’UE (Lettonie, Finlande, Estonie, Pologne, Lituanie, Bulgarie et Roumanie) et la souscription complète du nouvel instrument SAFE (“Security Action for Europe”, lancé en mai 2025) doté de 150 milliards d’euros, ont certes donné un nouvel élan. 

Mais des questions persistent quant à la capacité de la Commission à aller au-delà du financement et à l’acceptation par les États membres d’un rôle accru de l’UE en matière de sécurité et de défense.

Le “déficit capacitaire” de l’Europe en matière de défense

L’Europe est sous pression sur deux fronts. La guerre menée par la Russie contre l’Ukraine a poussé les gouvernements à accroître leurs dépenses militaires, à acheter de nouvelles armes et recruter davantage de troupes, tandis que les incertitudes sur l’engagement américain sous Donald Trump et l’orientation de Washington vers l’Indo-Pacifique alimentent les appels à une plus grande autonomie.

Pourtant, l’Europe reste très vulnérable. Elle manque toujours de certaines capacités essentielles en quantité ou en qualité suffisante, telles que le ravitaillement en vol, le renseignement et la surveillance satellitaire, la défense aérienne et antimissile, les munitions de précision et les missiles longue portée, ainsi que des structures de commandement et de contrôle indépendantes.

SAFE, de quoi parle-t-on ? 

L’instrument SAFE, doté de 150 milliards d’euros, poursuit trois objectifs principaux :

  • Encourager les États membres de l’UE à combler les lacunes dans les capacités militaires critiques.

  • Mutualiser les achats entre deux États ou plus pour bénéficier d’économies d’échelle et réduire les coûts.

  • Donner la priorité aux équipements produits dans l’UE, l’EEE ou des pays partenaires, les prêts restant disponibles seulement pour les membres de l’UE.

Cet instrument est révolutionnaire, car il constitue le premier quasi emprunt européen pour l’armement. Mais avec 150 milliards d’euros, il reste bien en deçà du nouvel engagement de l’OTAN, qui prévoit 5% du PIB pour la sécurité, dont 3,5% pour l’équipement militaire et 1,5% pour la sécurité au sens large. 

L’Agence européenne de défense estime qu’un passage des dépenses de 2% à 3,5% du PIB d’ici 2035 nécessiterait à lui seul 300 milliards d’euros supplémentaires par an.

Atteindre cet objectif sera difficile, car la faible croissance et l’espace budgétaire limité laissent aux gouvernements européens peu de marges financières pour augmenter les impôts ou emprunter, les contraignant à envisager des coupes douloureuses dans d’autres dépenses publiques.

Ursula von der Leyen sur le front 

En visitant récemment les États de “première ligne”, Ursula von der Leyen a souligné que le renforcement de la défense de l’Europe ne se limite pas à accroître les dépenses militaires. Cela implique aussi :

  • D'améliorer la mobilité militaire pour déplacer les troupes et évacuer les civils.

  • De renforcer la sécurité des frontières contre des menaces hybrides comme l’instrumentalisation des flux migratoires.

  • De construire des barrières défensives physiques telles que le “East Shield” en Pologne, soutenu par l’UE, ou la ligne de défense des pays baltes.

Pour soutenir ces objectifs, von der Leyen a promis de tripler le financement européen pour la protection des frontières et de multiplier par dix les investissements dans la mobilité militaire dans le prochain budget.

Les limites des ambitions de défense de la Commission

L’instrument SAFE et la récente tournée de von der Leyen traduisent l’ambition de la Commission de jouer un rôle accru dans la défense européenne. Même si la sécurité et la défense figurent désormais en haut de son agenda, il reste très peu probable que la Commission puisse aller au-delà du simple financement des efforts nationaux. 

Plusieurs obstacles se posent :

  • Limites juridiques et politiques : les traités européens limitent une intégration plus poussée en matière de défense. Beaucoup d’États privilégient leurs “champions nationaux” dans les marchés de défense, bloquant la constitution d’un véritable marché européen, pourtant l’un des objectifs de la Commission.

  • Conflits sur le financement : l’emprunt commun pour des initiatives de défense pilotées par Bruxelles divise. L’Allemagne, par exemple, a demandé des prêts SAFE mais rejette de nouveaux dispositifs au profit d’un financement et d’achats nationaux.

  • Ingérence : la Commission entend examiner les projets de dépenses des Etats membres et auditer les chaînes d’approvisionnement des acteurs de la défense, ce qui est perçu comme une ingérence excessive dans des prérogatives souveraines.

  • Dilemme transatlantique : l’impulsion donnée par la Commission pour “acheter européen” se heurte à l’engagement récent de l’UE et des États-Unis visant à élargir les acquisitions d’équipements américains. D’autres gouvernements considèrent également l’achat d’armes américaines comme un moyen de maintenir de bonnes relations avec l’administration Trump.

Et maintenant ?

Les prochains mois montreront comment l’instrument SAFE se traduira concrètement dans les achats d’équipements militaires par les États membres.

La Commission doit également présenter prochainement au Conseil européen une feuille de route pour combler les déficits capacitaires, un débat étroitement lié aux négociations du prochain budget de l’UE.

Enfin, le Parlement européen a saisi la Cour de justice de l’UE au sujet du règlement SAFE, arguant que, par l’utilisation de l’article 122 TFUE, normalement réservé aux situations d’urgence, la Commission et le Conseil ont contourné son rôle dans le processus législatif. L’issue de ce litige sera déterminante.


LEGAL CHECKING | Par Les Surligneurs

L’UE a-t-elle autorisé les pays membres à arrêter des journalistes ?

Le règlement européen sur la liberté des médias (EMFA), entré en application le 8 août 2025, vise à renforcer la protection des journalistes et l’indépendance éditoriale face aux ingérences des pouvoirs publics. 

  • Contrairement à certaines rumeurs circulant en ligne, il n’autorise pas l’arrestation arbitraire des journalistes : il encadre simplement des pratiques déjà possibles en droit national, notamment en France.

  • Le texte protège notamment le secret des sources en interdisant les arrestations, perquisitions ou surveillances destinées à les identifier, sauf si trois conditions cumulatives sont réunies : un motif impérieux d’intérêt général, une proportionnalité de la mesure et une autorisation par une autorité judiciaire ou indépendante. 

En ce sens, l’EMFA serait même plus protecteur que la loi française de 1881. Néanmoins, le règlement soulève des critiques, notamment pour l’exception permettant l’utilisation de logiciels espions contre des journalistes dans certains cas graves, jugée dangereuse pour la liberté d’informer.

La France, initialement opposée à certaines garanties, doit désormais adapter son droit à ce nouveau cadre. L’Arcom a été saisie pour avis. L’adoption de ce texte intervient dans un contexte marqué par des scandales d’espionnage de journalistes européens et plusieurs affaires emblématiques mettant en cause la protection du secret des sources.


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Ce qu’il ne fallait pas manquer

MERCOSUR Le 3 septembre 2025, la Commission européenne a présenté ses propositions au Conseil en vue de la signature et de la conclusion de l'accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay).

Après l’accord politique du 6 décembre 2024, Emmanuel Macron jugeait le texte “inacceptable”, pointant les risques pour l’agriculture et l’environnement. Sans pouvoir bloquer seule l’accord, la France avait depuis tenté de bâtir une minorité de blocage avec la Pologne et d’autres États membres. 

Le traité doit encore être approuvé par le Conseil et le Parlement européen. Puis 43 ratifications nationales ou régionales seront nécessaires. L’entrée en vigueur n’est pas prévue avant fin 2026.

BUDGET • Le 3 septembre 2025, la Commission a adopté de sept propositions sectorielles pour compléter le budget pluriannuel 2028-2034.

Elles concernent le marché unique et la douane, le programme “Justice”, Euratom (recherche et formation), la sûreté nucléaire et le déclassement d’installations, le programme d’assistance au démantèlement de la centrale d’Ignalina en Lituanie, la décision d’association outre-mer et le programme Pericles V.

Ce lot rend le texte budgétaire prêt à la négociation avec le Parlement et le Conseil. Mais le cadre financier est sensible politiquement : il s’accompagne d’une profonde réforme de la politique agricole commune (PAC) déjà proposée mi-juillet avec le reste du budget. Ces aides seront désormais intégrées dans les plans nationaux et régionaux, avec une baisse prévue du soutien direct au revenu des agriculteurs comparé à celui de 2021-2027.

GOOGLE • La Commission européenne a condamné Google à une amende de 2,95 milliards d’euros pour abus de position dominante dans le secteur des technologies publicitaires (Ad Tech). 

Après une enquête lancée en 2021, la Commission a estimé que Google favorisait systématiquement ses propres services d’échange d’annonces (AdX) au détriment de la concurrence, en s’auto-référençant sur sa plateforme DoubleClick et en réservant à ses propres outils un accès privilégié aux données et aux enchères.

Cette sanction, la quatrième infligée à Google par l’UE en dix ans, s’inscrit dans un climat de fortes tensions commerciales entre l’Union européenne et les États-Unis, le président Trump ayant menacé de prendre des mesures de rétorsion contre l’Europe en réponse à ces décisions.

Le 1er septembre, MLex révélait que la décision contre Google avait été suspendue à la dernière minute, sous la pression de l’administration américaine et du commissaire au commerce Maroš Šefčovič. La décision a été annoncée quelques jours plus tard, le 5 septembre. 

Google est sommé de mettre fin, sous 60 jours, à ses pratiques d’auto-préférence et de proposer des solutions pour éliminer les conflits d’intérêts identifiés dans la chaîne de valeur AdTech, sous peine de mesures correctives plus sévères à l’avenir.


Les lectures de la semaine 

  • Dans le Financial Times, Martin Sandbu note que la recherche perpétuelle du consensus absolu freine la prise de décision et la capacité à agir efficacement. Il appelle l’UE à prendre le taureau (les Etats membres) par les cornes pour avancer.  

  • Pour Confrontations Europe, Erick Lacourrège se voit dans l’euro numérique comme réponse stratégique aux défis de l’Europe des paiements. 

  • Le Wall Street Journal se penche sur la situation commerciale transatlantique et y voit une “trève commerciale” très fragile.  


Merci à Antoine Ognibene et à Léopold Ringuenet pour leur aide dans la préparation de cette édition. À la semaine prochaine !

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