Le plan européen pour se réarmer

Défense européenne • Mais aussi — BCE, Allemagne, Digital Markets Act

What's up EU
5 min ⋅ 11/03/2025

Bonjour. Nous sommes le 11 mars et voici votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn. Le briefing de la semaine vous est proposé par Antonia Przybyslawski, journaliste européenne et cofondatrice de BLOCS.


Le Briefing

“Aujourd’hui marque un moment décisif pour l’Europe et pour la sécurité des Européens. Nous avançons résolument vers une Europe de la défense plus forte et plus souveraine”, a déclaré Antonio Costa, à l’issue d’une réunion extraordinaire du Conseil européen le 6 mars.

Ursula von der Leyen et Antonio Costa, à la suite du Conseil européen extraordinaire © Conseil européenUrsula von der Leyen et Antonio Costa, à la suite du Conseil européen extraordinaire © Conseil européen

REARM EUROPE Face aux menaces d’un désengagement américain sous la présidence de Donald Trump, les dirigeants européens ont fait front commun en approuvant à l’unanimité le plan ReArm Europe, dévoilé le 4 mars par Ursula von der Leyen. 

Cette initiative destinée à renforcer les capacités de défense de l’UE prévoit de mobiliser près de 800 milliards d’euros. 

Dans le détail, ce plan vise principalement à offrir davantage de marges budgétaires supplémentaires aux Etats membres en excluant, pendant une période de quatre ans, leurs dépenses de défense des critères pris en compte dans les règles budgétaires européennes.

La Commission devrait ainsi proposer dans les semaines qui viennent l’activation de la clause de sauvegarde nationale du Pacte de stabilité et de croissance. D’après Ursula von der Leyen, cette flexibilité budgétaire pourrait permettre 650 milliards d’euros de dépenses supplémentaires d’ici 2030.

Ces financements nationaux seraient complétés par 150 milliards d’euros de prêts européens — une première depuis NextGenerationEU — pour soutenir l’effort financier en matière de défense. 

Ce fonds sera destiné à financer l’acquisition de matériel militaire (artillerie, missiles, munitions, drones, systèmes anti-drones) dont une partie serait envoyée à l’Ukraine. La Commission doit présenter une proposition plus étoffée en amont du Conseil européen des 20 et 21 mars. 

REVIREMENT ALLEMAND • Les dirigeants européens veulent cependant aller plus loin. Déterminés à ancrer durablement cet effort de réarmement, les chefs d’État et de gouvernement ont ainsi demandé à la Commission d’examiner une nouvelle réforme des règles budgétaires, alors même que ces dernières ont fait l’objet d’une révision l’année dernière.

Ce changement d’approche est notamment porté par l’Allemagne, qui surprend par son virage radical. Longtemps adepte des règles de contrôle des déficit et de la dette, Berlin milite désormais pour une refonte durable du Pacte de stabilité, jugeant que la clause de sauvegarde nationale, limitée à quatre ans et renouvelable une seule fois, ne garantit pas un effort de défense à la hauteur des enjeux actuels.

Le futur chancelier Friedrich Merz incarne cette nouvelle doctrine allemande. Dès le 4 mars, il a annoncé un plan massif d’investissement : 100 milliards d’euros par an pour la défense, contournant ainsi le frein à l’endettement inscrit dans la Constitution allemande, et 500 milliards sur dix ans pour moderniser les infrastructures du pays.

Des annonces qui pourraient avoir un effet important au-delà de la plus grande économie d’Europe. D’après une analyse de Goldman Sachs, ces investissements pourraient accélérer la croissance du PIB allemand, avec un effet d’entraînement sur l’ensemble de la zone euro.

L’Italie, dont les dépenses militaires restent modestes (1,5 % du PIB), salue l’initiative allemande tout en estimant que les critères budgétaires devraient être revus plus largement. Pour Rome, tout investissement destiné à doper la compétitivité devrait bénéficier des mêmes flexibilités.

La France, qui devrait être favorable à plus de flexibilité en matière budgétaire, veut augmenter de 1,5 point de pourcentage du PIB les dépenses militaires. Emmanuel Macron a ainsi fixé un objectif d’augmentation des dépenses militaires à 3,5 % du PIB à moyen terme, mais sans préciser à quelle échéance.

La révision du pacte de stabilité, à laquelle s’opposent les Pays-Bas et l’Autriche, est discutée en ce début de semaine à Bruxelles, à l’occasion des réunions, lundi et mardi, des ministres des finances de l’UE et de la zone euro.

BUY EUROPEAN? • Les Vingt-Sept se sont par ailleurs engagés à mettre l’accent sur les achats en commun afin de réduire les coûts et d’harmoniser les équipements. Ils entendent aussi privilégier les fournisseurs européens pour renforcer les capacités industrielles du continent.

Pas de trace, à ce stade, de la “préférence européenne” réclamée par la France. Celle-ci pourrait néanmoins faire surface au moment des discussions législatives concernant l’emploi des 150 milliards d’euros de prêts européens. De son côté, l’Allemagne insiste pour garder l'initiative ouverte à des pays qui ne font pas partie de l'UE — notamment le Royaume-Uni, la Norvège, la Turquie et la Suisse.

Outre ces mesures, les Vingt-Sept ont appelé la Banque européenne d’investissement (BEI) à adapter “en urgence” ses règles pour fournir des prêts à l'industrie de la défense. La BEI peut en effet financer les investissements dans les projets à double usage (civil et militaire), mais en excluant toutefois les armes, les munitions et l'équipement uniquement militaire.

Un changement des critères d’investissement de la BEI doit être discuté lors d’une réunion du Conseil européen les 20 et 21 mars, selon Euractiv


Inter Alia

BCE La Banque centrale européenne (BCE) a réduit son principal taux d’intérêt de 25 points de base à 2,5 %. C’est la sixième réduction des taux depuis juin 2024.

Le discours de Christine Lagarde, présidente de la BCE, laisse entendre que le rythme de baisse des taux pourrait ralentir dans les mois à venir.

La BCE souligne cependant que l'inflation que les pressions inflationnistes se détendent progressivement. Elle prévoit que l’inflation atteindra 2,3 % en 2025, 2,0 % en 2026 et 1,9 % en 2027, ce qui se rapproche de son objectif de 2 %. 

Par ailleurs, la croissance économique de la zone euro reste modérée. Les nouvelles prévisions estiment une croissance du PIB à 0,6 % en 2024, 1,5 % en 2025 et 1,6 % en 2026.

Questionnée sur un potentiel soutien de la BCE aux dépenses de défense, Christine Lagarde a rappelé : “Ce n’est pas le rôle de la BCE. Notre mandat est la stabilité des prix”.

ALLEMAGNE • Le 4 mars 2025, la CDU/CSU et le SPD ont conclu un accord budgétaire majeur, dix jours après les élections. L’objectif affiché est de renforcer la défense et relancer l’économie via une réforme du frein à l’endettement.

Les dépenses militaires au-delà de 1 % du PIB seront exclues des limites d’endettement. Un fonds spécial de 500 milliards d’euros sur dix ans financera infrastructures et innovation pour soutenir la compétitivité. 

Les Länder pourront s’endetter jusqu’à 0,35 % du PIB. Une loi accélérera les achats militaires et une commission planchera sur une réforme plus large du frein à la dette, attendue fin 2025.

Friedrich Merz insiste sur un engagement budgétaire immédiat pour renforcer la sécurité du continent, notamment après les récentes décisions du gouvernement américain.

Les marchés ont réagi fortement. Le 5 mars, le Bund à 10 ans a bondi de 0,31 point de pourcentage pour atteindre 2,79 %, sa plus forte hausse depuis 1997. 

La mise en œuvre de ces annonces pourrait s'avérer complexe, compte tenu de la nouvelle courte majorité CDU/CSU-SPD. La réforme du frein à la dette nécessitant une modification constitutionnelle, elle requiert l'approbation des deux tiers du Bundestag.

DMA Le 6 mars, la commissaire à la concurrence Teresa Ribera et la commissaire en charge de la technologie Henna Virkkunen ont adressé une lettre à Jim Jordan, président de la commission judiciaire de la Chambre des représentants des États-Unis, au sujet du Digital Markets Act (DMA).

Le 23 février, Jim Jordan avait écrit à Teresa Ribera, demandant des explications sur plusieurs aspects du DMA. Il estime que le règlement vise spécifiquement les entreprises américaines, que les amendes que la Commission peut imposer sont équivalentes à des tarifs douaniers — une critique déjà faite par Donald Trump — et que certaines dispositions du règlement limitent l’innovation.

Dans leur réponse, les deux commissaires insistent sur le fait que ce règlement “ne vise pas les entreprises américaines”, malgré le fait que cinq des sept gatekeepers — les entreprises qui doivent respecter le règlement — sont américains.

Elles soulignent également que l’objectif du DMA est d'assurer la conformité des entreprises, pas de mettre des amendes, et qu’elles sont déterminées à appliquer le règlement. 

Le 5 mars, plusieurs eurodéputés ont écrit à la procureure générale des Etats-Unis, Pam Bondi, et à Howard Lutnick, le secrétaire au commerce américain. Ils y expliquent notamment que le DMA n’a pas été conçu pour viser les entreprises sur la base de leur nationalité, et que de nombreuses entreprises américaines en bénéficient et sont favorables à son application — sont citées Netflix, Disney et Epic Games.

Le 25 mars 2024, le Commission européenne a ouvert des procédures concernant certains services d’Apple, Meta et Google qu’elle suspecte d’être nonconformes au DMA.

Le texte du DMA indique que la Commission doit “s’efforce[r] d’adopter sa décision constatant un non-respect dans les douze mois suivant l’ouverture de la procédure”, soit le 25 mars 2025. 

L’expression “s’efforcer” indique cependant qu’il n’y a pas d’obligation légale pour la Commission d’adopter des décisions d’ici le 25 mars — cette date limite pourrait donc, en théorie, être repoussée. Par ailleurs, la Commission dispose d’une totale discrétion sur le fait d’imposer ou non des amendes.


Nos lectures de la semaine

  • Dans un papier pour l’ECIPE, Andrea Dugo et Fredrik Erixon plaident en faveur d’une « approche à 8 % » pour l’UE : afin d’assurer le maintien de sa place dans l’ordre mondial, elle devrait consacrer 4 % de son PIB à la R&D et 4 % à la défense. 

  • Olivier Blanchard et Jean Pisani-Ferry détaillent, dans une tribune publiée sur Project Syndicate, une feuille de route pour permettre aux gouvernements de progresser sur la prévention des pandémies, le commerce, la fiscalité des entreprises et l’environnement, en dépit de l’opposition du gouvernement américain.

  • Pour l’Institut Montaigne, Georgina Wright et Énora Morin réfléchissent aux leçons que l’Europe peut tirer de l’Inflation Reduction Act de l’administration Biden.


Erratum : la semaine dernière, nous vous parlions du point de vue de Bruno Le Maire sur le Clean Industrial Deal, en oubliant de préciser qu’il est l’ancien* ministre de l’économie et des finances. Merci à nos lecteurs attentifs !

Cette édition a été préparée par Augustin Bourleaud, Antonia Przybyslawski, Léopold Ringuenet, Alexis Rontchevsky, Antoine Ognibene, Solène Cazals et Maxence de La Rochère. À la semaine prochaine !

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Par Augustin Bourleaud

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