Négociations transatlantiques : le DMA dans l’oeil du cyclone

Le DMA dans l’oeil du cyclone • Mais aussi — Pfizergate, Commerce international, Pride, Immunité, Simplification

La Revue européenne
5 min ⋅ 01/07/2025

Bonjour. Nous sommes le 1er juillet et voici votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn. Le briefing du jour vous est proposé par Mathieu Solal, journaliste européen et cofondateur de la newsletter BLOCS.


Le Briefing

Entré en application le 7 mars 2024, le règlement sur les marchés numériques (Digital Markets Act, DMA) se retrouve au coeur de débats sur les relations UE-US, alors même qu’il commence à produire ses effets.

APP STORE • Apple a annoncé le 26 juin avoir modifié les règles de l’App Store dans l’UE pour se conformer aux exigences de la Commission européenne et tenter d’éviter de nouvelles sanctions financières.

La Commission avait en effet infligé en avril une amende de 500 millions d’euros au géant américain, lui reprochant ses règles 'anti-steering', consiste à ne pas permettre aux entreprises de communiquer ou promouvoir leurs offres gratuitement à travers les services de plateforme essentiels qu’elles utilisent. 

En l’espèce, Apple ne permettait pas (ou du moins, pas de manière satisfaisante) aux développeurs d’applications qui distribuent leurs applications via l’App Store d’orienter les utilisateurs via d’autres offres plus avantageuses hors de l’App Store.

Apple avait jusqu’au 26 juin pour présenter à la Commission européenne des propositions alternatives, et aura donc attendu le dernier jour pour le faire.

Désormais, l’entreprise propose aux développeurs tiers des options supplémentaires pour assurer le paiement des utilisateurs, y compris la possibilité de passer par leurs propres sites web ou magasins d'applications.

Apple a du même coup annoncé son intention de faire appel de la sanction, et a jusqu’au 7 juillet pour le faire. De son côté, la Commission “prend note de l’annonce d’Apple et va désormais évaluer ces nouvelles conditions commerciales au regard de leur conformité avec le DMA”, a expliqué jeudi un de ses porte-parole, Thomas Regnier.

EFFICACITÉ DÉMONTRÉE • L’épisode tend à démontrer l’efficacité de ce règlement emblématique de la Commission von der Leyen I, qui crée des obligations spécifiques pour “gatekeepers” (ou “contrôleurs d’accès”), lesquels sont au nombre de sept : Alphabet, Amazon, Apple, Booking, ByteDance, Meta et Microsoft.

Pour rappel, les sanctions financières peuvent atteindre 10% du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise contrevenant aux obligations du DMA.

Hasard du calendrier, cette mise en évidence de la pertinence du DMA est intervenue sur fond de rumeurs, étayées par un article du Wall Street Journal, quant à la possibilité que l’UE consente à saborder le texte, dans le cadre des négociations commerciales avec Washington.

Ces négociations sont censées aboutir avant la date butoir du 9 juillet pour éviter une remise en place des droits de douane dits “réciproques” mis en place par Donald Trump début avril et suspendus une semaine plus tard.

La Commission, poussée par l’Allemagne et l’Italie, qui ont le plus à perdre dans le conflit commercial avec les États-Unis, semble tentée de satisfaire les volontés américaines de démantèlement de la régulation numérique européenne.

EURODÉPUTÉS À LA RESCOUSSE • Ces derniers jours, la Vice-présidente exécutive de la Commission européenne, Teresa Ribera, en charge, notamment, de l’application du DMA, a répété qu’un compromis impliquant un revirement sur ces textes n’était pas envisageables.

 “On sent qu’Ursula von der Leyen est sous la pression de l’industrie allemande et du PPE, à dominante allemande aussi, pour obtenir un accord à tout prix”, estime Elvire Fabry, Chercheur senior en Géopolitique du commerce à l'Institut Jacques Delors. “Le message fort de Teresa Ribera, qui évoque à juste titre un enjeu de souveraineté européenne, doit être compris dans ce contexte”.

 “Le DMA est l’un des piliers de notre régulation numérique […]. Remettre en cause son application, notamment en accordant des traitements de faveur à certaines entreprises américaines, reviendrait à fragiliser le droit européen et créer un précédent dangereux”, a pour sa part lancé l’eurodéputée macroniste Stéphanie Yon-Courtin, dans un message posté sur LinkedIn.

Avec 22 autres eurodéputés, la Française a envoyé des demandes de clarifications à la Commission sur ce sujet.

La fronde parlementaire pourrait peser. Comme l’a rappelé la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, aux dirigeants européens, lors d'un sommet la semaine dernière, le Parlement joue en effet un rôle essentiel dans l’adoption de tout accord commercial à venir avec Washington.

La Commission ne semble certes pas prête à revenir sur le texte du DMA, mais pourrait trouver d’autres moyens de rassurer la partie américaine. Mardi dernier, le chef d’unité au département Commerce de la Commission européenne, Matthias Jorgensen, a ainsi évoqué la possibilité de “regarder comment le gouvernement américain peut se conformer de manière plus facile aux législations européennes”.


Inter Alia

DÉFIANCE • Le Parlement européen doit se prononcer sur une motion de censure en juillet contre Ursula von der Leyen. Cette initiative a été lancée par l’eurodéputé Gheorghe Piperea (ECR) et a obtenu les 70 signatures d’eurodéputés requises pour être mise au vote. 

La motion vise à sanctionner le manque de transparence de la Commission suite au scandale dit  du “Pfizergate” concernant des SMS non publiés avec le PDG de Pfizer lors des négociations sur les vaccins Covid-19.

Dans son immense majorité, le bloc centriste (PPE, S&D, Renew) refuse de s’associer à une démarche pilotée par l’extrême droite et prévoit de rejeter la motion. Le vote obligera von der Leyen à se justifier publiquement, mais sa destitution reste très improbable. Celle-ci nécessiterait une majorité des deux tiers au Parlement. 

LIBRE ÉCHANGE Le 26 juin, Ursula von der Leyen a proposé de renforcer la coopération commerciale entre l’UE et les douze pays membres du Partenariat transpacifique global et progressiste (Comprehensive and Progressive Agreement for Trans-Pacific Partnership, ou CPTPP). 

Ursula von der Leyen ou encore Friedrich Merz voient dans cette coopération les prémisses d’une alternative crédible à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), frappée de paralysie depuis des années. 

Ce partenariat pourrait par exemple déboucher sur l’institution d’un organe de résolution des différends entre les pays de l’UE et du CPTPP. Le CPTPP réunit  le Canada, le Japon,le Royaume-Uni, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Mexique, le Pérou, le Chili, Singapour, Brunei, la Malaisie et le Vietnam. 

L’initiative sert aussi de levier de négociation avec les Etats-Unis, alors que les exemptions de droits de douane expirent le 9 juillet. La Commission a par ailleurs proposé un projet d’accord commercial transatlantique. 

PRIDE •⁠ Malgré l’interdiction du gouvernement hongrois, plus de 100 000 personnes ont défilé samedi 29 juin à Budapest lors de la Pride, organisée par l’ONG Rainbow Mission avec le soutien de la mairie. 

Le maire de Budapest a contourné la loi anti-LGBTQ+ en requalifiant la marche en événement municipal. Soutenue par plus de 70 eurodéputés et plusieurs ministres européens, la Pride a pris une dimension politique forte, à dix mois des élections législatives de 2026.

De nombreuses figures européennes y ont participé, dont plus de 70 eurodéputés et plusieurs ministres, tandis qu’Ursula von der Leyen a exprimé son soutien à l’événement dans une vidéo. Orbán a immédiatement dénoncé une “ingérence dans les affaires intérieures”.

IMMUNITÉ •⁠ La présidente du Parlement européen Roberta Metsola propose d’imposer aux autorités judiciaires nationales de fournir des informations détaillées avant qu’une demande de levée d’immunité parlementaire ne soit officiellement annoncée en séance plénière au Parlement européen. 

Cela intervient après le cas récent de l’eurodéputée italienne Giusi Princi, visée par une demande belge de levée d’immunité concernant les allégations de corruption liées à l’entreprise technologique chinoise Huawei, et finalement retirée peu après.

En l’état actuel des règles, toute demande, quel qu’en soit le contenu, doit être annoncée en séance plénière du Parlement.

SIMPLIFICATION • Après de longues négociations, le Conseil de l’UE a adopté son mandat de négociation sur la réforme des directives CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) et CSDDD (Corporate Sustainability Due Diligence Directive). 

Les principaux changements suggérés par le Conseil visent à alléger de manière plus prononcée la charge réglementaire pour les entreprises, en relevant les seuils de conformité : 1 000 employés et 450 millions d’euros de chiffre d’affaires pour la CSRD, et 5 000 employés et 1,5 milliard d’euros pour la CSDDD. 

Le calendrier de mise en conformité est également repoussé. Le Conseil privilégie une approche de diligence raisonnable basée sur les risques et limite les obligations de reporting dans la chaîne de valeur. Le Parlement européen doit encore définir sa position, laissant présager des négociations complexes.


Nos lectures de la semaine

  • Pour le FT, Alice Hancock, Richard Milne et Attracta Mooney analysent les difficultés rencontrées par le secteur de l’acier dit “vert” au sein de l’Union européenne.


Cette édition a été préparée par Augustin Bourleaud, Mathieu Solal, Thomas Veldkamp, Lidia Bilali, Antoine Ognibene et Alexis Rontchevsky. À la semaine prochaine !

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Par What's up EU