Mais aussi - SCAF, Sanctions, Climat
Bonjour. Nous sommes le 22 septembre et voici la Revue européenne de What’s up EU, votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn.
BRIEFING | Par Oscar Guinea
Oscar Guinea est Senior Economist au sein du European Center for International Political Economy (ECIPE). Spécialisé dans les questions liées au commerce international, au digital, aux politiques industrielles et à la santé, il tient une chronique régulière dans le quotidien espagnol El País.
Le film Moneyball retrace la manière dont les A’s d'Oakland ont révolutionné le baseball, non pas en inventant de nouveaux indicateurs statistiques, mais en exploitant des données existantes d’une façon totalement originale et plus rigoureuse que les autres équipes.
La leçon à tirer pour les pays à la traîne dans la course à la technologie est la suivante : il n’est pas nécessaire d’être un très bon innovateur si l’on sait appliquer les technologies existantes de manière ingénieuse.
Il en va de même pour la technologie numérique en Europe. L'UE a pris du retard dans le domaine de l'intelligence artificielle. Mais il y a encore de l'espoir — si les entreprises européennes ne sont pas celles qui inventent la prochaine génération de systèmes d'IA, elles devraient au moins être les premières à les utiliser.
Un récent paper du European Center for International Political Economy (ECIPE) explore de la situation de l’UE en matière d'adoption des technologies numériques.
Cette adoption est très inégale : certaines économies relativement petites comprenant les pays nordiques, l'Irlande et les Pays-Bas, sont à l'avant-garde.
Les grandes économies européennes — Allemagne, France, Italie et Espagne — se situent quant à elles au milieu du classement.
L’adoption varie également considérablement en fonction du secteur. Par exemple, les constructeurs automobiles européens sont très en retard, ce qui constitue un frein au développement des véhicules autonomes.
En l’état, le cadre réglementaire européen ne permet pas l’adoption rapide de ces nouvelles technologies.
Une entreprise européenne désireuse de déployer un nouvel outil numérique est confrontée à trois niveaux de réglementation.
Tout d'abord, elle doit se conformer aux règlements européens telles que le GDPR, le AI Act, et, dans certains cas, le DMA.
Elle doit ensuite respecter les règles nationales de son pays d'origine.
Enfin, si elle souhaite exporter des services numériques, elle doit à nouveau s'adapter aux différentes réglementations de son marché cible. L'Europe dispose peut-être d'un marché unique pour les biens, mais lorsqu'il s'agit de services — qui concentrent l’utilisation des technologies numériques — le marché unique peine à se matérialiser.
La grande promesse des technologies numériques réside dans leur capacité à s'adapter efficacement une fois qu'elles sont développées. Si la réglementation gonfle les coûts de mise en conformité, les entreprises réfléchiront à deux fois avant d'investir dans ces technologies.
Pour beaucoup d'entre elles, le choix rationnel est tout simplement de ne pas procéder à l’adoption. Les futurs champions numériques de l'Europe ne verront jamais le jour s'ils sont assommés par les coûts administratifs avant même de pouvoir se développer.
Les effets sont déjà visibles. Les pays et les secteurs qui utilisent moins de technologies numériques sont également moins productifs et génèrent moins de valeur.
Les restrictions réglementaires réduisent l'adoption des technologies numériques et, par ce biais, la compétitivité. L’ECIPE estime que cette réduction s’élève à 1,3 % de la valeur ajoutée.
Ce chiffre peut sembler anecdotique. Mais appliqué à la valeur ajoutée du secteur privé de l'UE, qui s’élevait à 10 061 milliards d'euros en 2022, cela représente une perte de 131 milliards d'euros, soit plus de 300 000 euros par entreprise de l'UE, et ce chaque année.
C'est la raison pour laquelle l'initiative Digital Omnibus de la Commission européenne est importante.
La commissaire européenne Henna Virkkunen est originaire de Finlande, l'État membre où le pourcentage d'entreprises utilisant la technologie numérique est le plus élevé — elle comprend l'importance de la diffusion du numérique. L’UE ne peut pas se permettre de prendre davantage de retard en la matière.
Pourtant, il ne suffit pas d'abaisser les exigences en matière de reporting. L'UE doit véritablement éliminer les barrières qui freinent encore le développement des services numériques et non numériques. C'est pourquoi le discours sur l'état de l'Union d’Ursula von der Leyen, est particulièrement important : elle y a reconnu le problème explicitement et a proposé une feuille de route pour le marché unique — y compris celui des services — à l'horizon 2028.
IN CASE YOU MISSED IT
DÉFENSE • Au sein du projet SCAF (Système de combat aérien du futur), le couple franco-allemand bat de l’aile.
Lancé par la France et l’Allemagne en 2017 et rejoint ensuite par l’Espagne, SCAF vise à mettre au point un système de combat aérien de nouvelle génération associant un avion, des drones et des capacités connectées, afin de remplacer les flottes existantes d’ici 2040.
L’Allemagne envisagerait à présent de poursuivre le développement du programme sans la France, après de longs mois de négociations infructueuses sur la gouvernance et la répartition du travail industriel.
Dassault, qui représente la France, réclame une plus grande autonomie de pilotage et de décision, là où Airbus, qui représente l’Allemagne, défend une gestion tripartite telle qu’établie à l’origine.
L’Espagne, qui, via l’entreprise Indra, développe certains aspects du projet, partage la vision allemande.
Une date butoir a été fixée à la fin de l’année par les ministres allemand et français de la défense pour résoudre le différend ou envisager une alternative, soit à deux, soit avec d’autres partenaires.
Si aucun compromis n’est trouvé, le format à trois du SCAF pourrait donc évoluer, mettant à mal la concrétisation d’une capacité industrielle commune en matière de défense européenne.
SANCTIONS • Comme annoncé dans le discours d’Ursula von der Leyen sur l’état de l’Union, la Commission européenne a proposé 19e paquet de sanctions contre la Russie.
Ce nouveau train de mesures cible surtout le secteur énergétique : il prévoit d’interdire les importations européennes de gaz naturel liquéfié (GNL) russe un an plus tôt que prévu, soit dès janvier 2027. L’objectif est de priver la Russie d’une source majeure de revenus qui continue d’alimenter son effort militaire, même après la nette réduction des livraisons de gaz depuis 2022.
En 2024, la Russie fournissait encore près d’un cinquième du gaz consommé en Europe, dont une grande partie sous forme de GNL.
En toile de fond, la pression de la Maison Blanche, qui conditionne le renforcement des mesures contre Moscou à une sortie totale des Européens de leur dépendance vis-à-vis des hydrocarbures russes.
À cela s’ajoute un élargissement de la liste noire maritime avec 118 nouveaux navires liés à la “flotte fantôme”, et des mesures renforcées visant le secteur pétrolier, notamment une interdiction totale de transactions commerciales pour Rosneft et Gazprom Neft.
Ces outils viennent s’ajouter à la baisse du plafond sur le prix du pétrole russe exporté et à de nouvelles sanctions contre des entreprises énergétiques de pays tiers soupçonnées de faciliter le contournement.
L’adoption de sanctions requiert l’unanimité au Conseil. Afin d’obtenir l’aval de la Hongrie, la Commission prévoirait de débloquer près de 550 millions d’euros de fonds européens jusque-là gelés.
La suspension des relations commerciales avec Israël et les sanctions annoncées pendant le discours d’Ursula von der Leyen sur l’Etat de l’Union ont également été présentées par la Commission.
CLIMAT • L’UE n’est pas parvenue à adopter un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2035 à temps pour la COP 30 : au terme d’épineuses négociations, les ministres de l’environnement européens ont seulement adopté une déclaration d’intention, proposant une fourchette de réduction (66,25 % à 72,5 % par rapport à 1990).
Ces discussions visaient à répondre à une exigence de l’ONU : chaque partie à l’Accord de Paris doit présenter un objectif chiffré (ou contribution nationale, dite NDC) pour 2035 avant la COP. Cet objectif devait être présenté d’ici fin septembre.
L’impasse s’explique par le l’interdépendence entre l’objectif européen à l’horizon 2035 et celui à l’horizon 2040.
En juillet, la Commission avait proposé de fixer l’objectif 2040 à une réduction de 90 % (par rapport à 1990). La présidence danoise du Conseil de l’UE souhaite déduire la cible 2035 de ce cap de long terme, afin d’assurer la cohérence du calendrier climatique.
Un vote sur ces objectifs devait avoir lieu le 18 septembre, mais une dizaine d’Etats membres, dont la France, l’Allemagne, la Pologne et l’Italie (qui forment une minorité de blocage), a demandé à ce que le vote soit repoussé pour que davantage de discussions puissent avoir lieu — plusieurs Etats souhaitent en effet plus de flexibilité sur ces objectifs et s’inquiétent d’effets potentiellement négatifs sur l’industrie.
Pour le FT, Martin Sandbu explique pourquoi la création d’un “28e régime” de droit européen des sociétés est essentielle pour permettre aux entreprises de tirer pleinement profit du marché unique.
Dans un discours prononcé lors de la neuvième conférence annuelle du Comité européen du risque systémique (ESRB), Adam Posen, président du Peterson Institute for International Economics, explique que l’Europe est bien positionnée pour faire face aux risques de stabilité financière liés aux évolutions du système commercial international.
Merci à Maxence de La Rochère pour son aide dans la préparation de cette édition. À la semaine prochaine !