Premières amendes dans le cadre du DMA • Mais aussi — Huawei, Londres, Migration, Pays-Bas
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La Commission européenne a infligé à Meta et Apple des amendes de 200 et 500 millions d’euros respectivement pour non-respect de leurs obligations dans le cadre du Digital Markets Act (DMA), le règlement qui vise à garantir l’existence de marchés numériques contestables et équitables au sein de l’UE.
Apple & Meta
RAPPELS • Depuis mars 2024, les obligations contenues dans le DMA doivent être respectées par les “gatekeepers” (ou “contrôleurs d’accès”), qui sont au nombre de sept : Alphabet, Amazon, Apple, Booking, ByteDance, Meta et Microsoft.
Ces plateformes ont été désignées comme “gatekeepers” car elles (i) disposent d’un poids important sur le marché intérieur, (ii) fournissent un ou des services de plateforme essentiel(s) constituant un point d’accès majeur entre entreprises et utilisateurs finaux, et (iii) jouissent d’une position durable dans leurs activités (conditions cumulatives).
Le 25 mars 2024, soit à peine trois semaines après l’entrée en application des obligations du DMA, la Commission ouvrait des enquêtes pour non-conformité contre Alphabet, Apple et Meta.
COUPERET • Un peu plus d’un an plus tard, la Commission a finalisé ses enquêtes en ce qui concerne Apple et Meta.
Apple : la Commission constate que l’entreprise à la pomme est engagée dans des pratiques dites “d’anti-steering”. L’anti-steering (“anti-orientation”) consiste à ne pas permettre aux entreprises de communiquer ou promouvoir leurs offres gratuitement à travers les services de plateforme essentiels qu’elles utilisent. En l’espèce, Apple ne permet pas (ou du moins, pas de manière satisfaisante) aux développeurs d’applications qui distribuent leurs applications via l’App Store d’orienter les utilisateurs via d’autres offres plus avantageuses hors de l’App Store.
Meta : la Commission constate que le modèle “consentir ou payer” (“Pay or Consent”) de Meta ne respecte pas les obligations du DMA en matière d’utilisation des données. Le DMA exige que les gatekeepers demandent le consentement de leurs utilisateurs pour que les données à caractère personnel puissent être combinées entre les services du gatekeeper. Le choix binaire entre consentir à l’utilisation des données ou payer ne permet pas à l’utilisateur de consentir réellement.
Les conséquences sont lourdes : une amende de 500 millions d’euros pour Apple et une amende de 200 millions d’euros pour Meta.
Les deux entreprises doivent se conformer au DMA dans un délai de 60 jours, faute de quoi elles pourraient se voir imposer des astreintes.
QUE PENSER • Ce sont les premières décisions de non-conformité adoptées par la Commission dans le cadre du DMA.
Le DMA prévoit qu’en cas de non-conformité, la Commission peut infliger des amendes dont le montant peut représenter jusqu'à 10% du chiffre d’affaires annuel mondial des entreprises.
Le chiffre d’affaires annuel mondial d’Apple était de 391 milliards de dollars en 2024 (de septembre 2023 à septembre 2024), soit environ 345 milliards d’euros. L’amende de 500 millions d’euros représenterait donc environ 0,13% du chiffre d'affaires annuel mondial d’Apple — bien en dessous des 10%.
En ce qui concerne Meta, dont le chiffre d'affaires annuel mondial était de 164 milliards de dollars en 2024 (environ 144 milliards d’euros), l’amende représente également près de 0,13% du chiffre d'affaires.
Trois éléments semblent expliquer ce pourcentage qui, à première vue, peut sembler faible.
La Commission tient compte de la gravité et de la durée du manquement. Les obligations du DMA étant entrées en application il y a un an, le volet durée est forcément limité.
La Commission dit avoir tenu compte du fait que ce sont les premières décisions de non-conformité.
Enfin, la Commission insiste sur le fait que l’objectif du DMA n’est pas d’imposer des amendes mais d’assurer la mise en conformité des gatekeepers. Contrairement aux règles de concurrence classiques (i.e. l’article 102 du TFUE, qui interdit les abus de position dominante), les gatekeepers connaissent à l’avance les comportements qu’ils doivent (ou ne doivent pas) adopter et la Commission est un dialogue continu avec eux.
Ces amendes ne sont pas anecdotiques pour autant. Leur niveau reste élevé : Christophe Carugati compare l’amende imposée à Apple dans le cadre du DMA à celle imposée à l’entreprise pour pratique d’anti-steering dans l’affaire Apple-Spotify (abus de position dominante).
La Commission avait imposé une amende de 1,8 milliards de dollars à Apple pour un comportement d’anti-steering s’étendant sur presque neuf années.
En ce qui concerne le DMA, “la Commission a infligé une amende de 500 millions d'euros — dix fois plus élevée — pour un comportement qui avait débuté un an plus tôt, le 7 mars 2024, et qui se poursuivait encore au moment de la décision”, note Carugati.
Ces décisions sont également un message puissant vis-à-vis des Etats-Unis. Après son investiture, Donald Trump avait comparé les amendes en matière d’antitrust à des droits de douane.
Ce à quoi la commissaire à la concurrence Teresa Ribera avait répondu : “Il ne s'agit pas d'une taxe. Cela n’a rien à voir avec la nationalité. C'est la loi.”
Pourtant, des rumeurs laissaient entendre que le risque de représailles commerciales avait conduit la Commission à réévaluer l’issue de ses enquêtes.
RÉACTIONS • Apple a qualifié “d’injuste” la décision de la Commission et a annoncé qu’elle ferait appel.
Pour Meta, la Commission “tente de défavoriser les entreprises américaines performantes tout en autorisant les entreprises européennes et chinoises à opérer selon des standards différents”. Meta fera aussi très probablement appel.
Pour rappel, cinq des sept gatekeepers désignés par la Commission sont américains (Booking est une entreprise néerlandaise ; ByteDance, chinoise).
MAIS AUSSI • Parallèlement aux amendes imposées à Apple et Meta, la Commission a annoncé avoir clôturé son enquête sur les obligations d’Apple en matière de choix de l’utilisateur.
Le DMA impose aux gatekeepers qui gèrent un système d’exploitation de permettre aux utilisateurs d'exercer pleinement leur liberté de choix.
En l’espèce, Apple doit “permettre aux utilisateurs finaux de désinstaller facilement toute application logicielle sur iOS, ii) de permettre aux utilisateurs de modifier facilement les paramètres par défaut sur iOS et iii) d'inciter les utilisateurs, au moyen d'écrans de sélection, à sélectionner effectivement et facilement un autre service par défaut, tel qu'un navigateur ou un moteur de recherche, sur leurs iPhones.”
Suite à un “dialogue constructif” entre la Commission et Apple et des changements réalisés par Apple, la Commission a considéré que l’entreprise respecte l’obligation précitée.
Aussi : le rapport annuel de la DG Concurrence est sorti : il contient un chapitre sur le DMA.
HUAWEI • En mars, la Commission a banni Huawei de son enceinte ainsi que de celle du Parlement européen. Le 24 avril, cet ordre s’est étendu aux intermédiaires qui représentent les intérêts de l’entreprise.
Depuis plus d’un mois, Huawei est au centre d’une enquête concernant des accusations de corruption au Parlement européen. Il est question de cadeaux démesurés et de rémunérations pour des prises de positions politiques.
Plusieurs personnes ont déjà été arrêtées au cours de cette enquête, dont un haut cadre de Huawei.
Les associations de représentation des intérêts dont Huawei est membre pourront toujours échanger avec la Commission quand elles ne représentent pas explicitement les intérêts de l’entreprise chinoise, mais cette frontière est floue. Pour éviter le moindre risque, plusieurs associations et lobbies réfléchissent déjà à exclure Huawei.
LONDRES • Le 24 avril, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le Premier ministre britannique Keir Starmer se sont entretenus à Londres, en marge d’un sommet sur la sécurité énergétique.
La rencontre visait à préparer le sommet UE/Royaume-Uni prévu le 19 mai, qui pourrait donner lieu à un nouveau partenariat stratégique.
En matière de défense, les discussions portaient notamment sur la possible conclusion d’un accord qui permettrait au Royaume-Uni de participer au nouveau programme de prêts de 150 milliards d’euros pour la défense de l’UE, SAFE.
Seules les entreprises des pays tiers ayant conclu un pacte de sécurité avec l’Union pourraient participer au programme, à condition que soient négociés entre ces Etats et l’UE des accords supplémentaires spécifiques qui pourraient comprendre, dans le cas du Royaume-Uni, le renforcement de la standardisation des systèmes de défense ainsi qu’une contribution financière.
MIGRATION • Le 16 avril, la Commission européenne a proposé une liste de sept “pays d’origine sûrs” pour accélérer le traitement des demandes d’asiles des ressortissants de ces pays.
Les pays listés sont le Kosovo, le Bangladesh, la Colombie, l’Égypte, l’Inde, le Maroc et la Tunisie.
La liste fait partie d’une proposition de la Commission pour accélérer l’implémentation du Pacte Asile et Migration adopté en 2024 et qui entrera en application en juin 2026.
L’harmonisation de la liste des pays dont les ressortissants ne sont pas considérés comme exposés à des persécutions permettrait d’éviter un afflux des demandes d’asile dans les États membres aux critères les plus souples. Les pays candidats à l’entrée dans l’UE seraient également considérés comme sûrs.
La proposition suscite des critiques d’organisations de défense des droits humains, qui estiment que certains pays figurant sur la liste présentent des bilans préoccupants en matière de droits fondamentaux.
La liste devra être approuvée par le Parlement européen et le Conseil.
PAYS-BAS • Le 25 avril, le gouvernement néerlandais a présenté son plan pour réduire les émissions d’azote. Porté par la ministre de l’Agriculture (Mouvement Agriculteur-Citoyen, BBB), le plan vise une réduction de moitié des émissions d’ici 2035, un recul par rapport aux objectifs précédents.
En janvier 2025, l’Etat avait pourtant été condamné pour ses manquements au regard du droit néerlandais et européen, après une plainte de Greenpeace. Un tribunal néerlandais avait alors jugé que l’Etat devait se conformer avant 2030 à la Directive Habitats qui encadre les zones Natura-2000.
Issues notamment par l’agriculture intensive, les émissions d’azote néerlandaises sont parmi les plus élevées de l’UE. L’opposition des agriculteurs aux mesures précédentes avait permis au BBB d’intégrer le gouvernement après les élections de 2023.
Le gouvernement s’expose désormais à de nouvelles plaintes, déjà annoncées par certaines ONG environnementales, et à la possibilité d’une procédure d’infraction de la Commission, dont la réaction demeure toutefois tempérée pour le moment.
Deux analyses à lire du potentiel de développement du rôle international de l’euro : l'une par Luis Garicano, John Cochrane et Klaus Masuch dans Silicon Continent, et l'autre par Philippe Legrain dans Project Syndicate.
Cette édition a été préparée par Augustin Bourleaud, Thomas Veldkamp, Antoine Langrée, Luna Ricci, Antoine Ognibene et Maxence de La Rochère. À la semaine prochaine !