Trump, Musk, Zuckerberg : les trois mousquetaires à l'assaut de l’Europe

Tensions UE-US • Mais aussi — Menace sur le Groenland, Industrie européenne, Sanctions sur la Syrie, Update sur l'inflation

What's up EU
6 min ⋅ 14/01/2025

Bonjour. Nous sommes le 14 janvier et voici votre condensé utile d’actualité européenne. Le briefing de la semaine vous est proposé par Antonia Przybyslawski, journaliste européenne et rédactrice de BLOCS.


Le Briefing

À moins d’une semaine de l’investiture de Donald Trump à la Maison-Blanche le 20 janvier, l’Union européenne fait face à une salve d’attaques émanant du président élu et des poids lourds de la tech américaine.

© SEAS, 2023© SEAS, 2023

LIBERTÉ D’EXPRESSION • Au nom de la défense de la liberté d’expression, le patron de Meta, Mark Zuckerberg, a annoncé le 7 janvier la suppression du programme de vérification des faits sur Facebook et Instagram aux États-Unis, suivant ainsi la voie tracée par X (ex-Twitter), propriété d’Elon Musk.

“Nous allons nous débarrasser des fact-checkers et les remplacer par des notes de la communauté, comme sur X, en commençant par les États-Unis”, a déclaré Mark Zuckerberg. Selon lui, ces vérifications auraient davantage nui à la confiance des utilisateurs qu’elles ne l’auraient renforcée, en raison de leur supposée partialité politique.

Le patron de Meta n’a pas caché son hostilité au Digital Services Act (DSA), un règlement européen porté par Thierry Breton et entré en vigueur en février 2024.

Ce texte impose des obligations strictes de modération aux grandes plateformes numériques pour protéger les droits fondamentaux, le discours démocratique et les processus électoraux contre la désinformation, sous peine de sanctions financières pouvant atteindre 6% du chiffre d’affaires mondial des entreprises concernées.

Des infractions d’une gravité extrême — causant un préjudice grave aux utilisateurs et entraînant des infractions pénales mettant en danger la vie ou la sécurité des personnes — peuvent mener à la suspension temporaire par un juge d’un réseau social au sein de l’UE (voir l’article 51(3)(b) du DSA). 

“L’Union européenne institutionnalise la censure”, a accusé le patron de Meta dans son message à ses utilisateurs. Dans un mouvement d'allégeance au président-élu, Mark Zuckerberg a ajouté qu’il comptait sur le soutien de Donald Trump pour neutraliser ces réglementations. 

SOUTIEN À L’EXTRÊME DROITE • Une prise de position saluée par Elon Musk, qui a multiplié ces derniers jours les interventions polémiques, en soutenant notamment le parti allemand Alternative pour l’Allemagne (AfD).

Le 9 janvier, Musk a offert une tribune de plus d’une heure à Alice Weidel, cheffe de file de l’AfD, sur sa plateforme X. Cette intervention, survenue en pleine campagne électorale allemande pour les élections du 23 février, a suscité un tollé parmi les dirigeants européens.

Le président allemand, Frank-Walter Steinmeier, a dénoncé une “influence extérieure non dissimulée”, tandis qu’Emmanuel Macron a accusé Elon Musk de promouvoir une “internationale réactionnaire” et d’intervenir directement dans les élections européennes.

Inquiets de l’avantage déloyal que pourrait donner Elon Musk à Alice Weidel face aux autres candidats allemands, plusieurs Etats membres appellent la Commission européenne à une réaction fondée sur le DSA.  

BRUXELLES SOUS PRESSION • Si la Commission “n’exerce pas ses compétences avec fermeté” pour protéger le débat public en ligne, “elle devra laisser la liberté aux États de prendre des mesures nationales”, a martelé le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot.

Au Parlement européen, la pression monte également. La semaine dernière, l’eurodéputée Aurore Lalucq, présidente de la commission des affaires économiques et monétaires, a saisi l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Elle accuse X et Elon Musk d’utiliser leurs algorithmes pour manipuler l’information et amplifier certains contenus.

La Commission adopte néanmoins pour l’heure une posture prudente face à cette polémique. Déjà engagée dans une enquête contre X depuis décembre 2023 — dont les conclusions n’ont pas encore été rendues publiques — elle semble vouloir éviter de nouvelles confrontations.

“La Commission a fait le choix politique (…) de ne pas nourrir ce débat pour l’instant”, a indiqué la semaine dernière Paula Pinho, porte-parole de la Commission. Une réunion entre régulateurs allemands et des représentants de X a toutefois été convoquée par la Commission le 24 janvier pour discuter des risques liés aux élections allemandes.

MENACES AMÉRICAINES • Une timidité qui peut s’expliquer par l’arrivée imminente de Donald Trump à la Maison-Blanche. L’UE redoute que Washington ne réagisse par des représailles, notamment via des droits de douane sur les exportations européennes ou un désengagement du soutien américain à l’Ukraine.

Pendant la campagne américaine, le futur vice-président J. D. Vance, avait affirmé que la Maison Blanche serait prête à retirer son soutien de l’OTAN si l’UE sanctionnait l’entreprise d’Elon Musk. 

Ces signaux renforcent l’idée que les réglementations numériques européennes pourraient devenir le nouvel épouvantail de l’administration Trump. Soutenus par des géants de la tech, les États-Unis pourraient intensifier la pression sur une Europe accusée de freiner l’innovation et d’entraver la compétitivité des entreprises américaines.


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Des défis environnementaux à l’évolution des habitudes alimentaires, l’élevage bovin se cherche un avenir durable. Dans son article pour le site Agriculture Circulaire, Thierry Pouch explore les adaptations nécessaires pour pérenniser cette filière : répondre aux attentes sociétales, préserver l’autonomie alimentaire et faire face à la concurrence internationale. Côté environnement, l’élevage herbager est une piste clé pour rendre le secteur plus durable. C’est à lire ici.


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GROENLAND Dans la lignée de notre briefing du jour : le 6 janvier, lors d’une conférence de presse, Donald Trump a évoqué un possible recours à la force militaire ainsi que l’imposition de sanctions douanières contre le Danemark si celui-ci refuse de lui céder le Groenland.

Le Groenland, pays constitutif du royaume du Danemark, dispose à l’échelle de l’UE du statut de pays et territoire d’outre-mer (PTOM), et fait partie de l’OTAN. Il reçoit des financements européens et les Groenlandais bénéficient de la citoyenneté européenne. 

Les réactions européennes face aux déclarations de Trump ont été pour le moins variées. Le chancelier allemand Olaf Scholz a dénoncé une atteinte au principe d’inviolabilité des frontières, à l’instar du ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot. A contrario, la première ministre italienne, Giorgia Meloni, a relativisé, y voyant un avertissement destiné à Pékin et Moscou.

La timide réaction de la Commission européenne — que certains attribueront à l’absence d’Ursula von der Leyen, souffrante d’une pneumonie — a été remarquée.

En conférence de presse, un porte-parole de la Commission a insisté sur l’aspect “extrêmement théorique” de la situation, se refusant à condamner explicitement les propos de Donald Trump. Il a cependant rappelé que toute attaque contre le Groenland déclencherait la clause de défense mutuelle de l'article 42(7) du traité sur l’Union européenne et l’article 5 du traité de l’OTAN.

INDUSTRIE • Dans un entretien avec Politico, le commissaire européen Stéphane Séjourné a esquissé les grandes lignes du ‘Clean Industrial Deal’ (Pacte pour une industrie propre), qui devrait être présenté le 26 février. 

Cette initiative législative avait été annoncée par Ursula von der Leyen dans son discours de juillet devant le Parlement européen, le jour de sa réélection à la tête de la Commission européenne.

Ce plan vise à soutenir l’industrie européenne face à son manque de compétitivité, tout en favorisant la décarbonation. Les secteurs à forte intensité énergétique — acier, aluminium, ciment, chimie etc. — seront particulièrement visés : le rapport Draghi a rappelé que les entreprises européennes paient leur électricité deux à trois fois plus cher en Europe qu’aux Etats-Unis, et 4 à 5 fois plus cher pour le gaz.

Le Clean Industrial Deal misera sur des “marchés publics décarbonés”, comprenant des règles favorisant les produits made in Europe, ainsi qu’un label industriel vert.

S’ajoutant au Clean Industrial Deal, un paquet ‘Omnibus’, visant à simplifier les obligations de reporting des entreprises, devrait aussi être annoncé dans les semaines à venir.

Le paquet ‘Omnibus’ divise les chefs d’entreprises des deux côtés du Rhin. Plusieurs grandes entreprises françaises comme EDF, Amundi, L’Oréal ou encore Carrefour, ont écrit à la Commission européenne pour demander à ce que les exigences de la Directive CSRD (sur le reporting en matière de durabilité) ne soient pas réduites afin de garantir la sécurité juridique. À l’inverse, la fédération des industries allemandes (BDI) appelle urgemment à une simplification des règles.

Enfin, une ‘Boussole sur la compétitivité’ (Competitiveness Compass) — initiative encore floue, inspirée du rapport Draghi — doit être présentée.

SYRIE Le 9 janvier, les représentants des États membres du format “Quint” (France, Etats-Unis, France, Italie, Royaume-Uni) et la haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères, Kaja Kallas, se sont réunis à Rome pour coordonner la réponse internationale à la Syrie post-Assad. 

Une question brûlante est celle des sanctions adoptées par l’UE contre la Syrie dans le contexte de la guerre civile débutée en 2011.

Suite à la chute du régime de Bachar Al Assad le 8 décembre 2024 et la prise du pouvoir par les rebelles du mouvement Hayat Tahrir Al-Cham (HTC), une réouverture diplomatique avec les nouvelles autorités syriennes a été mise en œuvre par les principaux Etats européens et l’Arabie Saoudite. 

Pas supplémentaire dans la normalisation diplomatique en cours, les Etats-Unis ont annoncé le 6 janvier une exemption pour six mois des sanctions sur les transactions avec les institutions gouvernementales syriennes.

Dans sa position officielle, l’Union européenne conditionne la levée des sanctions à la coopération de HTC sur la lutte contre le terrorisme et la formation d’un gouvernement incluant tous les Syriens.

Dans la foulée de la décision américaine, plusieurs pays, à l’instar de l’Allemagne, de la France et de l’Italie, appellent désormais officiellement à une levée partielle des sanctions pour raisons humanitaires.

C’est le Conseil de l’UE qui, à l’unanimité, est en mesure de lever les sanctions.

INFLATION L’inflation dans la zone euro est montée à 2,4% en décembre, contre 2,2% en novembre. C’est le troisième mois consécutif qu’elle est en augmentation. 

Cette hausse s’explique en partie par des effets de base. 

L’inflation est calculée en glissement annuel, par rapport au même mois il y a un an. Une variation peut donc s’expliquer par un niveau général des prix plus bas ou élevé au même moment de l’année précédente (la base), et non par la tendance du moment. En décembre 2023, les prix de l’énergie avaient connu une baisse soudaine.

Le mois dernier, les prix de l’énergie ont d’ailleurs augmenté pour la première fois depuis juillet. L’inflation de base — qui exclut certains produits aux prix très volatiles comme l’énergie et l’alimentation — est elle stable à 2,7%.

L’inflation des services reste quant à elle très élevée, avoisinant les 4%. Une baisse trop rapide des trop d’intérêts pourrait rendre “difficile de maîtriser l'inflation dans les services”, note Philip Lane, l’économiste en chef de la BCE. Ce dernier appelle à ce que la BCE trouve un “juste milieu” dans sa politique de baisse des taux — pour rappel, la BCE vise les 2% d’inflation à moyen-terme.

Depuis le mois de juin, la BCE a abaissé quatre fois ses taux d’intérêts, en réponse à la baisse de l’inflation. Une baisse des taux est toujours attendue en janvier, mais l’augmentation de l’inflation en décembre laisse entendre que son niveau sera moins important qu’anticipé, et que le rythme des baisses pourrait être plus lent que prévu.


Nos lectures de la semaine

  • Dans le FT, Javier Espinoza partage ses conseils pour découvrir les meilleurs restaurants de Bruxelles.

  • Pour avoir une vue d’ensemble des sujets qui rythmeront l’année 2025 en matière de commerce international, consultez le dernier numéro de BLOCS. On vous recommande également leur édition sur la centralisation des données douanières européennes, un sujet épineux.


Cette édition a été préparée par Augustin Bourleaud, Antonia Przybyslawski, Edgar Carpentier-Charléty, Nathan Münch, Antoine Ognibene, Elisa Zevio et Maxence de La Rochère. À la semaine prochaine !

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Par Augustin Bourleaud

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