La fin des “passeports dorés” maltais

Le système des “passeports dorés” maltais jugé illégal par la CJUE • Mais aussi — Roumanie, TikTok, Allemagne

La Revue européenne
5 min ⋅ 07/05/2025

Bonjour. Nous sommes le 7 mai et voici votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn. Le briefing de la semaine vous est proposé par Mathieu Solal, journaliste européen et cofondateur de BLOCS.


Le Briefing

“En mettant en œuvre le programme de citoyenneté par investissement, qui s’apparente à une commercialisation de l’octroi de la nationalité (…), Malte a enfreint le droit de l’Union”, a estimé mardi dernier la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

Court de justice de l’Union européenne © WikipédiaCourt de justice de l’Union européenne © Wikipédia

SYSTÈME LUCRATIF Mis en place en 2020, le système des “passeports dorés” permettait aux citoyens fortunés de pays tiers d’acheter un passeport maltais en échange de biens immobiliers, d’investissements dans des instruments financiers approuvés par le gouvernement et d’un don de 10 000 euros à une ONG locale, d’après Transparency International.

En obtenant la nationalité maltaise, les participants à ce système accédaient du même coup aux droits liés à la citoyenneté européenne. Ils peuvent notamment circuler, vivre et travailler librement dans les 27 pays de l’Union.

La Commission européenne avait ouvert en octobre 2020 une procédure d’infraction contre le petit archipel méditerranéen, mais aussi contre la Bulgarie et Chypre, qui disposaient de programmes similaires, afin qu’il mette fin à la pratique.

SCANDALES EN SÉRIE • Quelques mois plus tôt, une enquête en caméra cachée d’Al Jazeera avait montré les failles du programme chypriote. Dans ce reportage, des journalistes infiltrés parviennent à obtenir la nationalité chypriote de celui qu’ils présentent pourtant comme un businessman chinois condamné pour crime. 

Ce scandale, qui avait provoqué la démission de deux parlementaires chypriote, était venu s’ajouter à la longue liste de révélations de cas de blanchiment d’argent, de corruption de fonctionnaires ou encore d’évasion fiscale au coeur de ces programmes de “passeports dorés”. 

Côté maltais, la journaliste d’investigation Daphne Caruana Galizia avait été assassinée en 2017, suite à des révélations sur l’existence d’un programme officieux de ce type.

Malte ayant malgré tout refusé de se conformer à ses demandes, la Commission avait saisi la CJUE en septembre 2022.

​​LIBERTÉ SURVEILLÉE En réponse à La Valette, qui affirmait que l’octroi de la nationalité relevait de sa seule compétence nationale, la Cour répond que “chaque État membre est libre de définir les conditions selon lesquelles il accorde ou retire sa nationalité”, mais que “cette liberté doit être exercée dans le respect du droit de l’Union”

“Un État membre ne peut pas accorder sa nationalité — et, de fait, la citoyenneté européenne — en échange de paiements ou d’investissements prédéterminés, car cela revient, pour l’essentiel, à faire de l’acquisition de nationalité une simple transaction commerciale”, ajoute la Cour, appelant Malte à mettre fin à ce système “dans les meilleurs délais”.

En affirmant aussi clairement l’illégalité des “passeports dorés” maltais, cet arrêt très attendu devrait conduire à mettre définitivement fin à ce type de système dans l’UE.

Sous la pression bruxelloise, Chypre et la Bulgarie ont déjà mis fin à leurs systèmes nationaux, respectivement en 2020 et 2022.

​​VISAS DANS LE VISEUR Le sort des “visas dorés” est quant à lui plus incertain. Ces programmes, bien plus communs dans l’UE, accordent “seulement” des permis de séjour en contrepartie d’investissements.

Dénoncés par la Commission et le Parlement européen comme vecteurs de blanchiment et de corruption, soupçonnés d’avoir bénéficié à des individus sous sanctions dans le cadre de la guerre en Ukraine, ces systèmes sont néanmoins bien plus difficiles à interdire au niveau de l’UE que les “passeports dorés”, dans la mesure où ils n’impliquent pas la citoyenneté européenne.

La pression bruxelloise produit néanmoins des effets. Ces derniers mois, l’Irlande, les Pays-Bas, la Grèce et l'Espagne ont tous mis fin ou renforcé les règles concernant leurs programmes de visa doré ou équivalents.

En 2024, Madrid a notamment décidé de mettre fin à l’octroi de permis de séjour, attribués en échange d’un investissement immobilier d’au moins 500 000 euros, accusés d’avoir joué un grand rôle dans l’envolée des prix de l’immobilier.

LE PORTUGAL SOUS PRESSION Une dizaine d’États membres, dont le Portugal, la Grèce et l’Italie disposent néanmoins toujours de ce type de programmes.

Entre 2013 et 2023, les visas dorés ont rapporté près de 25 milliards d’euros d’investissements directs étrangers dans l’UE. Le Portugal a été l’un des principaux bénéficiaires, avec 6,8 milliards d’euros.

Le très populaire programme portugais, qui permet d’obtenir un permis de séjour puis la nationalité au bout de cinq ans contre des investissements, avec la seule exigence de devoir être présent sur le territoire national 14 jours par an, a déjà été modifié en 2023.

Les investissements immobiliers ont ainsi été rayés par le gouvernement de l’époque des critères pouvant permettre de participer au programme. La coalition au pouvoir à Lisbonne a en outre promis d’étendre à 10 ans le délai pour obtenir la nationalité portugaise si elle gagne les élections anticipées prévues le 18 mai.

Ces derniers jours, les consultants spécialisés dans ces dispositifs ont conseillé à leurs clients d’accélérer leurs démarches, craignant que la décision de la CJUE ne mène à de nouvelles restrictions et à des coûts supplémentaires à moyen terme.


Inter Alia

ELECTIONS EN ROUMANIE  Dimanche 4 mai a eu lieu le premier tour de l’élection présidentielle roumaine. 

George Simion est arrivé en tête avec 41% des suffrages. Il dirige le parti d’extrême droite Alliance pour l’unité des Roumains (AUR). Il affrontera le 18 mai le centriste pro-européen Nicușor Dan, maire de Bucarest, arrivé deuxième avec environ 21 %.

Connu pour son opposition à l’aide à l’Ukraine, son affinité avec Trump et sa rhétorique nationaliste et anti-establishment, Simion pourrait faire basculer Bucharest dans le camp illiberal aux côtés de la Hongrie et de la Slovaquie.

Il a affirmé vouloir être un réformateur pour une Europe des nations souveraines et réparer les relations avec Washington.

Sa victoire a été saluée par la droite européenne. Nicola Procaccini, coprésident du groupe des Conservateurs et réformistes européens (CRE), a félicité Simion pour une campagne ayant “électrifié la Roumanie”. 

Le scrutin intervient dans un contexte tendu. La Cour constitutionnelle avait invalidé les résultats de l’élection présidentielle du 24 novembre, en raison d’accusations de campagne illégale et d’une potentielle ingérence de la Russie.

TIKTOK Le 2 mai, le régulateur irlandais de la protection des données a infligé une amende de 530 millions d’euros à TikTok pour non-respect du Règlement général sur la protection des données (RGPD), en particulier des articles 13(1)(f) et 46(1).

L’article 13(1)(f) concerne la transparence sur le traitement des données et leur localisation. Entre juillet 2020 et décembre 2022, TikTok n’a pas informé ses utilisateurs européens que leurs données étaient traitées dans des pays tiers comme la Chine, Singapour ou les États-Unis.

La plus grande part de l’amende (485 millions d’euros) découle cependant de l’article 46(1), qui impose des garanties appropriées pour les transferts de données hors UE. La Chine a été jugée comme destination non-appropriée, en l’absence de clauses contractuelles types. 

À titre de comparaison, la même disposition avait été invoquée contre Meta en 2023, avec une amende record de 1,2 milliard d’euros, les Etats-Unis étaient alors considérés comme une destination non-appropriée.

TikTok, de son côté, conteste fermement cette décision, affirmant avoir pris les mesures nécessaires, notamment à travers son investissement dans le Projet Clover, une initiative visant à renforcer la sécurité des données européennes.

Cependant, la décision du régulateur concerne des faits antérieurs à Projet Clover, qui a été mis en place en 2023.

OOPS Le 6 mai, Friedrich Merz a été élu chancelier allemand par le Bundestag. Pourtant, la journée avait mal commencé : le président de la CDU n’est pas parvenu a être élu lors du premier vote — une première en Allemagne depuis 1949.

L’alliance CDU/CSU avait pourtant signé un accord de coalition avec les sociaux-démocrates (SPD) la veille du vote. Les votes sont à bulletins secrets — il est donc impossible de savoir précisément ce qui a fait défaut à Merz lors du premier vote. 

Pour autant, ce manqué souligne la fragilité de la coalition formée par Merz — fragilité qui pourrait lui faire défaut par le futur.

“À nous de rendre le moteur et le réflexe franco-allemand plus forts que jamais. À nous d’accélérer sur notre agenda européen de souveraineté, de sécurité et de compétitivité”, a déclaré Emmanuel Macron sur X à la suite de l’élection chancelier. Les deux dirigeants se rencontrent aujourd’hui à Paris.

L’Allemand Manfred Weber a connu une élection plus tranquille. Le dirigeant du Parti populaire européen (PPE, centre-droit) a été largement reconduit pour un second mandat de 3 ans (502 votes pour, 61 contre).


Nos lectures de la semaine

  • Dans le Financial Times, Gideon Rachman explique “pourquoi l’UE surpasse Trump dans l’art du deal


Cette édition a été préparée par Augustin Bourleaud, Mathieu Solal, Thomas Veldkamp, Lidia Bilali, Antoine Ognibene et Maxence de La Rochère. À la semaine prochaine !

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Par What's up EU