Mais aussi — Elections européennes, Réseaux d’électricité, Inflation
Bonjour. Nous sommes le mardi 5 décembre 2023 et voici votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn.
Deux semaines après le coup de tonnerre créé par la décision de la Cour constitutionnelle fédérale allemande (Karlsruhe) sur le budget allemand, l’incertitude persiste sur la manière dont la coalition au pouvoir compte résoudre la situation. Les répercussions de cette crise sur la gouvernance économique européenne sont considérables.
Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne et Olaf Scholz, chancelier allemand © Commission européenne
DAS BUDGET • Au cœur de la crise politique et budgétaire que traverse l’Allemagne depuis la mi-novembre, une décision de la Cour de Karlsruhe. Celle-ci a donné raison à 197 députés CDU/CSU qui considéraient que le gouvernement d’Olaf Scholz avait illégalement réaffecté €60 milliards des fonds d’urgence Covid-19 non dépensés au fonds pour le climat et la transformation (KTF).
La Cour a jugé la décision de réallocation inconstitutionnelle, expliquant que le gouvernement ne peut réallouer des fonds d’urgence que pour répondre à des situations d’urgence.
Le fonds pour climat et transformation — initialement doté d’une enveloppe totale de €212 milliards — se retrouve amputé de €60 milliards à la suite de ce jugement.
KATASTROPHE • Pour le moment, difficile de savoir par quelle pirouette la coalition se sortira de cette situation.
La décision de Karlsruhe met un coup à la coalition au pouvoir qui associe les Verts, le FDP et le SPD (parti d’Olaf Scholz). La réallocation des fonds Covid-19 non dépensés au fonds pour le climat avait permis l’accord de coalition en décembre 2021.
Cette manœuvre comptable permettait de contenter les libéraux du FDP attachés à la discipline budgétaire et les Verts qui souhaitaient que l’Allemagne mette la main au porte monnaie pour mettre en œuvre ses ambitions environnementales.
BUDGET EUROPÉEN • L’onde de choc de la décision de la Cour constitutionnelle allemande — qui n’en est pas à son coup d’essai en la matière — se ressent à Bruxelles.
L’Allemagne a durci sa position quant à un éventuel top-up du budget de l’UE. En juin, les Etats Membres avaient refusé la demande de la Commission européenne de voir le budget de l’UE augmenté de €66 milliards pour la période 2021-2027. Ils ont demandé à la Commission de revoir l’addition à la baisse (environ 20%).
La question sera à l’agenda du prochain Conseil européen qui se tiendra les 14 et 15 décembre. Pour Johannes Hahn, Commissaire européen au budget, “le plus gros problème est que l'Allemagne est tellement distraite par ses problèmes intérieurs qu'elle ne trouve pas le temps de s'occuper de cette question”.
PSC • La réforme des règles budgétaires européennes est aussi affectée par la situation allemande.
Ces règles — issues du Pacte de stabilité et de croissance (PSC) — ont été temporairement suspendues à la suite du Covid-19. En 2020, la clause dérogatoire générale du Pacte a permis de lever ces obligations afin de faire face à la crise sanitaire et d’éviter de soumettre un État membre à la procédure de déficits excessifs.
En raison de la guerre en Ukraine et de la crise énergétique actuelle, la clause dérogatoire a été prolongée et devrait à présent s’étendre jusqu’à fin 2023, ce après quoi la Commission espère voir la naissance d’un PSC revisité.
En avril 2023, la Commission européenne a présenté sa proposition de réforme. L’exécutif européen souhaite aller vers des règles plus flexibles et adaptées à chaque pays, s’éloignant de l’approche “one-size-fits-all”.
Concrètement, la règle des 3% de déficit et 60% de dette publique serait conservée, mais la Commission donnerait aux Etats membres qui dépassent ces seuils plus de temps et de flexibilité pour remettre de l’ordre dans leurs finances.
Alors que les négociations entre Etats membres sur la proposition de la Commission arrivent dans leur phase finale, plusieurs points restent en suspens. Le niveau approprié de réduction du déficit est le principal sujet de discorde au sein du Conseil : il pourrait à lui seul empêcher les Etats membres de convenir d’un accord d’ici la fin de l’année.
Depuis le début des négociations, l’Allemagne est sceptique quant à l’approche plus flexible que la Commission souhaite adopter. Berlin souhaite par ailleurs un ajustement budgétaire plus strict que celui envisagé lorsque le déficit d’un État est supérieur à 3% du PIB.
La décision de Karlsruhe vient mettre un coup à la crédibilité de l’Allemagne sur les sujets budgétaires. Il sera plus épineux pour l’Allemagne de justifier ses demandes de règles budgétaires plus strictes alors même qu’elle enfreint ses propres règles.
Pour autant, il est peu probable que l’Allemagne change de position sur la réforme. Le sujet est à l’agenda du prochain Conseil "Affaires économiques et financières" qui se tiendra le 8 décembre.
INVESTISSEMENTS • Les conséquences de la décision de Karlsruhe pourraient également être ressenties au sein de l’économie européenne. Malgré les craintes d’une récession pour l’année 2023, l'Allemagne reste la plus grande économie de l’UE.
Une baisse soudaine des dépenses publiques allemandes pourrait avoir un effet négatif sur le reste de l’UE, à un moment où les investissements dans la transition énergétique sont cruciaux afin de rester dans la course avec la Chine et les Etats-Unis.
Les effets à long terme des très strictes règles budgétaires allemandes — depuis 2009, la Loi fondamentale allemande interdit un déficit public dépassant 0.35% du PIB — sont aussi un sujet majeur pour l’économie européenne. Depuis 2009, ces règles ont eu pour effet de limiter le volume des investissements allemands dans des secteurs clés.
“Avec l'un des taux de croissance les plus faibles de la zone euro et une compétitivité en déclin, Berlin est aujourd'hui l'exemple même des conséquences désastreuses de la rétention d'investissements stratégiques”, note Philipp Lausberg du European Policy Centre.
IMAGE • Politiquement, c’est également un désaveu pour les Allemands, un an et demi après le début de l’invasion russe de l’Ukraine, qui a révélé la fragilité de la politique allemande en matière d’énergie.
Le 22 novembre, lors d’une conférence de presse, un journaliste a même demandé à Giorgia Meloni si elle considérait toujours l’Allemagne comme un partenaire fiable. “Très fiable”, a-t-elle répondu.
Collaboration commerciale avec Interbev
Le média “Agriculture-circulaire” fait la promotion d’une intégration harmonieuse des composantes végétales et animales du monde agricole. Aujourd’hui, nous vous proposons de découvrir un article sur les mutations à l’œuvre au sein du monde agricole par François Purseigle, sociologue et auteur de l’essai « Une agriculture sans agriculteurs » aux presses de Sciences Po.
Malgré l’image d’Epinal dont elle fait encore trop souvent l’objet, l’agriculture française vit une révolution sans précédent. En son cœur, un déclin du nombre de chefs d’exploitation, dont la moitié aura l’âge de partir à la retraite d’ici 2030, et qui ne seront pas remplacés pour la plupart.
Si la baisse d’attractivité du métier a son rôle à jouer dans ce déclin, d’autres phénomènes sont à l’œuvre, comme une inadéquation entre les caractéristiques des exploitations à reprendre et les aspirations des nouvelles générations d’agriculteurs.
La structure économique des exploitations est aussi en évolution, avec de plus en plus de TPE et de PME qui ne correspondent pas à l’image fantasmée d’une agriculture purement familiale et de petite échelle. Ce nouveau profil de l’agriculteur-entrepreneur fait encore l’objet de nombreux préjugés, que François Purseigle souligne avec subtilité. Découvrez son analyse ici.
ELECTIONS • Selon les sondages, le groupe d’extrême droite Identité et Démocratie (ID) pourrait faire une percée importante lors des élections européennes de juin 2024.
Les dernières estimations du Poll of Polls de Politico et d'Europe Elects prévoient que le groupe ID remporterait entre 85 et 87 sièges. Cela pourrait lui permettre de dépasser les Conservateurs et réformistes européens (ECR) et/ou les libéraux de Renew Europe pour devenir la troisième ou quatrième force politique au Parlement.
Durant un événement organisé par Politico, Manfred Weber, chef du groupe du Parti populaire européen (le plus représenté au Parlement avec 181 sièges), a tiré la sonnette d’alarme. L’eurodéputé allemand estime notamment qu’il est nécessaire de se pencher sur la question migratoire afin d’éviter une forte montée de l’extrême droite aux élections.
“Il est clair que les citoyens veulent des solutions, pas des discours. (...) Si nous ne parvenons pas à limiter le nombre d’arrivées de migrants d’ici juin, alors les élections européennes seront un vote historique pour le futur de l’Europe, parce que les extrêmes à droite et à gauche vont en bénéficier”, a avancé Manfred Weber.
Au Pays-Bas, un certain nombre d’analystes politiques ont lié la victoire fulgurante de Geert Wilders aux élections parlementaires à la stratégie manquée du VDD (parti de l’actuel Premier Ministre Mark Rutte) d’avoir laissé l’immigration devenir un sujet majeur de la campagne électorale. Pour Weber, il n’en est rien : “Les centres d'accueil en Belgique, en Allemagne, en Autriche et aux Pays-Bas sont pleins. On ne peut pas faire l'économie d'un débat à ce sujet”.
Également présente à cet événement, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a annoncé qu’elle “garderait le sens de la marche sur les grands sujets” si elle était choisie pour un nouveau mandat. Celle-ci n’a encore pas mentionné si elle envisage une candidature pour un second mandat.
RÉSEAUX ELECTRIQUES • Le 28 novembre, la Commission européenne a présenté son plan d’action pour renforcer les réseaux électriques. Ce plan vise à renforcer la capacité des réseaux à accueillir un niveau croissant d'électricité. La Commission estime que la consommation d’électricité devrait augmenter de 60% d’ici à 2030.
L’augmentation de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique européen y est pour beaucoup : à travers la directive sur les énergies renouvelables (RED), l’UE s’est fixée comme objectif d’ici 2030 d’augmenter la part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie finale de l’UE à 42,5%, contre 22% aujourd’hui.
Pour ce faire, la Commission estime que €584 milliards d’investissements dans les réseaux électriques seront nécessaires d’ici 2030. Il s’agit d'accélérer le développement des réseaux, les rendre plus numérisés et décentralisés, mais aussi de rénover certaines infrastructures — 40% des réseaux électriques de l’UE ont plus de 40 ans.
L’enjeu est de taille : actuellement, les temps d’attente de renforcement des réseaux sont de 4 à 10 ans et de 8 à 10 ans pour les réseaux haute tension. Pour les investisseurs, ces délais créent de l'incertitude et mènent parfois à l’abandon de certains projets de génération d’électricité.
Comment faciliter ces investissements ? Selon son plan d’action, la Commission compte accélérer la mise en œuvre des Projets d’intérêt commun (PIC) qui bénéficient de conditions réglementaires simplifiées.
Si elle n’envisage pas de créer un fonds dédié, la Commission s’engage à explorer la nécessité de nouveaux outils d’investissements avec la Banque européenne d’investissement (BEI), et d’augmenter la visibilité des fonds existants : les réseaux d’électricité sont éligibles au financement via — entre autres — les fonds régionaux (FEDER), les fonds de cohésion et la facilité de récupération et de résilience (RRF), y compris sa composante REPowerEU.
Le président d’Eureletrics, Leo Birnbaum, considère que le plan de la Commission est une “excellente première étape”. “Cependant, les réseaux européens sont confrontés à un nombre croissant de menaces liées à des phénomènes météorologiques extrêmes plus fréquents”, ajoute-t-il. “Ce plan d'action devrait donc reconnaître la nécessité de prendre davantage de mesures d'adaptation au climat pour rendre nos infrastructures plus résistantes au changement climatique.”
INFLATION • Au mois de novembre, le taux d’inflation dans la zone euro est descendu à 2,4% en glissement annuel — niveau le plus bas depuis juillet 2021 — comparé à 2,9% en octobre, selon les derniers chiffres d’Eurostat.
Cette baisse importante est plus prononcée que les 2,7% que les économistes — sondés par Reuters — envisageaient pour le mois de novembre. Ce niveau plus bas que prévu intensifie les débats sur la possibilité d’une baisse imminente des taux d’intérêt par la banque centrale européenne (BCE), attendue par les marchés.
Christine Lagarde a cependant indiqué le 21 novembre qu’il était trop tôt pour “crier victoire”, et que les pressions inflationnistes causées par l’augmentation des salaires “restaient fortes”. La présidente de la BCE a également indiqué qu’il n’était pas exclu que l'inflation globale (qui inclut les variations de prix de l’énergie et de la nourriture) augmente dans les prochains mois, notamment en raison d’une possible augmentation des prix de l’énergie.
Matthias Bauer de l’ECIPE critique sévèrement ce qu’il considère être un tournant protectionniste de la part de l’Union européenne, qui révèlerait une trop grande grande influence de la France dans les institutions européennes.
L’Europe ne doit pas s’alarmer de l’origine chinoise des minéraux dits critiques, soutient Jacob Funk Kirkegaard du Peterson Institute.
Dans une chronique pour Bruegel, Marek Dabrowski rappelle à quels défis économiques un nouveau gouvernement polonais post-PiS devra faire face.
Cette édition a été préparée par Augustin Bourleaud et Maxence de La Rochère. À la semaine prochaine !