Mais aussi - Ukraine, Défense, Investissement
Bonjour. Nous sommes le 6 octobre 2025 et voici la Revue européenne de What’s up EU, votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez-nous également sur LinkedIn.
À suivre cette semaine : la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen fera face à deux votes de confiance au Parlement européen jeudi.
BRIEFING | Par Thomas Harbor
Thomas Harbor est avocat au barreau de Bruxelles, spécialisé en droit européen de la concurrence. Il est chargé d’enseignement en politique économique à Sciences Po et cofondateur de What’s up EU.*
Trente ans après sa création et malgré l’appel au sursaut lancé par Mario Draghi il y a un an, l’Europe peine à achever le marché unique.
Mi-septembre, Mario Draghi a dénoncé la complaisance des Européens : “Trop souvent, on trouve des excuses pour justifier cette lenteur. On affirme que c’est simplement ainsi que l’UE fonctionne. Parfois, l’inertie est même présentée comme un respect de l’état de droit. C’est de la complaisance.” (notre traduction)
En dépit de la baisse des tarifs douaniers externes, le marché unique reste fragmenté en son sein par des barrières non-tarifaires, comme les quotas, autorisations, divergences de normes, règles d’étiquetage spécifiques à chaque pays.
Les rapports remis par Mario Draghi et Enrico Letta et les récentes initiatives politiques ont participé de la prise de conscience de la nécessité d’un sursaut réformateur.
Selon le FMI, ces obstacles réprésentent une taxe cachée de 44 % pour les biens et jusqu’à 110 % pour les services. C’est trois fois plus que l’équivalent entre les États américains.
Le European Round Table for Industry (ERT) a détaillé sur 268 pages une centaine d'obstacles concrets, allant de la non-harmonisation des fréquences télécoms à la diversité des normes fiscales et de construction. Quelques exemples tirés du rapport :
Les exigences nationales divergentes en matière d’étiquetage environnemental obligent les fabricants à adapter leurs emballages à chaque pays. Cela entraîne une complexité accrue, des coûts supplémentaires et parfois des contradictions sur les informations à afficher.
L’absence de critères harmonisés pour la classification des déchets empêche leur libre circulation, entrave le développement d’une économie circulaire à l’échelle européenne, et encourage même parfois l’exportation hors de l’UE.
L’interprétation de la directive sur le détachement des travailleurs diffère selon les pays, rendant complexe le détachement de travailleurs d’un État membre à un autre. À cela s’ajoutent des questions relatives à la reconnaissance des diplômes au sein de l’UE.
Les barrières non-tarifaires créent des frictions et limitent la concurrence et la diffusion de l’innovation, affectant directement la productivité et la compétitivité européennes. L’impact macroéconomique est tangible.
Le PIB par habitant des États-Unis est aujourd’hui 30 % plus élevé que celui de l’UE, un écart qui n’a cessé de se creuser depuis vingt-cinq ans.
Plus de 70 % de cet écart s’explique par une productivité moindre, liée en partie à l’inachèvement du marché unique, notamment dans les services et certaines activités stratégiques.
Autrement dit, la réduction des barrières non-tarifaires au sein du marché unique est un levier de croissance considérable. Une étude du Parlement européen évalue à près de 713 milliards d’euros par an les gains potentiels d’une suppression effective des obstacles au marché unique. Le FMI estime que ramener les barrières non-tarifaires au sein de l’UE au standard américain ferait bondir la productivité de presque 7 %.
La persistance des barrières non-douanières s’explique par deux principaux facteurs institutionnels.
Premièrement, la Commission s’est éloignée de sa mission fondamentale de gardienne du marché intérieur. Entre 2019 et 2023, le nombre de procédures d’infractions à l’égard des Etats membres a chuté de 60 %.
Cette peur de la confrontation directe sur le marché intérieur pourrait s’expliquer par l’extension des champs de compétence externes de la Commission, laquelle a mobilisé un important capital politique.
Deuxièmement, les gouvernements restent réticents à harmoniser certaines règles sensibles — fiscalité, droit social, reconnaissance des qualifications, entre autres. La tendance à la surtransposition (ou gold plating) de textes européens — parfois même des règlements — par les gouvernements européens ajoute à la profusion de règles et de régulateurs.
Le rapport Draghi formule 383 recommandations pour regagner en compétitivité. Seulement 11 % ont à ce jour été adoptées, selon un rapport du European Policy Innovation Council, qui souligne des progrès en matière de transport et de matériaux critiques, mais aussi d’importants retards pour l’énergie et le digital.
Ursula von der Leyen a reconnu : “Notre marché unique est loin d’être achevé (…). Il ne devrait pas être plus facile de tenter sa chance de l’autre côté de l’Atlantique que de traverser les frontières européennes.”
La décennie qui s’ouvre laisse peu de marge au statu quo. Le risque : voir s’installer durablement une Europe fragmentée, moins apte à protéger ses intérêts économiques et sociaux.
La réforme du marché unique repose sur trois axes majeurs : (i) harmoniser les règles pour limiter les frictions commerciales au sein de l’UE, (ii) simplifier la réglementation en réduisant la charge administrative qui pèse sur les entreprises, et (iii) investir massivement en débloquant l’union des marchés de capitaux et en misant sur les infrastructures transfrontalières, notamment en matière de transport, d’énergie et de numérique.
*Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent en aucun cas la position officielle des institutions ou organisations auxquelles il est affilié.
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UKRAINE • Les Vingt-Sept étaient réunis à Copenhague pour un Conseil européen informel le 1er octobre. À l’agenda : le soutien à l’Ukraine et la défense européenne (rendez-vous à la brève suivante pour le 2e).
Les leaders européens ne sont pas parvenus à trouver un accord sur la proposition de prêt à l’Ukraine formulée par la Commission le 25 septembre. Ce prêt de 140 milliards d’euros serait garanti par les avoirs russes gelés en Europe et remboursé par l’Ukraine une fois des réparations payées par la Russie dans le cadre d’un accord de paix.
Selon le FT, de nombreux dirigeants seraient d’accord sur le principe mais auraient demandé à la Commission d’approfondir (i) les détails techniques, (ii) implications juridiques, et (iii) possibilités de mutualiser les risques de ce prêt.
Parmi eux, le premier ministre belge Bart De Wever se serait montré particulièrement exigeant. Si la Russie décide d’intenter une action en justice, ce serait en effet contre son pays — où la grande majorité des avoirs russes gelés sont détenus par Euroclear.
Du côté de la Banque centrale européenne, on craint qu’une telle utilisation des actifs gelés n’effraie les investisseurs, avec des conséquences potentiellement néfastes pour la stabilité financière.
La manière dont les fonds seraient utilisés fait également débat.
Le sujet sera remis sur la table au Conseil européen des 23-24 octobre 2025. Les négociations d’adhésion de l’Ukraine à l’UE, ouvertes en juin 2024, ont également été abordées.
Le président du Conseil européen, António Costa, a proposé un changement des règles afin que les décisions liées aux négociations d’adhésion ne soient non plus votées à l’unanimité mais à la majorité qualifiée — la décision finale d’adhésion serait, cependant, toujours soummise à un vote à l’unanimité.
L’objectif de cette proposition est d'accélérer le processus d’adhésion en contournant le véto de la Hongrie.
Sans surprise, la proposition — qui doit être adoptée à l’unanimité — n’a pas été soutenue par le premier ministre hongrois. La France et les Pays-Bas s’y seraient aussi opposés.
DÉFENSE • Les discussions à Copenhague ont également porté sur la défense, notamment sur le “mur de drones” à l’est proposé par la présidente de la Commission pendant son discours sur l’état de l’Union en septembre.
Les Vingt-Sept ne sont pas parvenus à s’entendre sur la proposition. Si l’initiative semble pertinente — notamment au vu des récentes incursions de drones russes en territoires polonais et roumains, et potentiellement danois, norvégiens et allemands — de nombreuses questions demeurent quant à sa signification politique et sa faisabilité.
Côté allemand, le gouvernement soutient l’idée de renforcer les capacités européennes en matière de drones de défense, mais un mur de drones n’est certainement pas la première des priorités.
La difficulté de mettre en place un tel système a également été soulignée par Emmanuel Macron. L’Italie et la Grèce insistent sur l’importance de ne pas oublier la défense des pays du sud.
INVESTISSEMENTS • Face à une épargne européenne de plus de 10 000 milliards d’euros, principalement placée sur des comptes bancaires à faible rendement, et dont la valeur décroit à cause de l’inflation, Maria Luís Albuquerque, commissaire européenne aux services financiers, a déclaré au FT vouloir inciter les Européens à “mettre leur épargne au service de l’économie”.
La commissaire propose que les États membres instaurent des comptes d’investissement simples et accessibles, offrant des options variées avec avantages fiscaux et sans frais d’entrée ni minimum requis.
Cette proposition fait face à deux obstacles : (i) en matière de fiscalité, la Commission ne peut faire que des recommandations (c’est une compétence exclusive des Etats membres), et (ii) les avantages fiscaux impliquent un renoncement à certaines ressources fiscales précieuses dans le contexte économique actuel.
Fredrik Erixon, de l’ECIPE, soutient qu’au lieu de simplement suspendre la mise en œuvre de l’AI Act, l’Union européenne devrait le refondre entièrement et revoir l’ensemble de son écosystème de régulation du numérique, car la fragmentation des réglementations qui impactent l’IA et l’économie des données freinent l’innovation et la croissance économique.
Ursula von der Leyen va-t-elle survivre aux deux votes de confiance prévus jeudi au Parlement européen ? Probablement — Politico a compilé des chiffres intéressants sur le sujet. Pour autant, la coalition centriste est loin d’être dans sa poche, et cela pourrait avoir des conséquences importantes sur les négociations liées au prochain budget de long-terme de l’UE.
Dans Sillicon Continent, Luis Garicano explique que la Commission européenne souffre d’un problème de leadership structurel : en cherchant à éviter les figures trop fortes, l’Union finit par choisir des présidents de la Commission politiquement dépendants des États membres. Ursula von der Leyen illustre selon lui cette dynamique, reflet d’une Europe paralysée par ses propres compromis.
Merci à Maxence de la Rochère pour son aide dans la préparation de cette édition. À la semaine prochaine !