Friedrich Merz et l’Europe

Accord de coalition en Allemagne • Mais aussi — Commerce, Tech, IA

La Revue européenne
5 min ⋅ 15/04/2025

Bonjour. Nous sommes le 15 avril et voici votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedInLe briefing de la semaine vous est proposé par Mathieu Solal, journaliste européen et cofondateur de BLOCS.


Ne manquez pas notre conversation européenne avec Bertrand de Cordoue, conseiller défense et armement à l’Institut Jacques Delors, aujourd’hui de 12h45 à 13h30 en visioconférence. Nous discuterons du futur de la défense européenne

Vous pouvez encore vous inscrire ici.

Avant de rejoindre l’Institut, Bertrand de Cordoue a exercé de nombreuses années chez Airbus, en tant que responsable des affaires publiques en France puis directeur défense & espace au sein de la direction des affaires publiques à Bruxelles.


Le Briefing

“La politique du président Trump augmente le risque que la prochaine crise financière survienne plus tôt que prévu. Nous, Européens, devons apporter une réponse convaincante à cette question” a martelé dimanche le futur chancelier fédéral allemand, Friedrich Merz, dans une interview au quotidien Handelsblatt.

KOALITIONSVERTRAG Le leader conservateur, qui a présenté mercredi son contrat de coalition avec les sociaux-démocrates du SPD, invite ainsi les Vingt-Sept à resserrer les rangs face à la politique commerciale illisible des États-Unis.

L’Allemagne fait en effet partie des principaux pays européens menacés par les tarifs douaniers agités par Donald Trump. Le pays, qui vient de connaître deux années de récession, dépend des exportations vers les États-Unis pour pas moins de 4% de son PIB.

Avant d'aller à Washington, Friedrich Merz entend toutefois se concerter avec ses partenaires européens les plus proches sur les messages clés. “J'ai déjà eu de nombreuses discussions dans ce sens ces derniers mois. L'Europe est forte quand elle parle d'une seule voix”, explique-t-il.

STRATÉGIE • Pour façonner la réponse européenne, Friedrich Merz ne manque pas d’idées : tout en prônant la fermeté, il évoque les possibilités d’offrir à Washington un accord de libre-échange total et de promettre une augmentation des achats de gaz naturel liquéfié en provenance des États-Unis.

Il appelle aussi à avancer vers de nouveaux accords de libre échange à travers le monde, citant le Canada, le Mexique, l'Inde, le Japon, la Corée du Sud ou l’Australie comme des cibles de choix. Il appelle aussi à parachever l’entrée en vigueur de l’accord avec le Mercosur — un projet auquel s’oppose toujours la France, en l’état.

Alors que l’Allemagne, phagocytée par une coalition tricolore conflictuelle, avait disparu des radars européens ces dernières années, Friedrich Merz semble ainsi déterminé à lui redonner son rôle de leader des Vingt-Sept.

IN CONCRETO • Le contrat de coalition contient notamment la création d’un nouveau processus qui permettra au chef de cabinet de Merz de coordonner “en amont” la position allemande sur la législation européenne, afin d’éviter les cafouillages du gouvernement précédent.

De même, en matière de politique étrangère, le futur chancelier s'est vu confier la création d'un nouveau conseil de sécurité nationale chargé de coordonner les dossiers clés. 

Cependant, son futur gouvernement ne s'est pas clairement engagé à livrer à l'Ukraine les missiles de croisière allemands à longue portée Taurus, une mesure que le chancelier Olaf Scholz avait bloquée, mais que Friedrich Merz avait promise.

La frilosité des sociaux-démocrates, qui doivent hériter de sept ministères dont celui des Finances, pourrait ainsi brider l’engagement allemand en faveur de l’Ukraine, que souhaite renouveler Friedrich Merz. 

Le portefeuille de la défense devrait toutefois échoir de nouveau à Boris Pistorius, figure la plus populaire du SPD, qui plaide pour rendre l’Allemagne de nouveau “apte à la guerre”.

À ce sujet, un premier test viendra rapidement avec les discussions autour de l’instrument financier SAFE, destiné à offrir 150 milliards d’euros de prêts à taux réduits aux États membres pour soutenir les investissements en matière de défense. 

JALONS • Les positions des États membres demeurent éloignées sur ce dossier, notamment sur la question de la participation de pays hors Union européenne — Royaume-Uni, Canada, États-Unis ou Turquie — dans des projets d'achats en commun de matériel militaire couvert par le futur règlement. 

Alors que la France s’y oppose frontalement, beaucoup d’États membres soutiennent au contraire l’initiative. La position de l’Allemagne devrait se clarifier avec l’arrivée de sa nouvelle coalition, début mai, ce qui pourrait faire pencher la balance.

En matière d’investissement au sens large, le futur chancelier s’est déjà distingué en faisant adopter à une large majorité au mois de mars par le Bundestag un plan d’investissement massif tirant un trait sur des décennies d’orthodoxie budgétaire.

En plus des dépenses militaires qui devraient se chiffrer entre 200 et 400 milliards d'euros, le plan inclut une enveloppe de 100 milliards d’euros pour la protection du climat, obtenue sous la pression des écologistes. Au total, entre 1 000 et 1 500 milliards d’euros pourraient être injectés dans l’économie allemande au cours de la prochaine décennie.

A SUIVRE • Friedrich Merz doit cependant encore franchir l’étape du Bundesrat, où l’aval des 16 Länder reste incertain. Cette inflexion pourrait être porteuse au niveau européen, où les discussions se multiplient pour stimuler les investissements en faveur de la compétitivité des entreprises.

Des tensions pourraient néanmoins naître en matière migratoire. Le contrat de coalition prévoit en effet de maintenir les décriés contrôles aux frontières de l’Allemagne jusqu’à ce qu’une forme durable de “contrôle fonctionnel des frontières extérieures” soit trouvée à Bruxelles.


Inter Alia

COMMERCE  Le 9 avril, Donald Trump a annoncé qu’il décalait l’entrée en application des droits de douane additionnels qu’il avait prévu d’imposer à 80 pays sur toutes les importations.

Ces droits de douanes seraient venus s’ajouter aux 10% de base qui concernent l’ensemble des importations sur le sol américain. Pour l’UE, cela aurait représenté un total de 20% sur toutes les exportations vers les Etats-Unis.

Les 80 pays sont concernés, sauf la Chine, pour laquelle Donald Trump a augmenté le niveau des tarifs douaniers additionnels à 125%.

Après cette annonce, la Maison Blanche a déclaré dans un tweet que les pays qui n’adopteraient pas de mesures de rétorsion face aux 10% de droits de douane de base seraient “récompensés”.

Deux jours avant l’annonce de Donald Trump, le Conseil avait approuvé la mise en place de droits de douane en réponse aux 25% de droits de douane additionnels annoncés par les Etats-Unis sur l’ensemble des importations d’acier et d’aluminium provenant de l’UE.

L’UE n’a pas encore adopté de mesures contre les 25% de tarifs douaniers additionnels américains sur l’ensemble des importations de voitures.

Suite à la pause annoncée par Donald Trump, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a proposé de mettre en pause l’entrée en application des droits de douanes européens répondant aux 25% de droits de douanes américains sur l’acier et l’aluminium. Ceci reste soumis à l’approbation du Conseil.

Cependant, la pause annoncée par Donald Trump ne concerne pas les 25% additionnels sur l’acier et le métal, mais seulement les droits de douane additionnels sur tous les biens provenant de certains pays (et s’ajoutant aux 10% sur l’ensemble des importations). 

En d’autres termes : la situation est à présent la même qu’avant l’annonce de Trump, sauf que la Commission propose de mettre en pause les mesures de rétorsion qu’elle avait adoptées (contre des tarifs douaniers américains sur l’acier et l’aluminium qui, eux, restent inchangés). 

Il semble donc que la pression américaine fasse effet. Reste à voir si le Conseil adoptera la pause.

TECH • Le 9 avril, la France et l’Allemagne ont officiellement annoncé leur soutien à l’initiative Eurostack, un projet stratégique visant à réduire la dépendance technologique de l’Europe vis-à-vis des Etats-Unis et de la Chine. 

Alors que le rapport Draghi sur la compétitivité de l’Europe indique que 80% des technologies numériques de l’UE proviennent de l’extérieur, ce projet ambitionne de bâtir une infrastructure numérique souveraine, de l’IA aux semi-conducteurs en passant par le cloud et le réseau.

Pour autant, les divergences franco-allemandes sur le nucléaire, la sécurité du cloud et les infrastructures de réseau demeurent

La Commission européenne, par la voix prudente de sa présidente Ursula von der Leyen, n’a exprimé qu’un soutien timide. La dynamique reste néanmoins lancée : les récents investissements allemands à hauteur de 500 milliards d’euros dans les infrastructures illustrent la volonté d’affirmation de la souveraineté européenne.

GOUVERNANCE IA • Le mercredi 9 avril, la Commission a annoncé son intention de réduire les obligations administratives contenues dans l’IA Act (règlement sur l’IA).

Les obligations concernées sont liées à la mise en conformité pour les fournisseurs et déployeurs de systèmes IA, mais la portée de cette révision est encore floue.

La commissaire Vikkunen a fait allusion aux obligations de transparence, mais selon une source de Politico, "rien n’est exclu", alors même que la majeure partie des obligations découlant de l’AI Act ne sont pas encore applicables

L’intention de la Commission est cependant claire : faciliter la mise en conformité des entreprises sans compromettre les objectifs du règlement.

En février, la Commission avait déjà retiré le projet de loi sur la responsabilité de l’IA de son plan d’action. Les critiques y voient des risques pour la protection des consommateurs de l’UE.


Nos lectures de la semaine

  • Imposer des droits de douane aux plateformes numériques américaines pourrait surtout pénaliser les utilisateurs européens, sans être un moyen efficace de faire pression sur les États-Unis, explique Bertin Martens dans une note pour Bruegel.


Cette édition a été préparée par Augustin Bourleaud, Mathieu Solal, Antoine Langrée, Alexis Rontchevsky et Maxence de La Rochère. À la semaine prochaine !

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Par What's up EU