Les Patriotes pour l'Europe aux manettes sur les objectifs climatiques à l'horizon 2040 • Mais aussi — Commerce, Compétitivité, IA, Taxation
Bonjour. Nous sommes le 15 juillet et voici votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn. Le briefing du jour vous est proposé par Mathieu Solal, journaliste européen et cofondateur de la newsletter BLOCS.
Un eurodéputé d’extrême-droite va mener les négociations au Parlement sur l’objectif climatique 2040 de l’UE.
2040 • Le 8 juillet, le groupe politique des Patriotes pour l’Europe — composé, notamment, des députés du Rassemblement national de Jordan Bardella et du Fidesz de Viktor Orban — a réussi à obtenir le rôle de rapporteur sur l’objectif de réduction à mi-chemin des émissions de gazs à effet de serre (avec, en ligne de mire, la neutralité carbone à l’horizon 2050).
La proposition de la Commission prévoit une réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’UE de 90 % à l’horizon 2040, et doit permettre de renforcer la crédibilité de l’UE à l’approche de la COP30, qui se tiendra du 10 au 21 novembre à Belém (Brésil).
En matière d’ambition climatique, l’attribution de la direction des négociations au groupe des Patriotes ne semble pas être une bonne nouvelle, dans la mesure où ces derniers n’ont pas de mots assez durs pour condamner le Pacte vert européen.
POUVOIR DE NUISANCE • Le rapporteur issu des rangs de l’extrême-droite ne pourra certes pas à lui tout seul mettre à mal l’ambition de décarbonation de l’UE à l’horizon 2040. Son rôle sera en effet avant tout de discuter avec ses collègues pour trouver des positions de compromis acceptables pour une majorité d’eurodéputés. De surcroît, la version finale du texte sera négociée avec le Conseil.
Le futur rapporteur bénéficiera toutefois d’un pouvoir de nuisance sur l’agenda climatique européen inédit pour un élu d’extrême-droite.
CORDON SANITAIRE • D’ordinaire, les partis à droite du PPE sont exclus des postes à responsabilité au Parlement européen, en vertu du principe de cordon sanitaire, appliqué par les grands groupes politiques centristes.
Concrètement, quand les postes de rapporteurs sont attribués selon le système d’enchère, ces groupes — conservateurs du PPE, centristes et libéraux de Renew, et sociaux-démocrates du S&D — font en principe en sorte de s’entendre en amont pour empêcher l’extrême-droite de l’emporter.
Cette fois-ci, ils n’y sont pas parvenus, la faute au PPE, du moins à en croire l’eurodéputé écologiste Michael Bloss (Verts/ALE, Allemand) pour qui “Le PPE a commis une énorme erreur. Ils ont cessé d’enchérir et ont laissé les Patriotes l’emporter”.
Même son de cloche du côté de Pascal Canfin (Renew Europe, Français), pour qui “le PPE n’a pas combattu et a laissé le dossier lui échapper”.
AMBIGUÏTÉ • Le PPE n’a pas cherché à répondre à ces accusations de laisser-faire, lesquelles paraissent assez cohérentes avec l’ambiguïté de l’attitude du groupe de droite à l’égard de l’extrême-droite.
Depuis le début de la législature, ce groupe, composé notamment de députés LR et CDU-CSU, qui a joué un rôle crucial dans la construction européenne, n’hésite plus à faire des majorités, non seulement avec celui des Conservateurs et réformistes européens (CRE) où siègent les députés de Giorgia Meloni, mais aussi avec les Patriotes pour l’Europe et l’Europe des nations souveraines (ENS) emmenée par l’Alternative pour l’Allemagne (AfD).
Dans des domaines comme l’agriculture, la migration ou la lutte contre la bureaucratie, la droite et l’extrême-droite multiplient ainsi les alliances ponctuelles.
Mais c’est bien sur l’avenir du Pacte vert que l’alliance entre ces forces politiques est la plus manifeste, à l’image de l’action coordonnée mise en place il y a quelques semaines pour faire imploser la directive anti-greenwashing.
RÔLE CENTRAL • L’attribution, la semaine dernière, de la direction des négociations au Parlement sur l’objectif climatique 2040 de l’UE aux Patriotes semble ainsi venir confirmer les craintes de disparition du cordon sanitaire sur cette thématique.
Le groupe PPE, dirigé par l’Allemand Manfred Weber, parvient ainsi à occuper un rôle central en assumant ses accointances avec l’extrême-droite tout en continuant de voter l’essentiel des textes avec les libéraux et les sociaux-démocrates, avec lesquels il est censé former la majorité centriste.
Jeudi, le PPE s’est ainsi opposé à la motion de censure déposée par le Roumain Gheorghe Piperea (CRE) visant l’Allemande et son collège des commissaires sur fond de critique quant à l’opacité des contrats de vaccins anti-covid.
STABILITÉ • Résultat : la motion a été largement rejetée (360 voix contre, 175 pour et 18 abstentions).
“Le PPE a montré, une fois de plus, que nous sommes le facteur de stabilité pour le projet européen. Nous avons donné à la Commission européenne la force dont elle a besoin en cette période de turbulences”, a estimé Manfred Weber.
“Tout le monde se rend compte aujourd’hui que le nouveau Parlement européen a radicalement changé, que la rupture dans l’Union est profonde et qu’un monde nouveau est en train d’émerger”, analyse pour sa part la chercheuse associée de l’Institut Jacques Delors Isabelle Marchais, dans une récente étude consacrée au Parlement.
“Pour la première fois, une coalition alternative de droite, sans les S&D, est désormais possible à Strasbourg. Elle pourrait à terme affaiblir le Parlement européen dont l’influence politique et institutionnelle a déjà décliné ces dernières années, en dépit d’un renforcement de ses compétences par le traité de Lisbonne”, affirme la chercheuse.
COMMERCE • Donald Trump a annoncé le 12 juillet l’imposition de droits de douane de 30 % sur les importations européennes à partir du 1er août, relançant la menace d’une guerre commerciale transatlantique. Initialement fixés à 20 % en avril puis abaissés à 10 %, ces tarifs dits “réciproques” marquent un durcissement soudain des positions américaines.
En réaction, la Commission européenne a suspendu l’entrée en vigueur d’un premier paquet de contre-mesures sur 21 milliards d’euros de produits américains, prévue pour le 15 juillet, afin de maintenir une chance de compromis.
Un second dispositif, couvrant 72 milliards d’euros d’exportations américaines supplémentaires (dont des avions Boeing, des voitures, du bourbon, des fruits, des machines et du matériel médical), a été transmis aux États membres pour consultation.
Le commissaire européen au commerce, Maroš Šefčovič, a reconnu l’existence d’un “grand écart” entre les deux camps et affirmé que des mesures de rééquilibrage seraient nécessaires en cas d’échec des discussions. Il a aussi évoqué une intensification des consultations avec les partenaires du G7, comme le Canada et le Japon, pour coordonner les réponses face aux mesures américaines.
Dans une lettre adressée à Ursula von der Leyen, Donald Trump a prévenu que toute riposte européenne entraînerait une surenchère tarifaire, et que les tarifs pourraient encore être “ajustés à la hausse ou à la baisse” selon la posture de l’UE. Si la présidente de la Commission continue de privilégier la voie diplomatique, elle affirme que toutes les options, y compris l’instrument anti-coercition, restent sur la table “en cas de scénario extrême”.
Les capitales européennes restent partagées. L’Irlande soutient la poursuite des négociations, tandis que plusieurs diplomates européens dénoncent une attitude “timide” et réclament une ligne plus ferme. Le chancelier autrichien Christian Stocker a qualifié l’annonce américaine de “regrettable”, et insisté sur la nécessité d’une réponse unie.
En Allemagne, le chancelier Friedrich Merz espère toujours éviter la confrontation : selon lui, les négociations sont “assez avancées” et un accord “raisonnable” reste possible. Mais des voix plus critiques, comme celle de l’agro-industrie italienne, dénoncent un risque de “coup de grâce” pour les exportations alimentaires.
Sur les marchés, la menace tarifaire a provoqué des secousses : l’indice Dax — qui regroupe les 40 plus grandes entreprises cotées à la Bourse de Francfort — a reculé de 1,2 % avant de se stabiliser. Les valeurs automobiles (Mercedes-Benz, BMW) et du luxe (Hermès, Kering) ont particulièrement souffert.
La Commission et les États membres disposent de deux semaines pour éviter un choc commercial majeur — mais le temps presse, et la marge de manœuvre s’amenuise.
COMPÉTITIVITÉ • Jamie Dimon, PDG de JPMorgan Chase, la plus grande banque des États-Unis, a lancé un avertissement sévère à l’Europe, affirmant que le continent “est en train de perdre en compétitivité” face aux États-Unis et à la Chine.
Lors d’un événement à Dublin le 10 juillet, il a souligné que l’économie européenne s’était contractée, passant de 90 % à 65 % du PIB américain en 10 à 15 ans. Selon lui, l’UE manque d'entreprises mondiales de la taille de ses homologues américaines et risque de se laisser distancer.
Il a également critiqué la réticence des marchés financiers à répondre aux menaces de droits de douane de Trump et a souligné la nécessité de réformes structurelles en Europe.
Ses propos font écho au rapport Draghi, qui insiste sur la nécessité pour l’Europe d’élaborer une stratégie industrielle ambitieuse et de mobiliser jusqu’à 800 milliards d’euros d’investissements annuels pour préserver son poids économique global.
IA • Le jeudi 10 juillet, la Commission européenne a reçu et publié la version finale du code de bonnes pratiques de l’IA à usage général (GPAI). Si la Commission et les États membres de l’UE valident ce code, les entreprises pourront l’utiliser pour s’assurer qu’ils se conforment à l’AI Act.
Ce code, conçu par un comité de 13 scientifiques indépendants ayant consulté plus de 1000 parties prenantes, est composé de trois chapitres : un sur la confidentialité, un sur les droits d’auteur, et un sur la sûreté et la sécurité.
Ce dernier, de loin le plus long, concerne uniquement les modèles GPAI qui présentent des risques systémiques. Sont concernés les plus grands modèles génératifs tels que GPT, Dall-E, ou encore Grok.
Le code a subi plusieurs modifications au cours des dernières semaines de sa rédaction, notamment la suppression de six engagements sur seize dans le chapitre dédié à la sûreté, dont l’obligation de publier un rapport de sécurité pour chaque modèle GPAI concerné.
Certains y voient une victoire pour le lobby de la tech, qui a bénéficié d’un accès privilégié aux auteurs du code. Malgré ces concessions, certains représentants de l’industrie maintiennent que ce code est encore excessivement contraignant.
La Commission doit encore publier ses lignes directrices clarifiant la portée des obligations des fournisseurs de GPAI.
Ce texte doit notamment éclaircir la notion de “fournisseur”. Sans ces lignes directrice, il est peu probable que les laboratoires d’IA signent le code de bonnes pratiques avant l’entrée en application des obligations GPAI contenues dans l’AI Act le 2 août 2025. Mistral et OpenAI ont cependant déjà déclaré leur intention de souscrire au code.
TAXATION • Selon un document préliminaire consulté par le Financial Times la Commission européenne envisage d’imposer une taxe aux entreprises réalisant plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires net sur le territoire de l’Union européenne, quel que soit le lieu de leur siège social.
Cette proposition devrait être présentée officiellement demain, dans le cadre de la première ébauche du nouveau budget à long terme de l’UE.
Cette initiative vise à générer de nouvelles recettes fiscales. L’adoption d’un tel dispositif nécessiterait l’unanimité des États membres. Certains pays comme le Danemark et la Finlande se montrent déjà réticents face à l’idée d’un endettement commun accru ou d’un budget européen plus ambitieux.
Il faudra attendre la présentation officielle du budget de long terme, prévue pour demain, pour connaître les détails et la portée de cette proposition.
Dans une note pour l’IESUE — le think tank interne de l’Union européenne consacré à la politique étrangère — Giuseppe Spatafora et Joris Teer expliquent que l’Union devrait tirer parti de l’augmentation de ses budgets de défense pour investir dans les technologies à double usage, conciliant ainsi objectifs de sécurité et objectifs économiques.
Dans une tribune publiée par Project Syndicate, Soňa Muzikárová plaide en faveur d’une politique européenne fondée sur des investissements ambitieux dans les technologies quantiques.
Cette édition a été préparée par Augustin Bourleaud, Mathieu Solal, Lidia Bilali, Antoine Langrée, Antoine Ognibene et Maxence de La Rochère. À la semaine prochaine !