Accord commercial UE-US : ce qu’il faut savoir

Tour d'horizon de "l'accord" trouvé par Ursula von der Leyen et Donald Trump • Mais aussi — Chine, BCE, Gaz naturel liquéfié, DSA

La Revue européenne
7 min ⋅ 01/08/2025

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Le Briefing

Par Augustin Bourleaud | Rédacteur en chef

Après avoir été repoussés à deux reprises, les droits de douane réciproques de Donald Trump ont été actés par la signature d’un executive order dans la nuit du 1er août. Grâce à un accord controversé conclu le 27 juillet en Ecosse, l’UE échappe aux 30 % de droits de douane qui lui avaient été promis par le président américain.

CONTEXTE • Quelques éléments de contexte pour comprendre l’origine de cet accord commercial.

  • 10 février : Donald Trump annonce des tarifs douaniers à hauteur de 25 % sur les importations d’aluminium et d’acier — ces tarifs s’appliqueront à l’ensemble des pays qui exportent aux États-Unis.

  • 12 mars : les tarifs douaniers sur l’aluminium et l’acier entrent en application. Le même jour, la Commission annonce des contre-mesures.

  • 2 avril : Donald Trump annonce (i) des droits de douane “de base” de 10% sur l’ensemble des importations (sauf exception, comme l’acier) tous pays confondus, qui entreront en application le 5 avril, et (ii) des droits de douane additionnels réciproques pour l’ensemble des importations (sauf exception). Ces droits réciproques seront différents pour chaque pays et entreront en application le 9 avril. Pour l’UE, ces tarifs additionnels s’élèveront à 10 %. Résultat des comptes : les droits de douanes sur les exportations européennes s’élèveront à 20 %.

  • 9 avril : quelques heures après l’entrée en application des droits de douane, Donald Trump annonce la suspension des tarifs dits réciproques pendant 90 jours (c’est-à-dire jusqu’au 9 juillet).

  • 10 avril : en réaction à la levée des droits de douane réciproques, la Commission annonce la mise en pause de ses contre mesures (ces dernières ne concernaient pourtant que les tarifs sur l’aluminium et l’acier, qui restent inchangés). L’objectif : trouver une autre issue via des négociations.

  • 3 juin : Donald Trump double les tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium tous pays confondus — ces derniers atteignent donc 50 % le 4 juin.

  • 7 juillet (soit deux jours avant la fin de la suspension des tarifs réciproques) : Donald Trump annonce prolonger la suspension jusqu’au 1er août.

  • 12 juillet : Donald Trump annonce de nouveaux niveaux de droits de douane réciproques (ces derniers entrent toujours en application le 1er août si aucun accord n’est trouvé). Le niveau des droits de douane passe donc de 20 % à 30 % pour l’UE.

Les négociations n’ayant jusqu’à présent pas permis de conclure un accord, la rencontre entre Ursula von der Leyen et Donald Trump en Ecosse était une dernière tentative de trouver un terrain d’entente afin d’éviter des tarifs douaniers de 30 % sur les exportations européennes à partir du 1er août.

DÉSÉQUILIBRE • L’accord conclu est pour le moins déséquilibré.

Il fixe un taux de 15 % de droits de douane (taux maximum) pour la grande majorité des exportations européennes vers les Etats-Unis (ces taux ne s’appliquent pas aux produits américains exportés vers l’UE) — pour plus de détails sur la signification de ces 15 %, consultez le mémo explicatif de la Commission disponible ici.

Ce taux de 15 % s’applique également aux voitures et pièces détachées (27,5 % de droits de douane américains jusqu’à présent) ainsi qu’aux produits pharmaceutiques et aux semi-conducteurs (peu ou pas de droits de douane américains jusqu’à présent).

Les droits de douane américains sur certains produits stratégiques en provenance de l’UE retrouveront leur niveau antérieurs à ceux du mois de janvier. Il s’agit des aéronefs et des pièces détachées pour aéronefs, de certains produits chimiques, de certains médicaments génériques et de certaines ressources naturelles.

Concernant l’acier et l’aluminium, la Commission européenne n’est pas parvenue à un accord. Les tarifs douaniers américains de 50 % restent donc en place, mais les deux parties s’engagent à les réduire et à les remplacer par un système de quotas pour les exportations européennes (une fois les quotas remplis, des droits de douane de 50 % — ou moins, si les négociations le permettent — s’appliqueraient).

L’accord repose sur des engagements additionnels, particulièrement côté européen. L’UE s’engage à : 

  • Acheter du gaz naturel liquéfié (GNL), du pétrole et des produits énergétiques nucléaires pour une valeur de 750 milliards de dollars au cours des trois prochaines années.

  • Acheter des puces d'IA à hauteur de 40 milliards d’euros.

  • Investir — à travers les entreprises européennes — 600 milliards de dollars dans divers secteurs américains au cours des trois prochaines années.

  • Acheter du matériel de défense américain (montant non précisé).

Pour plus de détails, c’est ici.

ACCORD ? • Nous ne sommes pas ici en présence d’un “accord commercial” à proprement parler — la Commission a d’ailleurs utilisé l’expression “arrangement politique” dans certains de ses communiqués.

  • Si la Commission est chargée de négocier les accords commerciaux, leur conclusion ne dépend pas d’elle.

  • Lorsqu’un accord international concerne uniquement des compétences exclusives de l’UE (politique commerciale, union douanière, etc), il est conclu par le Conseil, qui, après avoir recueilli l’accord du Parlement (sauf exception), adopte l’accord en votant à la majorité qualifiée. Le deal UE-US en question ne concerne pas seulement des compétences exclusives de l’UE.

  • Lorsqu’un accord international touche à des compétences partagées ou exclusives des Etats membres (environnement, énergie, protection des investissements, etc) — c’est le cas du deal UE-US — le texte doit non seulement être adopté à l’unanimité par le Conseil, mais les Etats membres doivent également ratifier l’accord individuellement, en suivant leur propre procédure de ratification au niveau national (cela implique généralement un vote des Parlements nationaux). L’accord, dit “mixte”, est donc conclu à la fois par l’UE et les Etats membres. Cela peut prendre beaucoup de temps.

  • Au-delà de ces distinctions, certains aspects du deal UE-US ne peuvent tout simplement pas constituer des engagements formels : l’achat de 750 milliards de dollars de gaz GNL, du pétrole et des produits énergétiques nucléaires, dépend des entreprises ; il en est de même pour l’achat des puces d’IA, ou encore des 600 milliards de dollars investis par les entreprises européennes aux Etats-Unis que l’UE promet. Il s’agit donc bel et bien d’un accord informel.

Autre raison pour laquelle l’UE souhaite probablement éviter un accord formel : il pourrait mettre le bloc en porte-à-faux vis-à-vis des règles du commerce international. Les avantages accordés par l’UE aux Etats-Unis dans le cadre de ce deal ne seraient en effet pas accordés à d’autres pays, ce qui constitue une violation du “principe de la nation la plus favorisée” — principe qui consiste à étendre à l'ensemble des partenaires commerciaux un avantage particulier qui a été accordé à un pays tiers.

L’UE risquerait donc de perdre la face devant l’OMC en cas de contestation d’un Etat tiers. Raison de plus pour que ce deal reste un arrangement politique.

L’aspect informel de l’accord rend “la situation [...] très instable, avec un accord qui peut être remis en question à tout moment — aux antipodes de la ‘prévisibilité’ vantée par la présidente de la Commission et le commissaire au commerce”, explique Alan Hervé, interviewé par BLOCS.

RÉACTIONS • Dans les jours suivant l’annonce de l’accord, les réactions ont été principalement négatives.

  • François Bayrou a tout de suite qualifié l’accord de “soumission”. Hier, il a toutefois expliqué que ce n’était “pas la fin de l’histoire” et que le processus de “ratification” n’était “pas encore totalement élucidé”. 

  • Emmanuel Macron, aurait, quant à lui, affirmé en conseil des ministres que l’Europe n’était pas parvenue à être “crainte” par les Etats-Unis, soulignant cependant que l’accord apporte de la visibilité à court terme et parvient à protéger certaines filières exportatrices toute en ne faisant pas de concession sur l’agriculture et les normes environnementales. 

  • Le chancelier Friedrich Merz a déclaré qu’il ne s'attendait “pas à un résultat meilleur que celui-ci” et qu'il s'agissait du “meilleur résultat possible dans la situation donnée”. Il reconnaît cependant que cet accord risque de causer des dommages considérables à l’économie européenne.

  • Giorgia Meloni a salué l’accord, estimant cependant que de nombreuses zones d’ombre devaient cependant être éclaircies.

  • Au Parlement européen, les groupes de la coalition centriste ont tous publié des communiqués de presse critiques vis-à-vis de l’accord : PPE, S&D, Renew, Verts.

VUE D’ENSEMBLE • Pour évaluer cet accord à sa juste valeur — au-delà de l’humiliation politique que certains déplorent — plusieurs éléments de contexte doivent être pris en compte.

En matière de commerce de biens, l’UE est beaucoup plus dépendante du marché américain que vice-versa, et a donc, en théorie, beaucoup plus à perdre de droits de douane plus élevés que les Etats-Unis. En matière de services, cependant, les Etats-Unis ont un excédent commercial avec l’UE — argument sur lequel l’UE pourrait, à long terme, jouer dans ses négociations avec son partenaire commercial.

Ces négociations dépassent les questions purement commerciales. Durant le dernier sommet de l’OTAN, Donald Trump a expliqué vouloir lier les questions commerciales et sécuritaires. Dans la balance était donc également le soutien américain à l’Ukraine.

Face à ces droits de douane de 15 %, l’UE doit aussi se poser la question des barrières non-tarifaires au sein de son marché intérieur, que le FMI évalue comme équivalentes à des droits de douane de 44 % pour les biens et 110 % pour les services. 


Inter Alia

Par Thomas Veldkamp

50 ANS Le 24 juillet, Ursula von der Leyen a rencontré Xi Jinping lors d’un sommet à Pékin. Von der Leyen a déclaré que les relations entre l’UE et la Chine étaient à un “point d’inflexion” et a appelé à un rééquilibrage des relations économiques entre les deux puissances. 

Le président chinois a souligné que les “défis auxquels l’Europe fait face ne sont pas nés en Chine”. Les deux parties ont convenu d’améliorer leur dialogue sur les contrôles aux exportations et ont signé une déclaration commune sur le climat.

Le sommet intervient 50 ans après l’établissement des relations UE-Chine, dans un climat marqué par des tensions commerciales et le conflit ukrainien. L’UE dénonce l’augmentation des exportations chinoises subventionnées et les restrictions de Pékin sur certaines matières premières critiques.

La mise en place d’un dialogue renforcé sur les contrôles à l’export et la transparence est prévue, avec l’objectif d’éviter les blocages pour les entreprises européennes.

PLA-TAUX • Le 24 juillet, la Banque centrale européenne (BCE) a décidé unanimement de maintenir ses taux directeurs inchangés, marquant ainsi une pause après une série de réductions entamée au printemps 2024. 

Le taux de dépôt reste donc fixé à 2,00%, le taux des opérations principales de refinancement à 2,15%, et celui de la facilité de prêt marginal à 2,40% — les niveaux décidés le 5 juin dernier.

Cette stabilisation s’appuie sur le constat que l’inflation se stabilise désormais à l’objectif de 2% à moyen terme, tandis que les tensions internes sur les prix continuent de se dissiper et que la hausse des salaires a ralenti au deuxième trimestre 2025. 

La BCE justifie sa prudence par un contexte économique mondial incertain, marqué par les tensions commerciales croissantes qui freinent les perspectives de rebond économique. 

RAS LE GAZ • Le Qatar aurait menacé de réduire, voire de suspendre, ses livraisons de gaz naturel liquéfié (GNL) à l’Union européenne si celle-ci maintient sa nouvelle sur le devoir de vigilance des entreprises (CS3D), selon Reuters.

Cette directive impose aux entreprises des obligations de surveiller l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement et prévenir les atteintes aux droits humains et à l’environnement. Critiquée pour sa complexité, la Commission a proposé en février de simplifier et retarder l’application de cette directive. 

Selon une lettre adressée par le Qatar au gouvernement belge en mai dernier, si la directive telle qu’elle est maintenue, le Qatar n’aurait “d’autre choix que de considérer sérieusement des marchés alternatifs hors de l’UE pour le gaz [...], qui offrent un environnement commercial plus stable et plus accueillant.”

Le Qatar, troisième fournisseur mondial de GNL, craint que ces nouvelles règles n’entravent ses exportations et n’impose des contraintes coûteuses à ses producteurs.

Pour l’Europe, le GNL qatari reste crucial depuis la rupture avec la Russie. Les Qataris auraient également proposé des suppressions concrètes dans la directive CS3D, notamment la partie imposant l'élaboration de plans de transition climatique.

TEMU • Le 28 juillet, la Commission européenne a accusé la plateforme d’e-commerce chinoise TEMU d’enfreindre le Digital Services Act (DSA), le règlement européen sur les services numériques. TEMU aurait manqué à son obligation d’analyser les risques de vente de produits illicites.  

La Commission affirme avoir identifié un risque élevé que les consommateurs européens ne soient exposés à des produits illicites sur la plateforme — notamment des jouets et des petits produits électroniques. 

L’enquête contre TEMU, ouverte en octobre 2024, intervient alors que la Commission cherche à réguler les ventes des plateformes en ligne, notamment chinoises. 

En juin, la Commission avait déjà adressé des reproches similaires à AliExpress, une autre plateforme chinoise. SHEIN, une plateforme chinoise spécialisée dans l’habillement, fait également l’objet d’une enquête de la Commission.

TEMU dispose maintenant d’un droit de réponse aux constatations préliminaires de la Commission, qui poursuit en parallèle son enquête et se penchera notamment sur les l’utilisation de méthodes “addictives” sur la plateforme.

Si les infractions à l’article 34 du DSA étaient confirmées, TEMU pourrait se voir imposer des amendes allant jusqu’à 6% de son chiffre d’affaires mondial annuel.


Nos lectures de la semaine

  • Dans une chronique publiée sur VoxEU, Adam Baumann, Luca Caprari, Maarten Dossche, Georgi Kocharkov et Omiros Kouvavas analysent la réaction des consommateurs européens à la hausse des tarifs douaniers américains.


Cette édition a été préparée par Augustin Bourleaud, Thomas Veldkamp et Maxence de La Rochère.

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