Un sursaut pour la défense européenne ?

Les défis de l'UE en matière de défense • Mais aussi — Elections en Allemagne, Discours de Mario Draghi, 16e paquet de sanctions

What's up EU
7 min ⋅ 24/02/2025

Bonjour. Nous sommes le 24 février et voici votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn. Le briefing de la semaine vous est proposé par Antonia Przybyslawski, journaliste européenne et rédactrice de BLOCS, la newsletter sur le commerce international.

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Le Briefing

Trois ans jour pour jour après le début de l’invasion russe en Ukraine, l’inquiétude des Européens est palpable. La guerre s’enlise et les espoirs de Kiev de reconquérir ses territoires occupés s’amenuisent.

Les drapeaux ukrainiens et européens devant le Berlaymont, pour commémorer les trois ans de l’invasion russe © Commission européenneLes drapeaux ukrainiens et européens devant le Berlaymont, pour commémorer les trois ans de l’invasion russe © Commission européenne

TOURNANT Dans ce contexte délicat, Donald Trump a secoué les Européens en annonçant l’ouverture immédiate de négociations pour un accord de paix avec la Russie, en marginalisant l’UE et Kiev.

En parallèle, le président américain accentue la pression sur les Vingt-Sept pour qu’ils augmentent massivement leurs dépenses militaires, exigeant qu’ils consacrent 5 % de leur PIB à la défense.

Face à ce nouveau rapport de force, l’UE tente de réagir. “La sécurité de l’Europe est à un tournant. Oui, il s’agit de l’Ukraine, mais il s’agit aussi de nous”, a alerté Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, lundi dernier sur X.

Quelques jours plus tôt, elle proposait de suspendre temporairement les règles budgétaires de l’UE — qui limitent les déficits publics à 3 % du PIB — afin de permettre aux États membres d’investir davantage dans leurs capacités militaires. 

“Nos dépenses de défense sont passées d’à peine plus de 200 milliards d’euros avant la guerre à plus de 320 milliards d’euros [en 2024]. Il nous faut encore augmenter ce chiffre considérablement”.

La Commission chiffre à 500 milliards d’euros les investissements supplémentaires nécessaires au cours de la prochaine décennie afin de renforcer l’industrie de défense.

MADE IN EUROPE Une ligne partagée par Emmanuel Macron, qui a exhorté mercredi dernier ses homologues à intensifier leurs efforts.

Au-delà de l’augmentation des budgets militaires, il insiste sur un enjeu central : l’indépendance vis-à-vis des États-Unis. Depuis le début de la guerre en Ukraine, 78 % des commandes d’armement de l’UE ont été passées à des industriels non européens, dont 63 % aux États-Unis.

Une dépendance que le président français juge dangereuse. “Nous devons développer une base européenne de défense, industrielle et technologique pleinement intégrée”, a-t-il déclaré au Financial Times le 13 février.

“Si nous ne faisons que devenir des clients encore plus importants des États-Unis, alors, dans vingt ans, nous n’aurons toujours pas résolu la question de la souveraineté européenne”.

Cette ambition se heurte néanmoins aux divisions internes à l’UE. La France milite depuis des années pour une industrie de défense “made in Europe”, une position qui s’est cristallisée autour du programme européen pour l’industrie de la défense (EDIP), présenté début 2024 par la Commission.

Son adoption traîne en longueur. Ni le Conseil ni le Parlement ne se sont encore mis d’accord sur les détails de ce texte, qui prévoit notamment de financer des achats conjoints, avec un budget initial de 1,5 milliard d’euros.

Tandis que la France, soutenue par la Grèce et Chypre, défend une approche strictement européenne, des pays comme la Pologne, les Pays-Bas et l’Allemagne plaident pour plus de flexibilité.

Le sujet de tension n’est pas nouveau : en 2020, la France avait réussi à obtenir la création d’un Fonds européen de défense, centré sur les projets transnationaux du secteur en Europe, et doté de 7,9 milliards d’euros pour la période 2021-2027. 

Depuis, la majorité des dépenses de l’UE en matière de défense ont néanmoins été réalisées via la Facilité européenne pour la paix, qui ne comporte pas de critère d’origine. Cet instrument extra-budgétaire a permis des remboursements de matériel de défense utilisés principalement pour soutenir l’Ukraine, à hauteur de 17 milliards d’euros depuis 2021.

FRAGMENTATION Le projet d’une Europe de la défense se heurte également à la difficulté de la coopération industrielle entre États membres.

Le programme franco-germano-espagnol SCAF (Système de combat aérien du futur), censé déboucher sur un nouvel avion de chasse d’ici 2040, illustre ces tensions, avec des désaccords persistants entre Paris et Berlin sur la répartition des compétences industrielles.

À cela s’ajoute un marché européen de la défense éclaté. En 2022, l’UE comptait 178 systèmes d’armes différents, 17 types de chars lourds, 29 types de destroyers et de frégates, et 20 types d’avions de chasse. 

À titre de comparaison, les États-Unis n’ont qu’un seul modèle de char, quatre types de destroyers et six types d’avions de chasse. Une fragmentation qui ralentit la production et renchérit les coûts, comme l’a récemment souligné Mario Draghi dans son rapport sur la compétitivité européenne.

Consciente de ces défis, l’UE prévoit de dévoiler mi-mars son premier “livre blanc” de la défense. Piloté par le commissaire lituanien Andrius Kubilius, ce document devrait proposer des mesures pour renforcer la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE), augmenter les commandes publiques et sécuriser leur financement. 

Sur ce point, la France plaide pour un endettement commun, mais l'Allemagne, l’Autriche et les Pays-Bas restent fermement opposés. Mais la position de Berlin pourrait changer après les élections législatives de dimanche : Friedrich Merz, tête de liste des chrétiens-démocrates (CDU/CSU) ne rejette pas totalement un emprunt pour la défense.


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Inter Alia

ALLEMAGNE Le 23 février, les électeurs allemands se sont rendus aux urnes. 

La CDU/CSU (Parti populaire européen au Parlement européen, centre-droit) de Friedrich Merz obtient 28,5% des voix, devant l’AfD (Europe des nations souveraines, extrême-droite), qui devient pour la première fois la deuxième force politique du pays avec 21% des voix. Le SPD (Sociaux-démocrates, centre-gauche) d’Olaf Scholz dégringole, atteignant les 16,5%.

Ni le FDP (Renew Europe, libéraux), ni le BSW (gauche radicale) n’ont atteint le seuil des 5 % de voix requis pour être représenté au Bundestag. Cela permet à la CDU/CSU et au SPD d’atteindre ensemble une fine majorité, ouvrant la possibilité d’une coalition à deux partis.

Explication : le fait que certains partis n’atteignent pas les 5 % a pour effet mathématique d’augmenter le nombre de sièges par voix obtenu par les autres partis. Si le FDP et le BSW avaient passé le cap des 5 %, la CDU/CSU aurait eu besoin d’au moins un autre parti afin de former une coalition avec le SPD, ce que Friedrich Merz souhaitait éviter pour des raisons de stabilité gouvernementale.

Même en cas de coalition CDU/CSU-SPD, d’intenses négociations sont à venir, les deux partis ayant des vues opposées sur de nombreux sujets. Merz a déclaré viser un accord d’ici à Pâques.

Les dernières élections européennes ont renforcé le poids du Parti populaire européen (PPE) au sein du Parlement européen, un atout de taille pour le futur chancelier.

Friedrich Merz souhaite s’impliquer de manière plus active dans les affaires européennes que son prédécesseur — et sur des positions davantage alignées avec l’autonomie stratégique prônée par la France. 

Il a annoncé que l’UE devait changer d’attitude et ne pas se présenter comme un “nain” devant les Etats-Unis — il a d’ailleurs déclaré souhaiter que l’Europe développe une “indépendance” complète vis-à-vis des Etats-Unis. Il s’est également dit prêt à discuter du partage de la protection nucléaire britannique et française. 

Ursula von der Leyen et Friedrich Merz, pourtant issus du même parti, ne partagent pas toujours les mêmes positions, notamment sur la dérégulation et les enjeux écologiques. Ils ont aussi été rivaux en Allemagne, où l’une était la protégée de Merkel tandis que l’autre avait été mis à l’écart du parti par la chancelière.

En attendant l’élection du nouveau chancelier, Olaf Scholz continuera de représenter l’Allemagne au Conseil européen, mais devra s’entretenir étroitement avec les membres de la probable future coalition.

SUPER MARIO Le 18 février, Mario Draghi s'est exprimé devant le Parlement européen, presque six mois après la publication de son rapport sur la compétitivité européenne.

Si les constats qu’il a établis dans son rapport sont toujours d’actualité, l’ancien président de la BCE a profité de ce discours pour souligner plusieurs développements récents.

Concernant l’intelligence artificielle, les modèles sont devenus de plus en plus efficaces, avec des coûts d’apprentissage automatique dix fois moins élevés qu’il y a quelques mois — une opportunité pour l’Europe, dont aucun large language model (LLM) ne figure dans le top 10, occupé par les Etats-Unis (8) et la Chine (2). 

L’ancien président de la BCE a reconnu certaines avancées européennes en matière d’IA, notamment la AI Champions Initiative, qui vise à rapprocher les secteurs public et privé sur.

En matière d’énergie, les prix du gaz restent très volatiles — ils ont augmenté de 40% depuis septembre — tandis que les prix de l’électricité sont toujours deux à trois fois plus élevés qu’aux États-Unis.

À ces défis s’ajoutent de nouvelles tensions géopolitiques liées aux élections américaines et à la menace de tarifs douaniers outre-atlantique. 

“Pour relever ces défis (...) nous devons agir de plus en plus comme si l’UE était un seul et même Etat”, a-t-il déclaré.

Mario Draghi a réitéré son appel à éliminer les barrières commerciales au sein du marché intérieur, rappelant des statistiques du FMI, qui estime que ces barrières sont équivalentes à des droits de douane de 45 % pour l’industrie et 110 % pour les services. Le RGPD aurait quant à lui augmenté le coût de la data de 20 % pour les entreprises européennes.

La boussole de compétitivité, présentée par la Commission il y a un mois, est alignée avec les recommandations du rapport, selon Mario Draghi. Pour autant, ce dernier regrette l’absence de nouvelles ressources budgétaires pour l’UE au sein de l’initiative, et que les financements reposent principalement sur les aides d’Etat.

Il a d’ailleurs rappelé que les 800 milliards d’euros par an requis selon lui pour relever les défis précités sont une “estimation prudente” (suggérant que davantage d’investissements seront probablement requis).

Enfin, Draghi a insisté sur la nécessité d’accélérer les procédures législatives, qui “prennent souvent jusqu’à 20 mois”, faisant risquer que “nos politiques soient dépassées avant même leur entrée en application”.

SANCTIONS À quelques jours du troisième anniversaire de l’invasion de l’Ukraine, le Conseil a adopté un 16ᵉ paquet de sanctions contre la Russie.

Ces nouvelles mesures ciblent principalement les importations d’aluminium et de pétrole russes, les exportations de chrome et certains produits chimiques.

La radiation de 13 banques russes du système SWIFT, ainsi que l’inscription sur liste noire de 73 navires faisant partie de la “flotte fantôme”, ont pour objectif d’endiguer le contournement des sanctions par la Russie. 

L’adoption de ce paquet de sanctions intervient vingt-quatre heures après les déclarations de Marco Rubio à la suite des échanges entre Moscou et Washington en Arabie Saoudite, laissant présager la possibilité d’un assouplissement des sanctions américaines. La Russie se préparerait même au retour de sociétés occidentales sur son sol.

L’effet des sanctions occidentales serait mis à mal si les Etats-Unis venaient à alléger les sanctions, en particulier concernant le dollar, qui sont considérées comme étant les plus efficaces.

La question des 210 milliards d’euros d’actifs russes gelés refait également surface. Si un consensus s’était dégagé lors du G7 pour l’utilisation des profits générés afin de financer un prêt de 50 milliards à Kiev, les États européens restent divisés quant à l’éventuelle utilisation des avoirs en eux-mêmes pour soutenir l’effort de guerre ukrainien.


Nos lectures de la semaine

  • Pour Bruegel et le Kiel Institute, Alexandr Burilkov et Guntram B. Wolff estiment le coût que les Européens devraient assumer pour remplacer l'engagement de défense implicite des États-Unis, essentiel à la dissuasion de la Russie.

  • Ne manquez pas la dernière édition de BLOCS, la newsletter sur le commerce international, dédiée à la détresse de l’économie allemande.

  • Dans une tribune publiée sur Project Syndicate, Ulrike Malmendier, Thilo Kroeger et Christopher Zuber exposent les défis économiques qui attendent le prochain chancelier allemand.


Cette édition a été préparée par Augustin Bourleaud, Antonia Przybyslawski, Théotime Beau, Edgar Carpentier-Charléty, Antoine Ognibene et Maxence de La Rochère. À la semaine prochaine !

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Par Augustin Bourleaud

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