Les SMS d'Ursula von der Leyen à Luxembourg. Mais aussi dans cette édition : électiobns, DSA, Brexit, Budget européen.
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Par Mathieu Solal
La Commission européenne a subi une défaite judiciaire mercredi, dans l’affaire dite du “Pfizergate”.
CURIA • Le Tribunal de l'Union européenne a annulé la décision de la Commission de novembre 2022 de refuser à la journaliste du New York Times Matina Stevi l'accès aux SMS échangés entre sa présidente Ursula von der Leyen et le PDG de Pfizer, Albert Bourla.
Grâce à un travail d’investigation et des entretiens menés avec le dirigeant du groupe pharmaceutique et avec la cheffe de l’exécutif européen, la journaliste avait réussi à établir l’existence de ces échanges directs en 2021.
Ces échanges ont contribué à conclure un contrat à 1,8 milliards d’euros pour l’obtention des précieuses doses du vaccin anti-Covid 19 développé par le laboratoire pharmaceutique américain.
PRÉSOMPTION RENVERSÉE • La journaliste, qui avait demandé à la Commission que lui soit divulgué le contenu à ces messages en se fondant sur le règlement de 2001 relatif à l’accès aux documents, avait vu sa requête rejetée au motif qu’il ne détenait pas les documents visés.
Matina Stevi et le New York Times ont contesté ce refus devant la justice européenne, qui vient donc de leur donner raison.
Pour les juges de Luxembourg, la motivation apportée par la Commission à sa décision n’est pas suffisante.
Car si le Tribunal reconnaît que “lorsqu'une institution affirme, en réponse à une demande d'accès, qu'un document n'existe pas, l'inexistence du document est présumée”, il considère que le travail de la journaliste a permis, en l’espèce, de renverser cette présomption.
La Commission doit dès lors “présenter des explications crédibles permettant au public et au Tribunal de comprendre pourquoi ces documents sont introuvables”, estiment les juges.
EXPLICATIONS AMBIGUËS • Le jugement paraît logique au regard des explications ambiguës de la Commission.
Après avoir refusé de confirmer l’existence même de ces SMS, elle a en effet cessé de le contester tout en affirmant qu’ils n’avaient pas été archivés en tant que documents publics, “faute de contenu substantiel”.
Elle a également mis en avant le contexte exceptionnel dans lequel ont eu lieu ces échanges. Tancée de toutes parts pour le retard pris par la campagne vaccinale européenne sur les États-Unis et le Royaume-Uni, la Commission était sous pression et a réagi dans l’urgence, ce qui explique que l’archivage des SMS n’ait pas été sa priorité, a expliqué en substance l’exécutif européen.
Pas de quoi convaincre les juges, dont la décision a été saluée par le New York Times, qui y voit “une victoire pour la transparence”, et par beaucoup d’ONG.
Un optimisme que ne partage pas vraiment Jean Comte, journaliste pour MLex à Bruxelles :
Les ONG se réjouissent que le tribunal rappelle à la Commission qu’elle doit justifier ses réponses, et qu’il considère que les messages SMS ou WhatsApp sont des documents pouvant faire l’objet d’une demande d’accès, explique-t-il. Mais à mon sens cela n’est pas une vraie victoire : la lettre du règlement de 2001 est déjà assez claire sur ce sujet.
Quand elle ne veut pas donner accès à un document, la Commission se débrouille pour ne pas le donner - les journalistes en font souvent l’expérience. Le seul recours, c’est d’aller devant la justice européenne, et ce jugement prouve que cela n’est pas toujours très efficace.
REVERS SYMBOLIQUE • En réaction au jugement, la Commission a annoncé qu’elle adopterait “une nouvelle décision qui fournira des explications plus détaillées” des raisons pour lesquelles il avait décidé de ne pas publier les SMS.
Sauf appel de l’une ou l’autre des parties, la montagne pourrait ainsi accoucher d’une souris, démontrant, en creux, le manque de moyens dont dispose la justice européenne pour contraindre la Commission à modifier son comportement.
Le jugement ne constitue pas moins un revers symbolique important pour l’institution bruxelloise et sa présidente allemande, déjà désavouée à plusieurs reprises dans ce dossier des vaccins.
“Ce verdict était très attendu, et il est forcément interprété comme allant contre la politique de transparence de von der Leyen”, confirme Jean Comte. “D’un autre côté, ce n’est pas cet épisode qui va menacer son poste. L’UE doit faire bloc pour soutenir l’Ukraine et répondre aux attaques de Donald Trump… Les dirigeants ne peuvent certainement pas se payer le luxe de mettre la présidente de la Commission en difficulté maintenant, avec tous ces dossiers cruciaux à régler”.
Partenariat commercial avec Les Éditions Robert Laffont
Philippe Dessertine nous invite à penser le monde de demain dans un essai à paraître le 22 mai, l’Horizon des possibles, publié aux éditions Robert Laffont.
Cet ouvrage :
Pose des réflexions sur les grands chocs de notre époque : vieillissement démographique, urgence climatique, accélération scientifique.
Propose des pistes intéressantes pour repenser nos modèles de société avec de nouveaux indicateurs de richesse ou encore repenser la ville et la mobilité.
Philippe Dessertine est économiste, président de l’Institut de la haute finance et membre du Haut conseil des finances publiques.
Découvrir les premières pages ici.
ELECTIONS • Nicușor Dan a remporté l’élection présidentielle en Roumanie.
Maire de Bucarest et figure du mouvement libéral et anti-corruption, il a obtenu environ 54 % des voix au second tour, devançant le candidat nationaliste George Simion, qui a recueilli environ 46 % des suffrages.
Le taux de participation s’élevait à 65%, un niveau très élevé atteint grâce à la mobilisation de la diaspora et des centres urbains.
Ces résultats représentent un soulagement pour le camp pro-européen, alors que les élections présidentielles du 10 novembre 2024 avaient été annulées par la Cour constitutionnelle en raison d’irrégularités majeures.
En Pologne, le second tour prévu le 1er juin promet d'être serré. Lors du premier tour qui s’est tenu le 18 mai, le maire libéral de Varsovie, Rafał Trzaskowski, a recueilli une avance étroite avec 31,36 % des voix face à son rival de droite Karol Nawrocki (29,54 %).
BUDGET EUROPÉEN • La facture arrive. A partir de 2028, l’UE doit commencer à rembourser les 350 milliards d’euros empruntés dans le cadre du plan de relance NGEU.
Cela représente 25–30 milliards d’euros par an, soit 20 % du budget européen annuel. Le prochain cadre financier pluriannuel (CFP) doit prévoir des ressources propres.
Le Conseil de l’UE doit se prononcer sur ces ressources propres avant le 1er juillet 2025. Aucun vote n’a encore eu lieu, malgré deux propositions de la Commission en 2021 et 2023.
Dans ce contexte, un document interne révélé par Politico remet à l’ordre du jour l’option d’une taxe sur le numérique.
Initialement proposée en 2021, puis abandonnée sous la pression des États-Unis, elle refait surface comme levier de financement post-Covid.
Toujours selon Politico, la Commission informera les experts nationaux des différentes options le 22 mai.
De façon plus certaine, la commission présentera en juillet 2025 son projet de CFP, accompagné de sa proposition de décision sur les ressources propres.
TIKTOK • Le jeudi 15 mai, la Commission a publié un avis préliminaire selon lequel TikTok aurait manqué à ses obligations découlant du Digital Services Act (DSA) concernant le répertoire des publicités.
Ce répertoire, qui doit permettre à la société civile d’identifier les campagnes de désinformation, les publicités frauduleuses, et les menaces hybrides, ne serait pas suffisamment entretenu par TikTok. Il y manquerait des informations sur ceux qui ont payé pour diffuser les publicités, ainsi que sur les utilisateurs ciblés.
La confirmation de cet avis préliminaire exposerait TikTok à une amende allant jusqu’à 6% de son chiffre d’affaires mondial annuel. TikTok dispose d’un droit de réponse, et les parties pourraient négocier des mesures pour remédier aux manquements, et ainsi éviter une amende et une formalisation de l’infraction.
La Commission — qui vient d’imposer des amendes à Apple et Meta dans le cadre du DSA (lire ici notre briefing sur le sujet) — avait émis un avis d’infraction préliminaire à l’encontre de X, le réseau d’Elon Musk, en juillet 2024 pour les mêmes manquements que TikTok.
Dans le cas de X, les investigations de la Commission, et de possibles négociations autour de remèdes, sont encore en cours.
BREXIT • Le lundi 19 mai, le Royaume-Uni et l’UE ont confirmé un accord de rapprochement économique devant marquer la "réinitialisation" des relations économiques entre le Royaume-Uni et le continent.
Lors du premier sommet bilatéral depuis le Brexit, le premier ministre britannique Keir Starmer et la présidente de la Commission européenne Ursula von Der Leyen ont dévoilé les mesures clé de l’accord, portant sur l’économie et la défense.
La levée de contraintes devrait permettre au Royaume-Uni d’augmenter ses exportations agro-alimentaires vers l’UE.
L’accès aux eaux britanniques pour les pêcheurs européens a été étendu de douze ans, jusqu’en 2038.
L’accord sur la pêche, une concession majeure pour les britanniques, ouvre la voie à une coopération approfondie sur les sujets de défense, mais les négociations se poursuivent sur la contribution financière qui permettra au Royaume-Uni de participer au Fonds de défense européen.
Dans une note pour l’Institut Jacques Delors, Sébastien Maillard partage son analyse du rapprochement amorcé entre le Royaume-Uni et l’Union européenne.
Dans le Financial Times, Paola Tamma pose la question : “L’Europe peut-elle enfin réformer ses marchés de capitaux ?”
Cette édition a été éditée par Thomas Veldkamp et préparée par Mathieu Solal, Antoine Langrée, Lidia Bilali, Antoine Ognibene, Léopold Ringuenet, et Maxence de La Rochère. À la semaine prochaine !