L’arsenal de l’UE face à Trump

Ce à quoi la réponse européenne à des droits de douane américains pourrait ressembler • Mais aussi — Défense, IA, Electricité et ONG

What's up EU
6 min ⋅ 10/02/2025

Bonjour. Nous sommes le 10 février et voici votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn


Le Briefing

Donald Trump pourrait annoncer d’un jour à l’autre l’imposition de tarifs douaniers sur l’ensemble des produits européens. 

Ursula von der Leyen et Donald Trump au World Economic Forum, 2020 © Commission européenneUrsula von der Leyen et Donald Trump au World Economic Forum, 2020 © Commission européenne

THE EU IS NEXT  Le 1er février, Donald Trump a signé trois executive orders imposant des droits de douane supplémentaires sur l’ensemble des importations canadiennes (25% sauf pour l'énergie — 10%), mexicaines (25%) et chinoises (10%).

Le même jour, le président américain a déclaré qu’il comptait “absolument” imposer de nouveaux droits de douane sur les importations provenant de l’UE. Dans ce domaine-là, “l’UE nous a traité terriblement mal”, a-t-il ajouté. 

Deux jours plus tard, le président américain en ajoutait une couche : “Ils [les Européens] profitent de nous. Nous avons un déficit commercial de plus de 300 milliards de dollars avec eux.” 

Ces chiffres sont incorrects : le déficit commercial (en matière de commerce de biens) avoisine en réalité les 150 milliards de dollars — et non 300 milliards — selon Eurostat. À l’inverse, en matière de services, les Etats-Unis ont un excédent commercial d’environ 100 milliards de dollars vis-à-vis de l’UE.

Après des négociations avec le premier ministre canadien Justin Trudeau et la présidente méxicaine Claudia Sheinbaum — et des concessions de la part des deux dirigeants — Donald Trump a finalement accepté de repousser l’entrée en vigueur des tarifs douaniers pour les deux pays.

Pendant sa campagne électorale, Donald Trump avait promis d’augmenter de 10 à 20% les droits de douane sur l’ensemble de ses partenaires commerciaux (et 60% pour la Chine). Des annonces concrètes concernant l’UE pourraient à présent arriver du jour au lendemain.

RÉACTION • Un porte-parole de la Commission européenne a déclaré que l'UE répondrait “fermement” à la mise en place de droits de douane “injustes” ou “arbitraires” par les Etats-Unis.

Réunis lors d’un Conseil européen informel initialement dédié à la défense contre la Russie, les chefs d’Etat et de gouvernement auraient également longuement discuté des réponses possibles.

En 2024, une Trump Task Force aurait été créée au sein de la Commission européenne — chargée notamment de préparer la réponse aux menaces commerciales de Donald Trump. Si les détails de la stratégie européenne restent pour le moment inconnus, une bonne dose de prudence et de fermeté seront certainement au centre de la réponse de l’UE.

Pour arriver à leurs fins, le Canada et le Mexique ont fait en sorte de garder Donald Trump autour de la table des négociations, tout en annonçant d’importantes mesures de rétorsion. Ils ont également dû faire des concessions.

ARSENAL  En cas d’échec des négociations, l’UE dispose de plusieurs instruments pour répliquer.

La Commission peut utiliser son règlement sur le respect des règles du commerce international  — révisé en 2021 pour tenir compte de la paralysie de l’organe de règlement des différends de l’OMC, causée par les Etats-Unis — afin d’imposer des mesures de rétorsion. 

En 2018, après l’entrée en vigueur des tarifs douaniers sur l’aluminium et l’acier sous l’administration Trump I, la Commission en avait fait usage pour adopter des mesures tarifaires de “rééquilibrage” contre les Etats-Unis.

Au sein de la liste des produits concernés, l’UE avait par exemple visé le whiskey américain, touchant ainsi l’industrie du bourbon du Kentucky, État conservateur. Objectif ? Frapper là où ça fait mal. Les mesures de rétorsions canadiennes mises en avant par Justin Trudeau la semaine dernière contenaient des mesures similaires.

L’UE doit respecter une procédure précise, encadrée à la fois par le règlement cité plus haut et le règlement de 1994 sur la procédure de décision dans le cadre de la politique commerciale.

Ce dernier contraint la Commission à rassembler des preuves, examiner minutieusement les mesures de rétorsion pour s’assurer de leur proportionnalité, et réaliser des consultations avec les Etats membres. Le Conseil peut s’opposer à la mise en place de droits de douane si une majorité qualifiée se constitue contre la décision de la Commission.

En 2018, la Commission avait mis 3 mois (après l’annonce des droits de douane par Donald Trump) à adopter des mesures de rétorsion — plus long que la simple signature d’un executive order.

ACI L’utilisation de l’Instrument contre la coercition économique (Anti-Coercion Instrument) est une possibilité dont l’UE ne disposait pas durant le premier mandat de Donald Trump. 

L’usage de cet instrument est actuellement envisagé par la Commission, selon des informations révélées par le FT. Il s’agirait probablement d’une option de dernier recours, au vu de sa sévérité. 

Entré en vigueur à la fin de l’année 2023, l’instrument permet de mettre en place des restrictions sur le commerce de biens et de services, mais aussi sur les droits de propriété intellectuelle et les investissements directs à l’étranger — entre autres.

Il implique cependant une procédure minutieuse : la Commission doit lancer une enquête pour déterminer si un Etat tiers commet effectivement des actes de coercition économique, c’est-à-dire des mesures économiques visant à interférer avec les “choix souverains légitimes de l’Union ou d’un Etat membre”.

La Commission doit ensuite obtenir l’aval du Conseil, qui vote à la majorité qualifiée, pour valider la désignation, avant d’adopter des mesures.

Cet instrument n’a encore jamais été utilisé.

INCERTITUDE Pour le moment, il faut s’attendre à ce que l’UE mise sur les négociations pour éviter toute escalade. 

Bernd Lange, qui dirige la Commission du commerce international au Parlement européen, a d’ailleurs révélé au FT que l’UE serait prête à faire plusieurs concessions : baisser les droits de douane sur les voitures américaines, en plus d’acheter davantage d’équipement militaire et de gaz naturel liquéfié (GNL) aux Etats-Unis. 

Dernières nouvelles : Donald Trump a annoncé dans la nuit qu’il comptait imposer des droits de douane de 25% sur toutes les importations d’acier et d’aluminium, ainsi qu’une série de droits de douane réciproques sur les exportations américaines de biens taxés par d’autres pays.


Inter Alia

DÉFENSE  Le 3 février, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE se sont réunis lors d’un Conseil européen informel pour discuter — entre autres — de la nécessité de renforcer les capacités de défense européennes.

Au cœur des discussions : la question du financement, autour de laquelle une forme de consensus se dessine. Déjà demandée par la Pologne en octobre dernier, l’idée d’une flexibilisation des règles budgétaires européennes — contenues dans le Pacte de stabilité et de croissance (PSC), qui impose la règle de 3% de déficit et 60% de dette publique — semble avoir fait son bout de chemin.

Les règles ont été réformées l’année dernière, mais plusieurs Etats membres estiment qu’elles ne donnent pas assez de flexibilité en ce qui concerne les dépenses en défense. 

L’Italie, la Grèce et la Pologne ont proposé d’exclure les dépenses militaires des contraintes établies par le cadre. La présidente de la Commission a évoqué l’idée d’utiliser la clause dérogatoire (déjà utilisée pendant le Covid), qui permet aux Etats-membres de dévier des règles de finances européennes dans certaines conditions.

L’Allemagne, pays réputé “frugal”, s’est montrée favorable à la flexibilisation, tout en posant ses limites : pas d’endettement commun. À voir si le futur chancelier allemand maintiendra cette ouverture.

Enfin, 19 Etats-membres ont appelé la Banque européenne d’investissement à réviser ses lignes directrices pour permettre un financement plus large du secteur de la défense, un an après leur dernière révision.

Pas de décision pendant ce sommet formel : l’objectif est que ces discussions servent de base pour que des mesures concrètes soient prises à la suite du prochain Conseil européen en juin.

IA • Le 10 et le 11 février, Paris accueille le Sommet pour l’Action sur l’Intelligence Artificielle (IA). 

C’est la troisième itération de ce sommet — après Bletchey Park (Royaume-Uni) en 2023 et Séoul (Corée) en 2024. Alors que ces deux premiers ont principalement produit des rapports scientifiques et standards volontaires, le sommet 2025 a vocation à se concentrer sur les actions concrètes et le financement.

Côté UE, le 2 février, les premières obligations découlant du AI Act (règlement sur l’IA) sont entrées en vigueur — la plupart des obligations entreront en vigueur en août 2026 (avec quelques exceptions). 

Depuis le 2 février, les entreprises d’IA ont donc le devoir d’éduquer leurs équipes à l’IA et son utilisation, notamment “en tenant compte des personnes ou des groupes de personnes à l’égard desquels les systèmes d’IA sont destinés à être utilisés”. Les détails de cette obligation ne sont pas encore établis par la Commission.

De plus, certains usages de l’IA sont maintenant interdits. C’est le cas des usages présentant des risques “inacceptables”, tels que l’identification des émotions dans les lieux de travail, la prédiction d’infraction pénale individuelle, et l’usage de vidéo-surveillance pour la reconnaissance faciale.

Le 4 février, la Commission a publié les premières lignes directrices sur ces pratiques interdites. Ces orientations ne sont pas contraignantes à proprement parler, mais elles visent à aider les entreprises à entrer en conformité avec leurs nouvelles obligations et soulignent la volonté de la Commission d’avancer vers l’application totale des règles, malgré les pressions américaines.

ELECTRICITE Le 8 février, les pays baltes se sont déconnectés du réseau d’électricité russe pour se raccorder aux infrastructures européennes.

Ce changement, préparé en coopération avec le reste de l’UE depuis une dizaine d'années, est plus symbolique qu’autre chose : Tallinn, Riga et Vilnius avaient cessé toute importation d’électricité russe depuis l’invasion de l’Ukraine par Moscou en 2022.

Les risques techniques d’un tel raccordement restaient donc limités, même si les gouvernements baltes anticipaient des campagnes de désinformation russes visant à effrayer la population.

Au contraire, le raccordement s’est effectué sans coupure et sans augmentation du prix de l’électricité.

La multiplication d’actes de détérioration de câbles sous-marins en mer Baltique représente un autre sujet d’inquiétude. 

Le 26 décembre dernier, un navire appartenant à la flotte “fantôme” russe — qui permet à Moscou d’exporter son pétrole en dépit des sanctions — a été arraisonné. Il est suspecté d’avoir intentionnellement sectionné le câble électrique Estlink 2 reliant la Finlande à l’Estonie.

En réponse, l’OTAN a déployé une nouvelle opération “Baltic Sentry”. A travers des patrouilles aériennes et maritimes, les alliés ont pour objectif de décourager les tentatives de sabotage.

ONG Le PPE (Parti populaire européen, centre-droit) a lancé en janvier dernier un débat sur le financement des ONG environnementales par la Commission. 

Selon les eurodéputés de droite, la Commission les paierait pour faire du lobbying en faveur du Pacte vert, et utiliserait donc l’argent du contribuable pour défendre ses propres intérêts.

Les 15 millions d’euros de subventions versés par la Commission aux ONG chaque année entrent dans le cadre du programme LIFE, visant à financer des projets environnementaux. 

Ces subventions visent notamment à rééquilibrer la représentation des opinions dans les débats politiques, et éviter que le secteur privé ne soit le seul à influencer le processus législatif européen. 

D’après Politico, les appels à subvention émis dans ce cadre ne font aucunement mention de missions de lobbying en faveur des intérêts de la Commission.

La Commission a cependant publié en mai dernier de nouvelles lignes directrices encadrant les subventions aux ONG. Celles-ci interdisent l’utilisation de fonds européens pour certaines actions de lobby visant directement les membres des institutions européennes. En décembre, elle a réitéré sa position par le biais de trois lettres destinées aux bénéficiaires des subventions du programme LIFE.

Le commissaire européen au budget a d’ailleurs qualifié l’usage de fonds européens par les ONG à des fins de “lobbying” “inapproprié”.

Dans ce contexte, le comité de contrôle budgétaire, dirigé par le PPE, souhaite examiner les subventions accordées par la Commission aux ONG, dans les domaines de la justice, de la migration et de l'agriculture.

Cependant, après la riposte des partis de gauche qui souhaitent étendre le champ du contrôle aux entreprises et associations professionnelles financées par la Commission, le comité pourrait finalement demander tous les contrats des bénéficiaires relevant des directions générales de l’environnement, du climat, de l’agriculture, de la justice et des affaires intérieures.


Nos lectures de la semaine

  • Dans le Financial Times, Sam Fleming, Valentina Romei, Ian Smith et Claire Jones abordent le sujet du possible découplage des politiques monétaires européennes et américaines. Chris Giles met en garde contre “l'amplification” de la divergence économique transatlantique.


Cette édition a été préparée par Augustin Bourleaud, Antoine Langrée, Luna Ricci, Solène Cazals, Edgar Carpentier-Charléty, et Maxence de La Rochère. À la semaine prochaine !

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What's up EU

Par Augustin Bourleaud

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