UE-US : le match commercial commence

Tarifs réciproques • Mais aussi — Matières premières, Préparation, Agriculture, Aviation, Ukraine

La Revue européenne
5 min ⋅ 01/04/2025

Bonjour. Nous sommes le 1er avril et voici votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn. Le briefing de la semaine vous est proposé par Antonia Przybyslawski, journaliste européenne et cofondatrice de BLOCS.


Le Briefing

Le 2 avril devrait marquer un nouvel épisode majeur dans la guerre commerciale mondiale initiée par Donald Trump.

Le président américain s’apprête à imposer des droits de douane “réciproques”, une stratégie de représailles maintes fois brandie, qui risque de déclencher une vague de réactions aux lourdes conséquences pour le commerce mondial.

SEAS © 2023SEAS © 2023

TARIFS RÉCIPROQUES • Ce dispositif consiste à aligner les tarifs appliqués aux importations américaines sur ceux imposés aux exportations américaines par les partenaires commerciaux des États-Unis. 

Une approche qui s’oppose frontalement au principe de la “nation la plus favorisée”, pierre angulaire de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui interdit toute discrimination entre partenaires commerciaux.

Pour l’instant, la Maison Blanche semble concentrer ses attaques sur les partenaires avec lesquels les États-Unis affichent d’importants déficits commerciaux en matière de biens, surnommés les “dirty fifteen”, parmi lesquels la Chine, l'UE le Mexique, Taïwan, le Japon, le Canada ou encore l'Inde. 

Mais Washington entend aussi tenir compte des barrières non tarifaires, dans lesquelles elle inclut la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ou encore les réglementations européennes sur le numérique (DMA ou DSA entre autres).

Au-delà de ce changement de doctrine commerciale, les États-Unis appliqueront également, dès le 2 avril, une taxe de 25 % sur tous les véhicules importés. Une décision qui devrait provoquer une déflagration dans l’industrie européenne déjà en difficulté.

PRUDENCE • Face à cette menace, la Commission européenne tente de temporiser. “Je regrette profondément cette décision”, a déclaré Ursula von der Leyen, promettant un examen approfondi et une éventuelle riposte. 

Mais pour agir avec force, la Commission a besoin d’un soutien ferme des États membres, au risque de se montrer divisée comme cela a été le cas sur les contre-mesures aux droits de douane américains de 25% sur l’acier et l’aluminium. 

Pour y répondre, la Commission a annoncé début mars une série de droits de douane d’une valeur de 26 milliards d’euros visant des secteurs stratégiques américains, notamment les produits agricoles issus de bastions républicains (Louisiane, Nebraska, Kansas), ainsi que des produits symboliques comme les Harley-Davidson et le bourbon du Kentucky.

Suite à la réponse immédiate de Donald Trump de taxer à hauteur de 200 % “tous les vins, champagnes et alcools importés de France et d’autres pays de l’UE”, les grands exportateurs européens — France, Italie, Espagne (vin) et Irlande (whisky) — ont poussé la Commission européenne à reporter ces mesures au 12 avril, afin de laisser place à d’éventuelles négociations.

DIVISION EUROPÉENNE • Ce premier moment de division pourrait ne pas être le dernier.

Alors que certains États membres comme la France ou la Belgique, exigent une réponse forte, d’autres, comme l’Italie de Giorgia Meloni, proche idéologiquement de Donald Trump, plaident pour la prudence, redoutant une escalade aux conséquences incontrôlables.

De son côté, le président de la commission du commerce international au Parlement européen, Bernd Lange (S&D, Allemagne), prône une contre-offensive mieux ciblée.

“Nos mesures sur l’acier et l’aluminium ne suffisent pas. Si Washington attaque nos intérêts économiques fondamentaux, nous devons envisager des tarifs sur les services numériques, secteur où les États-Unis sont largement dominants, avec l’objectif d’obtenir un compromis négocié.”  

En 2023, les États-Unis ont en effet enregistré un excédent commercial de 109 milliards d'euros avec l'UE dans le domaine des services. 

Ce déséquilibre s'explique en grande partie par la prédominance des entreprises technologiques américaines en Europe. Ces entreprises génèrent des revenus substantiels auprès des clients européens et rapatrient les bénéfices par l'intermédiaire de juridictions à faible taux d'imposition comme l'Irlande. 

GAFAM DANS LE VISEUR • Selon le Financial Times, l’option de sanctionner les services serait à l’étude.

L’UE dispose de pouvoirs étendus pour suspendre les droits de propriété intellectuelle et exclure les entreprises des marchés publics en vertu de son règlement dit “de base” concernant l’exercice des droits de l’Union pour l’application et le respect des règles du commerce international.

Ce règlement a été renforcé en 2021 à la suite du premier conflit commercial avec l'administration Trump.

Le dossier est hautement sensible et Washington suit de près ces manœuvres. Le 21 février, Donald Trump avait promis de riposter à toute sanction européenne visant les géants de la tech, menaçant de nouveaux droits de douane ou de mesures de rétorsion. 

Donald Trump a  par ailleurs menacé jeudi l’UE et le Canada de sanctions encore plus sévères s’ils tentaient de coordonner leur riposte au protectionnisme américain.


Inter Alia

MATIÈRES PREMIÈRES  Le 24 mars, la Commission européenne a dévoilé une liste de 47 projets stratégiques qui visent à exploiter les terres rares et les métaux stratégiques de l’UE.

Les projets constituent une étape clé dans l’exécution du règlement sur les matières premières critiques (Critical Raw Materials Act).

Annoncé en 2022 par Ursula von der Leyen et entré en vigueur en mai 2024, le règlement vise à limiter la dépendance de l’UE aux matières premières issues de certains pays tiers (notamment la Chine) en diversifiant les sources d’approvisionnement et en développement une production européenne.

Les 47 nouveaux projets sont situés dans 13 Etats membres et couvrent les activités d’extraction, de transformation, de recyclage et de substitution de matières premières.

14 des 17 matières premières couvertes par le règlement sont visées, telles que le lithium, le nickel, ou le cobalt.

Concernant les financements, les projets recevront 22,5 milliards d’euros à travers un soutien coordonné de la Commission, des États membres, et d’institutions financières comme la Banque européenne d’investissement.

La Commission va bientôt procéder à la sélection de futurs projets dans des pays tiers.

PRÉPARATION  Le 26 mars, la Commission européenne et le Haut représentant ont dévoilé la stratégie de l’Union européenne pour la préparation, qui vise à renforcer la capacité du continent à prévenir et réagir aux menaces émergentes. 

La stratégie est basée sur les recommandations du rapport de l’ancien président finlandais Sauli Niinistö : pour consulter notre édition sur le sujet, c’est ici

La stratégie propose 30 actions dans l’objectif, entre autres, de promouvoir la préparation de la population, de renforcer la coopération civilo-militaire et la coordination de la réaction aux crises, d’accroître les coopérations entre les secteurs publics et privés au même titre qu’avec les partenaires extérieurs.

Plus spécifiquement, elle encourage les citoyens à maintenir des provisions suffisantes pour subsister pendant au moins 72 heures en cas de crise. Par ailleurs, la Commission prévoit la création d’un “centre de crise de l’UE” chargé de coordonner les réponses transfrontalières.

AGRICULTURE  L’Ukraine appelle l’UE à prolonger les mesures de libre-échange sur ses produits agricoles, qui expirent le 5 juin. Les mesures en question, adoptées en 2022, ont été renouvelées chaque année. 

Elles prévoient la suppression des droits de douane et des quotas sur les exportations ukrainiennes. L’objectif est de soutenir le secteur agricole ukrainien, dont les exportations vers l’UE représentent près d’un dixième des 41 milliards de dollars de recettes d’exportation du pays en 2024.

Les pays voisins de l’Ukraine, en particulier la Hongrie, la Slovaquie et la Pologne, s’opposent au renouvellement de ces mesures.

En Pologne, la question agricole est particulièrement sensible à l’approche des élections présidentielles qui se tiendront le 18 mai. Le Premier ministre Donald Tusk, confronté à une vague de manifestations d’agriculteurs, cherche à préserver leur soutien. 

L’an dernier, lors du renouvellement des mesures, la Commission avait mis en place un “frein d’urgence” permettant d’instituer des droits de douane sur les importations de certaines denrées agricoles ukrainiennes si leur importation venait à dépasser un certain niveau.

AVIATION  Le 27 mars, plusieurs compagnies aériennes européennes ont appelé la Commission européenne à certaines réglementations environnementales européennes. 

Ces compagnies aériennes demandent notamment la révision du règlement ReFuelEU Aviation, qui impose l’utilisation de carburants certifiés durables (CDA, ou Sustainable Aviation Fuels, SFA en anglais). 

Un rapport du Boston Consulting Group, commandé par A4E (Aviation for Europe, lobby qui représente 70% du trafic aérien européen), soutient que ces carburants sont insuffisamment disponibles et excessivement onéreux, renvoyant ainsi la balle dans le camp des producteurs de carburants.

Adopté en 2023, ce règlement prévoit un mécanisme de flexibilité destiné à faciliter l’atteinte de ces objectifs jusqu’en 2035.

UKRAINE  Giorgia Meloni s’est démarquée de ses homologues européens réunis à Paris le 27 mars pour un sommet de la “coalition des volontaires”. Dans un entretien accordé au FT, elle a exprimé son opposition à une force de dissuasion européenne en Ukraine.  

Alors qu’Emmanuel Macron et Keir Starmer cherchent à galvaniser le soutien européen pour l’Ukraine, Giorgia Meloni a réitéré sa proposition d’étendre les garanties de l’article 5 de l’OTAN à l’Ukraine, sans pour autant l’intégrer formellement à l’alliance ni déployer des militaires italiens. 

En soulignant sa proximité avec les Etats-Unis et en appelant à ne pas “provoquer” Moscou, Giorgia Meloni espère ménager les partis de sa coalition gouvernementale. 

La présidente du Conseil italien gouverne depuis 2022 avec la Ligue de Matteo Salvini, qui a multiplié les déclarations pro-Trump. Antonio Tajani (Forza Italia), ministre des Affaires étrangères, représente quant à lui le camp pro-européen de la droite italienne.


Nos lectures de la semaine

  • Dans Le Grand Continent, un officier écrivant sous pseudonyme partage ses réflexions sur la nécessité d’une “révolution culturelle des affaires militaires en Europe”.

  • Dans la Works in Progress Newsletter, Alex Chalmers se penche sur les raisons du succès d'Airbus et explique pourquoi ce modèle de stratégie industrielle paneuropéenne est difficile à reproduire dans la tech.


Cette édition a été préparée par Augustin Bourleaud, Antonia Przybyslawski, Thomas Veldkamp, Lidia Bilali, Elisa Zevio, Alexis Rontchevsky et Maxence de La Rochère. À la semaine prochaine !

La Revue européenne

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Par What's up EU