Point sur l'influence de la Commission et d'Ursula von der Leyen • Mais aussi — Commerce, BCE, Hongrie, Palestine
Bonjour. Nous sommes le 22 avril et voici votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn. Le briefing de la semaine vous est proposé par Mathieu Solal, journaliste européen et cofondateur de BLOCS.
L’utilisation de l’article 122 du traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) vis-à-vis de l’instrument SAFE fait polémique. En parallèle, la présidente de la Commission européenne apparaît plus influente que jamais en ce début de second mandat.
Ursula von der Leyen © Commission européenne
REARM • Un mois et demi après l’annonce du plan ReArm Europe par la Commission européenne, les discussions au Conseil achoppent toujours sur l’instrument financier SAFE. Celui-ci est destiné à offrir 150 milliards d’euros de prêts à taux réduits aux États membres pour soutenir les investissements en matière de défense.
Les positions des États membres demeurent assez éloignées sur ce dossier, notamment sur la question de la participation de pays hors UE — Royaume-Uni, Canada, États-Unis ou Turquie — dans des projets d'achats en commun de matériel militaire couvert par le futur règlement.
Ces tensions politiques très vives risquent de fortement ralentir l’adoption du règlement introduisant cet instrument financier.
122 • Un comble, alors même que la Commission européenne a fait le choix de fonder sa proposition législative sur l’article 122 du TFUE, qui permet d’accélérer la procédure en contournant totalement le Parlement européen.
Une possibilité offerte dans des conditions assez floues, disposées par les deux courts alinéas de cet article.
Le premier évoque “de graves difficultés (…) dans l’approvisionnement en certains produits, notamment dans le domaine de l’énergie”. Le second permet aussi l’activation de la procédure accélérée lorsqu’un État membre subit “des catastrophes naturelles ou des événements exceptionnels échappant à son contrôle”.
Depuis le début de la pandémie de Covid-19, en 2020, la Commission européenne a multiplié les utilisations de ce procédé souvent comparé à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution française.
L’achat en commun de vaccins contre le Covid-19, la mise en place d’un instrument communautaire pour soutenir le financement des régimes de chômage partiel durant la pandémie, la création d’un prélèvement sur les superprofits des producteurs d’énergie, le plafonnement du prix du gaz ou encore l’achat en commun de gaz… Autant de textes majeurs adoptés, souvent en quelques semaines, sur le fondement de l’article 122 du TFUE.
PARLEMENT • Cette habitude procédurale prise par la Commission européenne n’est pas du goût du Parlement, dont les membres s’en sont régulièrement plaint au cours de la législature précédente.
En octobre dernier, en amont des auditions parlementaires des commissaires désignés, Ursula von der Leyen et Roberta Metsola avaient conclu un accord visant à permettre au Parlement de mieux contrôler l'action de la Commission européenne.
Cet accord, très critiqué par le Conseil, reconnaissait notamment l’existence d’un “principe d’égalité de traitement entre le Parlement et le Conseil”, et contraignait la Commission à “justifier les cas exceptionnels” où elle ferait usage de l’article 122 du TFUE.
Des engagements qui n’ont donc pas empêché l’exécutif européen d’y avoir recours de nouveau, dans le cadre du plan ReArm Europe, au grand dam de la présidente du Parlement.
Dans une missive envoyée le 27 mars à ses homologues du Conseil et de la Commission, la présidente du Parlement européen exige ainsi une meilleure implication de l’institution qu’elle représente dans ce dossier législatif majeur.
“Malheureusement, et en dépit de l’engagement du Parlement à travailler le plus rapidement possible dans le contexte actuel, l’article 122 du TFUE a été activé, permettant le lancement d’une procédure qui sape les fonctions législative et budgétaire du Parlement”, écrit Roberta Metsola, qui n’exclut pas d’agir pour contester “la base légale de l’instrument SAFE tel que proposé”.
Cette habitude du contournement du Parlement par la Commission illustre le rôle toujours plus central qu’occupe l’exécutif européen et, en son sein, sa présidente.
INFLUENCE • En ce début de second mandat, Ursula von der Leyen, souvent qualifiée d’“hyperprésidente”, a plus que jamais la mainmise sur son institution.
Avec l’aide de son fidèle chef de cabinet, Bjoern Seibert, elle impose ainsi une centralisation du pouvoir jamais vue, arbitrant, souvent tardivement, tous les dossiers chauds depuis son bureau du 13ème étage du Berlaymont.
Les commissaires, dont les plus puissants sur le papier — l’Espagnole Teresa Ribera et le Français Stéphane Séjourné, notamment — ne disposent que de peu d’expérience des rouages de l’institution.
De surcroît, l’Allemande a multiplié ces derniers mois les lancements de “dialogues stratégiques” avec différents secteurs économiques, ce qui occupe beaucoup ses commissaires et apparaît à certains observateurs comme une manière de les distraire pour mieux imposer son contrôle.
Avec le temps, Ursula von der Leyen a aussi réussi à imposer ses proches aux postes-clé de l’appareil bruxellois.
Stéphanie Riso, une ancienne du cabinet de la présidente, est ainsi à la tête de la DG Budget et Kurt Vandenberghe — ex-conseiller Green Deal de l’Allemande — pilote désormais la DG Climat.
La montée en puissance de la présidente de la Commission, ces derniers mois, doit aussi se comprendre à l’aune du vide politique laissé par Paris et Berlin, sur la scène européenne.
Entre la débâcle aux élections législatives du parti d’Emmanuel Macron et les divisions de la coalition allemande qui ont mené aux élections de février, Ursula von der Leyen a eu tout le loisir d’avancer ses pions.
COMMERCE • Suite à la mise en pause des tarifs douaniers additionnels américains annoncée par Donald Trump (plus sur le sujet ici), les négociations entre l’UE et les Etats-Unis reprennent.
Le 13 avril, une délégation dirigée par le commissaire européen au commerce Maroš Šefčovič s’est rendue à Washington. Maroš Šefčovič a notamment rencontré Howard Lutnick, le secrétaire au commerce américain.
Concernant ces négociations, le FT rapporte que les Etats-Unis pourraient se montrer flexibles sur les tarifs douaniers réciproques imposés appliqués à toutes les importations provenant de l’UE (20%) — Washington s’oppose pour autant à ce que ces droits de douane ne soient réduits en dessous de 10% (un niveau minimum imposé à l’ensemble des pays du monde).
Le secrétaire au commerce américain serait encore moins ouvert à une possible baisse des tarifs douaniers sur les voitures, l’acier et l’aluminium européens (25%), que la Commission propose de réduire à zéro.
Le 17 avril, c’était au tour de la présidente du Conseil des ministres italien, Giorgia Meloni, de se rendre à Washington, cette fois-ci pour rencontrer le président Donald Trump. L’Italienne dispose d’une relation privilégiée avec Donald Trump — elle était d’ailleurs la seule dirigeante européenne à assister à son investiture en janvier.
À l’approche de sa visite, plusieurs ministres français ont appelé à ne pas porter atteinte à “l’unité européenne” à lors des rencontres bilatérales — le commerce est une compétence exclusive de l’UE.
Cependant, les difficultés rencontrées par la Commission européenne dans ses négociations renforcent l’idée que la relation privilégiée entre Giorgia Meloni et Donald Trump représente également un atout.
Suite à sa rencontre avec Giorgia Meloni, Donald Trump a déclaré être sûr “à 100%” qu’un accord commercial serait conclu avec l’UE.
En réaction aux tensions commerciales transatlantiques, l’UE cherche à renforcer ses relations commerciales avec d’autres pays. Ursula von der Leyen a officialisé le lancement de négociations commerciales avec les Emirats Arabes Unis (EAU) pour un partenariat économique global.
La question de la coopération avec la Chine est plus épineuse. Recevant le premier ministre espagnol Pedro Sánchez, le président chinois Xi Jinping a déclaré que la Chine et l’UE devraient “résister conjointement à l’intimidation unilatérale” américaine.
Si Ursula von der Leyen a déclaré au premier ministre Li Qiang que Bruxelles et Pékin devraient agir ensemble pour assurer une forme de “stabilité et de prédictibilité” en matière de commerce, plusieurs obstacles demeurent — comme l’économie chinoise en berne (qui peine à attirer les investissements européens) ou encore les subventions chinoises à des secteurs stratégiques comme l’automobile (sujet sur lequel l’UE et la Chine se sont cependant engagés à organiser des négociations).
BCE • Le 17 avril, la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé une baisse de 0,25 point de ses trois taux directeurs, effective à partir du 23 avril.
Le taux de dépôt passera à 2,25 %, le taux de refinancement à 2,50 %, et celui de prêt marginal à 2,65 %. Si une pause avait été envisagée lors de la réunion de mars du Conseil des gouverneurs, la BCE a finalement opté pour une nouvelle baisse.
Christine Lagarde a justifié ce choix par le contexte géopolitique tendu : “Il y a quelques semaines, un certain nombre de gouverneurs prônaient de marquer le pas”, a-t-elle expliqué.
Les nouveaux droits de douane américains ont cependant changé la donne, faisant planer sur l’UE une croissance plus faible, et poussant la BCE à réduire les taux.
En réaction aux tensions commerciales, de nombreuses banques d’investissements ont réduit leurs prédictions concernant l’inflation dans la zone euro en dessous de 2% en 2025 (l’objectif de la BCE).
HONGRIE • Le 14 avril 2025, le Parlement hongrois a voté une série d’amendements constitutionnels interdisant les manifestations publiques de soutien aux personnes LGBTQ+, dont la marche des fiertés de Budapest.
Le gouvernement a explicitement annoncé que la Pride “ne pourra pas se tenir en public”. Portée par le Premier ministre Viktor Orbán, cette loi vise selon lui à “protéger le développement moral des enfants”, tout en limitant l’influence des ONG financées par l’étranger.
Cette décision a suscité une vive opposition en Hongrie et au sein de l'Union européenne.
Pour les opposants, il s’agit d’une attaque frontale contre les libertés fondamentales, et d’une tentative de mobiliser la base conservatrice de Fidesz avant les élections de 2026.
La réaction européenne ne s’est pas fait attendre. Lors d’une réunion des ministres de l’Emploi et des Affaires sociales (EPSCO), la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg ont mené la fronde, condamnant fermement la loi.
Le sujet pourrait être évoqué à nouveau au Conseil des affaires générales du mois de mai. Selon Politico, y sera discutée l’utilisation de l’article 7 — jamais utilisée, cette procédure peut permettre, à la suite d’une procédure précise, de retirer le droit de vote d’un Etat membre au sein du Conseil en cas de violation constatée des valeurs de l’UE contenues dans l’article 2 du traité sur l’Union européenne (TUE).
PALESTINE • Le 14 avril, la Commission européenne a annoncé une aide additionnelle de 1,6 milliard d’euros pour la Palestine. L’annonce a été faite par la cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, à l’issue d’un dialogue entre l’Autorité palestinienne et les ministres des Affaires étrangères de l’UE.
Étalée jusqu’en 2027, l’aide européenne devra soutenir l'Autorité palestinienne et encourager la reprise économique et la résilience en Cisjordanie et à Gaza, “dès que la situation sur place le permettra”. L’aide est subordonnée à des réformes de l’Autorité palestinienne.
Le programme comporte notamment des financements de la banque européenne d’investissement destinés au secteur privé, à hauteur de 400 millions d’euros.
Dans un essai pour le Brussels Institute for Geopolitics, Martijn van der Linden appelle à renforcer le rôle international de l’euro.
Le Brussels Institute for Geopolitics a également publié un entretien avec Albena Dimitrova, par Luuk van Middelaar et Margaux Cassan, consacré à l’évolution de la perception par les Bulgares de leurs liens avec l’Europe de l’Ouest et la Russie.
Ne manquez pas l’entretien d’Ursula von der Leyen avec le journal allemand Die Zeit.
Cette édition a été préparée par Augustin Bourleaud, Mathieu Solal, Thomas Veldkamp, Matteo Matuszewski, Alexis Rontchevsky et Maxence de La Rochère. À la semaine prochaine !