Charles Michel programme sa démission anticipée

Mais aussi — Pacte asile et migration, Réforme des règles budgétaires, Aides d'État

La Revue européenne
7 min ⋅ 09/01/2024


Bonjour. Nous sommes le 9 Janvier 2024 et voici votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn


Le Briefing

C’est une rentrée mouvementée au sein des institutions européennes. Le 6 janvier, Charles Michel a annoncé qu’il se présenterait aux élections européennes de juin 2024. S’il est élu — issue très probable — l’ancien Premier Ministre belge devra quitter ses fonctions de président du Conseil européen pour entamer son mandat d’eurodéputé.

Charles Michel, président du Conseil européen © Conseil européenCharles Michel, président du Conseil européen © Conseil européen

BONNE ANNÉE • L’annonce de Charles Michel a pris de court la bulle européenne, qui reprend doucement son activité après la fin de la période des fêtes.

En se présentant aux élections européennes, Charles Michel dit vouloir “participer au renforcement de la légitimité démocratique du projet européen”. Ce dernier conduira la liste du Mouvement réformateur belge, ce qui rend son élection très probable.

Pour le moment, on ne sait pas si l’actuel président du Conseil européen est intéressé par d’autres postes à haute responsabilité au sein de l’UE — il pourrait par exemple ambitionner de devenir tête de liste du groupe politique Renew pour la présidence de la Commission européenne, ou encore se positionner pour devenir le prochain commissaire belge.

VIKTOR • La démission annoncée de Charles Michel est sans précédent depuis que le rôle de président du Conseil européen a été créé avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en 2009. En temps normal, Charles Michel aurait conservé sa position jusqu’à la fin du mois de novembre 2024. 

Que se passe-t-il en cas de démission du président du Conseil européen ? Selon le règlement intérieur du Conseil européen, le président est remplacé, jusqu’à l’élection de son successeur, “par le membre du Conseil européen représentant l’État membre qui exerce la présidence semestrielle du Conseil”.

Si Charles Michel donne sa démission en juin, cela signifie donc qu’il pourrait être remplacé par le premier ministre hongrois Viktor Orbán, dont le gouvernement assurera la présidence tournante du Conseil de l’UE entre juillet et décembre 2024 — après la Belgique, dont la présidence du Conseil de l’UE a débuté le 1er janvier 2024.

CRITIQUES • Cette perspective suscite de nombreuses critiques à l’égard de l’actuel président du Conseil européen. Un certain nombre de commentateurs estiment que Charles Michel donne sciemment la possibilité à Viktor Orbán d’influencer outre-mesure l’activité institutionnelle européenne.

Au vu de la position controversée de la Hongrie sur l’Ukraine et le respect de l’État de droit, certains voient d’un mauvais œil le fait que l’État membre puisse assurer à la fois la présidence du Conseil de l’UE et la présidence du Conseil européen.

Plus largement, Charles Michel est accusé de faire passer ses ambitions personnelles avant les responsabilités associées à son mandat.

AUTRE SCÉNARIO • De son côté, l’actuel président du Conseil européen balaye les critiques en arguant que les États membres sont en capacité de trouver un remplaçant d’ici juin. 

“Je ne veux pas anticiper la décision qui sera prise par le Conseil européen en juin, [...] mais il y a plusieurs options et si le Conseil européen veut éviter Viktor Orbán, c'est très facile”, a déclaré Charles Michel à plusieurs médias.

Bien que la situation ne se soit jamais présentée, les chefs d’États membres pourraient en effet désigner un remplaçant dès juin. Le président du Conseil européen est élu par un vote à la majorité qualifiée des dirigeants des États membres (contrairement au président de la Commission européenne, l’approbation du Parlement n’est pas nécessaire) pour une période de deux ans et demi renouvelable une fois.

NUANCE • Pour autant, il ne faut pas surestimer la gravité de la situation actuelle. D’une part, le président du Conseil européen n’a pas de rôle exécutif et ses fonctions sont clairement délimitées par le traité sur l’UE (article 15). D’autre part, il est probable que les chefs d’États européens parviennent à trouver un remplaçant d’ici le début de la présidence hongroise du Conseil de l’UE, même si le calendrier de la désignation d’un nouveau président du Conseil européen se voit réduit.

“N'exagérez pas la démission anticipée de Charles Michel. Elle ne fait que déplacer la course à sa succession de 6 à 9 mois plus tôt, une nuisance pour quelques candidats qui seront toujours coincés dans la politique nationale” (et ne pourront donc pas envisager de se présenter), note Hosuk Lee-Makiyama, directeur du European Centre for International Political Economy (ECIPE).

WHO? • Qui pourrait bien remplacer Charles Michel ? La — courte — liste des anciens présidents du Conseil européen donne un aperçu du profil auquel on peut s’attendre. Les trois présidents du Conseil européen — le belge Herman Van Rompuy, le polonais Donald Tusk et Charles Michel — ont tous dirigé leur État respectif.

“Les trois titulaires du poste ont tous été Premier ministre juste avant. Ce n'est pas une obligation, mais c'est la convention”, explique Andrew Gray de Reuters sur X. 

Stanley Pignal, chef du bureau de Bruxelles de The Economist, lui répond : “J'ai l'impression que la convention autour des présidents de l'EUCO est que ce soit quelqu'un qui ait été un dirigeant de l'UE à un moment donné, mais pas nécessairement un dirigeant en exercice (bien que les trois premiers l'aient été de toute évidence).”

Une chose est sûre : après l’annonce de Charles Michel, les yeux sont maintenant rivés sur Ursula von der Leyen, dont la candidature pour un second mandat à la tête de la Commission européenne n’a pas encore été confirmée.


Partenariat commercial avec Interbev

Avec Agriculture-circulaire, nous vous proposons de découvrir le point de vue de Laurent Rieutort, Professeur de géographie à l’université Clermont-Auvergne, sur la manière dont l’élevage a influencé les paysages au fil des années. 

Le géographe revient sur la variété des paysages français et le rôle central joué par l’élevage dans le maintien de cette diversité. Au-delà de la définition du paysage comme un “corps revêtu d’un habit”, les pratiques d’élevage et les traditions qui y sont attachées donnent aux paysages une forte dimension culturelle. En 2011, “les paysages culturels de l’agro-pastoralisme méditerranéen” ont par exemple été inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO. Pour autant, les paysages agraires représentent un patrimoine fragile, explique Laurent Rieutort. Les productions diversifiées disparaissent, emmenant avec elles des services écosystémiques clés — par exemple, les trois quarts du réseau de haies français ont disparu depuis 1960. 

Pour découvrir les autres perspectives de Laurent Rieutort, c’est ici.


Inter alia

MIGRATION • Le 20 décembre, le Conseil et le Parlement ont trouvé un accord sur le nouveau pacte asile et migration proposé trois ans plus tôt par la Commission européenne. La présidente du Parlement européen Roberta Metsola a qualifié l’accord “d’historique”. “C’est probablement l'accord législatif le plus important de cette mandature”, a-t-elle ajouté.

Une réforme de la politique migratoire européenne avait déjà été présentée en 2016, mais les négociations avaient échoué. La nouvelle proposition de la Commission européenne est organisée autour de trois axes : le renforcement des frontières extérieures, un partage plus équitable des responsabilités et de la solidarité, et le renforcement de la coopération avec les pays tiers.

La réforme ne change pas radicalement l’esprit du système de Dublin, selon lequel les migrants doivent effectuer leur demande d’asile dans l’État membre par lequel ils sont entrés dans l’UE.

Le nouveau pacte prévoit, entre autres :

  • Une procédure à la frontière obligatoire, visant à évaluer rapidement si les demandes d’asiles sont infondées ou non recevables.

  • Un renforcement des capacités d’accueil de demandeurs d’asile pour atteindre un total de 30 000 places.

  • La mise en place d’une solidarité dite “obligatoire” entre États membres : les États membres en difficulté vis-à-vis des flux migratoires seront soutenus par d’autres États membres dit “contributeurs”, qui pourront décider de la manière dont ils aideront les États membres en difficulté. Les relocalisations seront à présent volontaires, et les États membres qui les refusent devront en échange envoyer des aides financières aux États membres sous tension.

Globalement, l’accord trouvé penche en faveur de la position du Conseil, plus stricte que celle du Parlement. L’accord doit à présent être adopté par les deux co-législateurs.

PSC • Le 20 décembre, les ministres des finances de l’UE ont trouvé un accord sur la réforme des règles budgétaires européennes.

​​Ces règles — issues du pacte de stabilité et de croissance (PSC) — ont été temporairement suspendues à la suite du Covid-19. En raison de la guerre en Ukraine et de la crise énergétique actuelle, cette suspension a été prolongée jusqu’à la fin de 2023, date butoir avant laquelle les États membres souhaitaient adopter un PSC revisité, ce qui est maintenant chose faite.

Comme proposé par la Commission, les nouvelles règles conservent un ratio dette/PIB maximum de 60% ainsi que la limite de 3% pour les déficits annuels.

Les règles seront à présent plus adaptées aux spécificités des États membres, qui devront convenir avec la Commission européenne de plans d’ajustement fiscal d’une durée de quatre ans. Les États pourront demander une prolongation de ces plans jusqu'à sept ans s’ils réalisent certaines réformes et investissements améliorant le potentiel de croissance et la durabilité. “Pour la première fois depuis trente ans, le pacte de stabilité reconnaît l’importance des investissements et des réformes de structure”, a déclaré Bruno le Maire sur X. 

Certains critiquent cependant cette possibilité de prolongation. “Les horizons de mise en œuvre de sept ans des nouvelles règles dépassent les cycles politiques habituels. Il est peu probable, par exemple, que la Commission oblige un gouvernement élu avec des priorités différentes au milieu du cycle de sept ans à mettre en œuvre les politiques adoptées par son prédécesseur”, estime Luis Garicano, professeur à la LSE.

À la demande d’États membres frugaux tels que l’Allemagne, plusieurs garde-fous sont prévus au sein des règles : par exemple, les États membres dont le ratio d'endettement est supérieur à 90% du PIB devront réduire leur dette excédentaire d'un point de pourcentage par an. Cet objectif est divisé par deux pour les pays dont le ratio d'endettement est supérieur à 60% mais inférieur à 90% du PIB.

La procédure des déficits excessifs est conservée : les pays ayant un déficit supérieur à 3% du PIB devront réduire leurs dépenses à hauteur de 0.5% du PIB tous les ans. À la dernière minute, la France a obtenu que la Commission tienne compte de l’augmentation des paiements d’intérêts jusqu’en 2027 pour calculer l’effort d’ajustement dans le cadre de cette procédure.

Le Conseil a convenu que l’amende en cas de non-respect irait jusqu'à 0,05% du PIB pouvant s’accumuler tous les six mois jusqu’à ce qu’une action suivie d’effets soit engagée

En bref, le PSC revisité est plus flexible et moins arbitraire, tout en conservant de strictes obligations de réduction de la dette et des déficits.

AIDES D’ÉTAT • Le 8 janvier, la Commission européenne a approuvé 902 millions d’euros d’aides de l’Allemagne destinés à l’entreprise suédoise de batteries électriques Northvolt.

Ces 902 millions d’euros visent à soutenir Northvolt dans la construction d'une usine de production de batteries de véhicules électriques avancées et à haut rendement dans la ville de Heide au nord de l’Allemagne.

Northvolt avait menacé de retirer son projet d’usine, citant notamment des subventions plus attractives accordées aux États-Unis dans le cadre de la loi de l’Inflation Reduction Act (IRA).

Cette décision de la Commission européenne autorise l’Allemagne à s’aligner sur les aides qu’aurait reçu Northvolt aux États-Unis afin de faire en sorte que l’entreprise reste en Europe. 

En mars 2023, la Commission a en effet remplacé son “encadrement temporaire de crise” (Temporary Crisis Framework, TCF), adopté après la début de la guerre en Ukraine pour permettre aux États membres de répondre à la crise énergétique, par une version révisée nommée “encadrement temporaire de crise et de transition” (Temporary Crisis and Transition Framework, TCTF) renforçant la capacité des États membres à investir dans la transition énergétique.

Avec le TCTF, si une entreprise menace de délocaliser un investissement stratégique dans un État tier à cause de subventions plus avantageuses, l’État membre qui aurait accueilli l’investissement en question est autorisé à s’aligner avec le niveau des subventions proposées par l’État tier, sous certaines conditions (ces conditions visent à éviter que les États les plus riches puissent distribuer ces aides à outrance et déstabiliser le marché intérieur).

L’aide accordée à Northvolt est la première “matching aid” du genre à être autorisée depuis l’adoption du TCTF. L’une des conditions autorisant l’octroi de cette aide est le fait qu’elle bénéficie à une région désavantagée d’Allemagne.

L’aide a été approuvée dans l’accord budgétaire trouvé par le gouvernement allemand le mois dernier, malgré le coup dur budgétaire de novembre dernier (lire notre newsletter sur le sujet ici).


Nos lectures de la semaine

  • Guy Chazan rend compte dans les pages du FT du débat allemand sur l'avenir du Schuldenbremse, le frein à l'endettement prévu par la Constitution. Vous pouvez également lire sur le sujet l’économiste Kamil Kovar.

  • Dans Notes from Poland, Aleks Szczerbiak analyse la controverse entourant la tentative de prise de contrôle des médias publics par le nouveau gouvernement polonais. 


Cette édition a été préparée par Augustin Bourleaud et Maxence de La Rochère. À la semaine prochaine !

...

La Revue européenne

La Revue européenne

Par What's up EU