28e régime : un chemin semé d’embûches

Ce qu'il faut savoir sur le 28e régime juridique européen • Mais aussi — Brexit, contrôle des concentrations, Gaza, et Ukraine.

La Revue européenne
6 min ⋅ 13/05/2025

Bonjour. Nous sommes le 13 mai et voici votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn

Rendez-vous pour noter prochaine Conversation européenne le 22 mai de 12h45 à 13h30 en visioconférence (en anglais) pour une perspective italienne sur Next Generation EU avec Marina Petri, coordinatrice du bureau à la mission pour la FRR (Facilité pour la reprise et la résilience) auprès du la Présidence du Conseil des ministres italien. Inscriptions ici .


Le Briefing

Par Matthieu Solal

“À l’heure actuelle, le marché unique européen présente toujours bien trop de barrières nationales. Les entreprises doivent parfois composer avec 27 législations nationales. En lieu et place de cela, nous proposerons aux entreprises innovantes d'exercer leurs activités dans toute l'Union suivant un ensemble unique de règles. Nous appelons cela le 28e régime”, lançait Ursula von der Leyen au Forum économique mondial de Davos le 21 janvier. 

REGAIN D’INTÉRÊT • Ce concept de 28e régime optionnel est pensé pour permettre aux entreprises européennes — en particulier les PME et les ETI — de bénéficier de règles uniques dans l’UE. 

Ces règles harmonisées concerneront des pans entiers du droit des sociétés, de l'insolvabilité, du travail et de la fiscalité. 

L’idée n’est pas nouvelle. La Commission européenne a déjà tenté de l’introduire par deux fois, en 2004 et en 2011. Sans succès, faute de volonté politique des États membres.

Le 28e régime a toutefois connu un regain d’intérêt ces derniers mois, à la faveur des rapports Letta et Draghi, qui ont convaincu la Commission européenne d’inclure le projet dans son programme de travail. Une proposition en la matière est attendue pour le troisième trimestre de cette année.

Christine Lagarde notait en novembre dernier : “Aux États-Unis, la convergence juridique ne passe souvent pas par une harmonisation totale des législations des différents États, mais bien par l’introduction d’une loi fédérale ou la promotion de la loi fédérée devenue dominante. Par exemple, près de 80 % des entreprises américaines qui ont effectué une introduction en bourse en 2022 ont été constituées dans le Delaware. En Europe, promouvoir le système juridique d’un pays plutôt qu’un autre ne fonctionnera pas.”

PHARAONIQUE • Le projet paraît sensé vu l’impact économique des divergences entre législations européennes. 

Selon un sondage d’Eurochambres publié en 2024, plus de deux tiers des entrepreneurs européens estiment que les différences de pratiques juridiques et contractuelles entre les États membres constituent le premier obstacle à leur croissance sur le marché européen.

L’impact paraît particulièrement élevé dans le secteur de la tech, où 70% des scale-up européennes choisissent de s’exporter en priorité aux Etats Unis selon le mapping LETS 2024 publié par France Digitale.

Le chantier que représente ce projet de 28e régime paraît néanmoins pharaonique et pourrait mettre entre trois et cinq ans à aboutir, selon les prévisions les plus optimistes.

Comme l’explique une note publiée le 14 février par la Fondation Jean Jaurès :“Le rapport Letta – tout comme l’association Henri Capitant qui porte ce projet – et le rapport Draghi repris par la présidente von der Leyen dans son discours décrivent un périmètre considérable du droit des affaires, parmi lesquels on compte le droit commercial, le droit des sociétés, de l’insolvabilité, de la propriété intellectuelle, du travail ainsi que le droit fiscal”.

Autant de domaines dans lesquels les États membres tiennent à leurs compétences. En matière fiscale, notamment, l’unanimité des Vingt-Sept est requise. Et plus généralement, le concept comporte une dimension fédérale qui pourrait en rebuter plus d’un.

SOUTIENS • Le projet de 28e régime a toutefois l’intérêt de ne pas exiger une harmonisation législative totale, mais bien la création d’un nouveau régime dérogatoire pouvant s’appliquer à seulement une partie des entreprises européennes, sans préjudice pour les législations nationales s’appliquant aux autres. 

Il semble soutenu par ceux qui seraient susceptibles d’en bénéficier, et notamment France Digitale, qui vante  “l’unicité du statut juridique, qui permettrait d’éviter la création d’une nouvelle entité juridique à chaque ouverture de bureaux dans un nouvel Etat européen”. 

Autre demande : créer un “socle de droits complémentaire”, par exemple “en donnant accès à un régime de stock options pour les employés qui soit harmonisé et simplifié à travers l’Union européenne, facilitant l’actionnariat salarial, domaine où l’Europe est à la traîne face aux Etats-Unis”, toujours selon France Digitale.

MÉFIANCE • Le projet est beaucoup moins bien accueilli du côté des syndicats.

“Toute proposition législative potentielle doit être examinée très attentivement en termes de potentiel de convergence vers le bas et d'ouverture de nouvelles possibilités pour les entreprises de contourner des législations nationales importantes, en particulier dans les domaines des droits des travailleurs et des syndicats, y compris le droit de grève, la fiscalité, l'emploi et la sécurité sociale”, estime ainsi la Confédération européenne des syndicats (CES).

Les syndicalistes citent le précédent du statut de la société européenne, introduit en 2004, et qui, tout en ayant recueilli un faible succès (moins de 5000 entreprises enregistrées), “a été de plus en plus détournée pour devenir un instrument permettant d'éviter et de contourner la participation des travailleurs”, selon le CES.

Pour la Fondation Jean Jaurès, il conviendrait d’assortir la proposition prévue au troisième trimestre d’un “principe du mieux-disant social et fiscal” afin “d’assurer le principe d’une unification au bénéfice des citoyens et non d’une dérégulation supplémentaire”.


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Inter Alia

GAZA • Les 7 et 8 mai a eu lieu la réunion informelle des 27 ministres des affaires étrangères à Varsovie. 

Le ministre néerlandais Caspar Veldkamp a demandé à la cheffe de la diplomatie européenne Kaja Kallas de réévaluer l’accord d’association entre l’UE et Israël, invoquant la situation humanitaire à Gaza.

Il a conditionné le soutien néerlandais au renouvellement du Plan d’action UE-Israël à un réexamen de l’article 2 de l’accord d’association, relatif aux droits humains.

L’accord d’association, en application depuis 2000, constitue la base juridique des relations commerciales entre l’UE et Israël, dont l’UE est le principal partenaire commercial. 

Le Plan d’action, adopté dans le cadre de cet accord, définit des priorités de coopération bilatérale en matière de commerce, de sécurité, de science, etc. Ce plan est arrivé à expiration en janvier 2025 et son renouvellement nécessite l’unanimité – il est donc possible de le bloquer unilatéralement. 

Une révision de l’accord avait déjà été proposée en février 2024 par l’Irlande et l’Espagne, mais la Commission – alors représentée par Josep Borrell – n’y avait pas donné suite.

Le 11 mai, le ministre des affaires étrangères français Jean-Noël Barrot a jugé “légitime” l’idée d’un réexamen. Le sujet sera discuté lors du Conseil des affaires étrangères du 20 mai.

FUSIONS • Le 8 mai, la Commission européenne a officiellement lancé une consultation sur la révision de ses lignes directrices sur le contrôle des concentrations.

Ces lignes directrices orientent la manière dont la DG Concurrence évalue les projets de fusions-acquisitions soumis à son autorisation préalable. Elle constitue de ce fait un outil de politique économique important.

La révision doit couvrir sept axes principaux : la compétitivité et la résilience ; l’évaluation du pouvoir de marché à partir d’indicateurs structurels et autres ; l’innovation et les aspects dynamiques dans le contrôle des concentrations ; la durabilité et les technologies propres ; la digitalisation ; les gains d’efficience ; et les considérations de politique publique, de sécurité et de marché du travail.

Cette révision s’inscrit dans un contexte de pression croissante pour adapter la politique de concurrence européenne aux nouveaux défis industriels, géopolitiques et technologiques.

Le rapport Draghi appelle à une réforme du cadre de contrôle des concentration afin de mieux intégrer les priorités d’innovation, de résilience et de compétitivité.

Les parties intéressées ont jusqu’au 3 septembre pour soumettre leurs contributions.

LONDRES • L’UE et le Royaume-Uni avancent dans la préparation du sommet qui se tiendra à Londres le 19 mai. L’objectif est de nouer un partenariat sur les enjeux de sécurité et de défense, tout en préparant des accords futurs sur les questions économiques telles l’agroalimentaire ou la mobilité. 

Les priorités européennes et britanniques ne sont pas encore complètement alignées. Les négociations portent notamment sur l’accès du Royaume-Uni au Fonds de défense européen, doté de 150 milliards d’euros. Londres compte sur les retombées industrielles mais Paris entend limiter la concurrence pour son industrie.

Les négociateurs français auraient aussi fait de l’accès aux eaux territoriales britanniques pour les pêcheurs européens un enjeu clé des négociations. Les accords de pêche post-Brexit échoient en 2026 et sont un point sensible pour le Danemark, les Pays-Bas et la France.

Sur le volet des mobilités, Bruxelles pourrait faciliter l’accès des ressortissants britanniques au marché du travail européen. La proposition de réintégrer le Royaume-Uni dans les programmes européens de mobilité étudiante suscite toutefois des réticences à Londres. 

Malgré ces dissensions, les négociations progressent — les deux parties évoquent désormais l’organisation de rencontres semestrielles, et le Royaume-Uni pourrait être convié ponctuellement aux réunions du Conseil européen. 

CESSEZ-LE-FEU • Le 10 mai, les dirigeants français, allemand, polonais et britannique ont rencontré le Président ukrainien, Volodymyr Zelensky, à Kiev. Ils y ont tenu un sommet informel de la “coalition des volontaires”, rassemblant les soutiens européens de l’Ukraine. 

Les européens ont proposé un cessez-le-feu inconditionnel de 30 jours devant mener à des négociations de paix. La proposition, soutenue par les Etats-Unis, est assortie d’une menace de sanctions “massives” visant notamment les exportations pétrolières russes.

Le sommet de Kiev était l’un des premiers déplacements de Friedrich Merz depuis son élection mouvementée au poste de chancelier allemand par la Bundestag, le 6 mai.

Il s’est d’abord rendu à Paris et Varsovie le 7 mai, et s’est entretenu avec Donald Trump par téléphone. Les deux dirigeants se sont mis d’accord pour se rencontrer prochainement – possiblement dès le sommet de l’OTAN à La Haye les 24 et 25 juin prochain.


Nos lectures de la semaine

  • Dans une note pour le CER, Zselyke Csaky analyse différentes propositions de réforme de la gouvernance européenne en prévision de l’élargissement futur de l’Union.

  • Heather Grabbe et Daniel Gros, de Bruegel, appellent à la création d’un “Projet Einstein” visant à attirer les scientifiques américains et à donner un nouveau souffle à la recherche européenne.


Cette édition a été éditée par Thomas Veldkamp et préparée par Mathieu Solal, Lidia Bilali, Antoine Ognibene, Solène Cazals, Théotime Beau et Maxence de La Rochère. À la semaine prochaine !

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Par What's up EU