Livre blanc sur la défense • Mais aussi — DMA, Allemagne, Commerce, Union de l'épargne et des investissements, Acier
Bonjour. Nous sommes le 24 mars et voici votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn. Le briefing de la semaine vous est proposé par Antonia Przybyslawski, journaliste européenne et cofondatrice de BLOCS.
“Si l’Europe veut éviter la guerre, elle doit se préparer à la guerre”. Le 19 mars, le commissaire à la Défense, Andrius Kubilius, a martelé ce message lors de la présentation du Livre blanc sur la défense, intitulé “Préparation 2030”. Ce document stratégique doit tracer la voie pour une remise à niveau rapide de l’industrie de défense européenne.
Kaja Kallas, cheffe de la diplomatie européenne, et Andrius Kubilius, commissaire à la défense © Commission européenne
LIVRE BLANC • L’échéance de 2030 n’a rien d’anodin. L’ancien Premier ministre lituanien a rappelé que, selon les services de renseignement allemands et danois, “le Kremlin pourrait tester l’Article 5 d’ici à 2030”.
Selon cet article du traité de l’Atlantique Nord, une attaque contre un pays de l’OTAN équivaut à une attaque contre tous. La menace russe est d’autant plus inquiétante que les Etats-Unis font planer l’incertitude sur leur engagement au sein de l’Alliance.
L’UE veut donc réduire ses dépendances et combler ses lacunes en matière de défense. Actuellement, l’UE importe 78 % de son matériel militaire, dont les deux tiers proviennent des États-Unis. Pour combler ce retard, la Commission européenne mise sur trois leviers : le financement, le soutien industriel et la simplification du marché de la défense.
Le Livre blanc insiste notamment sur l’achat conjoint et collaboratif d’équipements. Cette approche est au cœur du dispositif financier SAFE, que la Commission propose de doter de 150 milliards d’euros et qui aurait pour vocation de soutenir les États membres dans leurs investissements militaires en encourageant des projets communs.
PRÉFÉRENCE EUROPÉENNE • Pour bénéficier de ces fonds, au moins deux pays — dont un État membre — devront effectuer des achats conjoints. Le second partenaire pourra être un autre État membre, un pays de l’Association européenne de libre-échange (AELE) (Suisse, Norvège, Islande, Liechtenstein), de l’Espace économique européen (EEE) ou encore l’Ukraine.
Les pays candidats à l’UE et les autres pays tiers avec lesquels l’Union a conclu un partenariat de sécurité et de défense (Moldavie, Albanie, Macédoine du Nord, Corée du Sud, Japon, Norvège) pourraient également participer aux marchés publics communs.
Une victoire pour la France et les partisans d’une “préférence européenne”, puisque ces fonds ne pourront pas servir à acheter du matériel américain ou britannique — bien que le statut de la Grande-Bretagne puisse changer.
“Nous travaillons sur ce partenariat de défense et de sécurité avec le Royaume-Uni. J'espère vraiment que nous obtiendrons des résultats lors du sommet de mai”, a déclaré la cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas.
La Commission plaide aussi pour une meilleure coordination des demandes des États membres via l’Agence européenne de défense. L’objectif : structurer des achats conjoints de grande ampleur sur la base de contrats pluriannuels, garantissant ainsi plus de visibilité aux industriels.
S’il doit encore être approuvé par les colégislateurs, le projet a été salué par les chefs d’État et de gouvernement réunis jeudi à Bruxelles lors du Sommet européen, qui ont également appelé à accélérer les travaux pour renforcer la préparation militaire de l’Europe d’ici cinq ans.
Mais la question du financement divise. Emmanuel Macron plaide pour un endettement commun, soutenu par l’Espagne, l’Italie, la Pologne et la Grèce, tandis que les Pays-Bas s’y opposent fermement.
L’Allemagne, longtemps réticente sous Olaf Scholz, semble toutefois plus ouverte sous son probable successeur Friedrich Merz : “Je suis ouvert au débat, mais nous ne devons pas parler que d’argent”, a-t-il déclaré en février.
CONCLUSIONS À 26 • Le soutien à l’Ukraine figurait aussi parmi les priorités du sommet. Le 20 mars, le Conseil européen a adopté ses conclusions sur Kiev à 26, la Hongrie s’y opposant, comme cela avait été le cas deux semaines auparavant.
Une situation qui inquiète le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui a alerté lors du sommet, en visioconférence, sur les risques de blocage des aides financières européennes à l’Ukraine. “L’Europe doit trouver un moyen d’empêcher un seul pays de bloquer ce qui est nécessaire pour tous”, a-t-il averti.
Autre revers pour l’Ukraine : le projet de la Haute représentante de l’UE, Kaja Kallas, visant à accroître l’aide militaire.
Alors qu’elle avait annoncé lundi dernier un plan à 40 milliards d’euros, avant de le revoir considérablement à la baisse mercredi (5 milliards d’euros et uniquement pour l’achat de munitions), la proposition s’est heurtée aux réticences de plusieurs pays comme la France et l'Italie.
Ce plan prévoyait notamment une clé de répartition basée sur le revenu national brut afin que les grandes économies payent davantage au moment où ce sont surtout les petits pays (les pays nordiques et baltes) qui dépensent pour fournir de grandes quantités d'armes à l’Ukraine.
Le projet a à peine été évoqué lors du sommet. Les conclusions du Conseil européen se contentent d’un rappel général “d'intensifier les efforts” pour répondre aux besoins militaires de l’Ukraine.
DMA • Le 19 mars, la Commission européenne a transmis à Google ses constatations préliminaires pour non-respect du Digital Markets Act (DMA). Il y a un an, la Commission ouvrait deux enquêtes pour non-conformité contre Google : l’une concernant Google Play et l’autre concernant Google Search.
Dans ses constatations préliminaires — étape intermédiaire avant l’adoption d’une décision formelle dans les semaines ou mois à venir — la Commission estime que Google Play et Google Search ne sont pas conformes au DMA. Pour rappel, le DMA impose des obligations à certains services en ligne des plus grandes entreprises de la tech (les “gatekeepers”) afin de maintenir des marchés numériques justes et ouverts à la concurrence.
En l’espèce, Google Search ne respecterait pas les obligations concernant l’autopréférence — en d’autres termes, Google offrirait un traitement plus favorable aux résultats de recherche de ses propres services comparé à ceux des tiers.
Concernant Google Play, la Commission considère que la boutique d’application ne respecte pas ses obligations en matière d’orientation (“steering”) : “en vertu du DMA, les développeurs d'applications qui distribuent leurs applications par l'intermédiaire de Google Play doivent être en mesure, gratuitement, d'informer les consommateurs des autres possibilités moins chères, de les orienter vers ces offres et de permettre à ces consommateurs d'effectuer des achats.”
Dans sa décision finale, la Commission pourra imposer des amendes s’élevant jusqu’à 10 % du chiffre d'affaires de Google.
Après les craintes de voir la Commission céder aux pressions américaines, ces constatations préliminaires suggèrent que l’application du DMA n’est pour l’instant pas (ou peu) affectée par l’état des relations transatlantiques.
ALLEMAGNE • Après le Bundestag, le Bundesrat a définitivement adopté le 21 mars un plan de dépenses massif pour l’Allemagne. En réformant le frein à l’endettement inscrit dans la constitution, le futur chancelier Friedrich Merz veut relancer la croissance et investir dans la défense.
Merz a fait adopter ce plan en urgence avant la prise de fonctions du nouveau Bundestag le 25 mars, grâce à un accord entre CSU/CDU, SPD et les Verts.
Reprenant la formule de Mario Draghi, Merz a déclaré qu’il ferait “tout ce qui serait nécessaire” (“whatever it takes”) pour la défense allemande. Les marchés financiers ont réagi avec optimisme, poussant le principal indice boursier allemand à des niveaux records en mars.
Le revirement allemand a soulevé des interrogations dans l’UE, où l’Allemagne a longtemps fait valoir son approche budgétaire rigoureuse. Selon Politico, certains États membres ont exprimé leur inquiétude de voir le coût de leur endettement grimper du fait de la hausse des taux allemands, qui servent de benchmark sur le marché des obligations souveraines.
Plutôt qu’un endettement unilatéral allemand, l’Italie, l’Espagne ou encore la France ont longtemps plaidé pour des obligations collectives — ce à quoi l’Allemagne s’est (jusqu’à présent) toujours opposée.
Certains craignent aussi que le plan, qui prévoit un soutien massif aux secteurs stratégiques allemands, ne provoque une distorsion du marché unique.
Avant de pouvoir défendre sa réforme devant le Conseil européen, où l’Allemagne est toujours représentée par le chancelier sortant Olaf Scholz, Merz doit désormais finaliser la formation d’un nouveau gouvernement.
COMMERCE • La Commission européenne décale l’imposition de tarifs douaniers visant à répondre aux droits de douane américains sur l’acier et l’aluminium, du 1er avril à la mi-avril.
L’objectif est de gagner du temps afin de trouver une “solution mutuellement acceptable”, selon le commissaire au commerce Maroš Šefčovič.
La France, l’Irlande et l’Italie sont notamment inquiets de la potentielle réponse de Donald Trump, qui a menacé d’imposer des droits de douane de 200 % sur toutes les boissons alcoolisées provenant de l’UE en réponse aux mesures de rétorsion européennes.
EPARGNE • Le 19 mars, la Commission européenne a lancé l’Union de l’épargne et des investissements (UEI). Cette initiative vise à canaliser l’épargne des Européens vers des investissements productifs pour financer des priorités stratégiques telles que l’innovation, la transition écologique et la défense.
Pour rappel, le rapport Draghi chiffre ces besoins d’investissement à 750-800 milliards d’euros par an d’ici 2030. Actuellement, 70 % de l’épargne européenne — soit 10 000 milliards d’euros — est placée sur des comptes bancaires à faibles rendements.
L’UEI veut permettre aux citoyens d’investir davantage dans des instruments financiers plus rentables, tout en réduisant l’évasion des capitaux, environ 300 milliards d’euros par an, principalement vers les États-Unis.
Cette stratégie repose sur quatre axes : encourager l’investissement des ménages, faciliter l’accès au financement des entreprises, supprimer les obstacles aux marchés des capitaux et renforcer la supervision financière. L’objectif est aussi de renforcer l’union bancaire et la compétitivité du secteur financier européen.
La Commission prévoit des mesures législatives et non législatives entre 2025 et 2026, avec un examen à mi-parcours des progrès réalisés prévu pour 2027.
ACIER • La Commission européenne a présenté, le 19 mars, un plan d’action pour renforcer la compétitivité et la transition verte de l’industrie sidérurgique et métallurgique.
L’acier et d’autres métaux tels que le cuivre, l’aluminium ou le nickel, sont cruciaux pour l’industrie automobile, la défense et les technologies propres.
Avec 500 sites de production et une contribution au PIB de l’UE de 80 milliards d’euros, l’industrie de l’acier fait face à des défis majeurs : coûts énergétiques élevés, concurrence déloyale et nécessité d’investissements massifs dans la décarbonation.
Le plan d’action fait partie du Pacte pour une industrie propre, qui sert de cadre général pour le renforcement de la compétitivité de l’industrie européenne. Le plan propose plusieurs leviers d’action :
La promotion des accords d’achat d'électricité — des contrats de long terme entre producteurs d’énergie et consommateurs industriels pour sécuriser un prix stable de l’électricité. La Commission proposera aussi, avant la fin de l’année, de faciliter l’accès au réseau électrique pour les projets d’électrification des industries à forte intensité énergétique.
Le renforcement du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières — CBAM en anglais — avec une première proposition législative d’ici fin 2025 visant à inclure certains produits contenant de l’acier et l'aluminium ainsi que des mesures anti-contournement.
L’ajustement des mesures de sauvegarde sur l’acier à compter du 1er avril 2025 et leur reformulation à long terme après le 1er juillet 2026, garantissant une protection contre les distorsions de marché. Depuis 2018, la Commission impose des droits de douane sur les importations d’acier, au-delà de certains quotas.
L’introduction de nouveaux objectifs de recyclage pour favoriser la circularité.
Côté financements, la Commission prévoit 150 millions d’euros via le Fonds de recherche du charbon et de l’acier (2026-2027) et vise à mobiliser 100 milliards d’euros avec la Banque pour la décarbonation de l’industrie. Une enchère pilote d’un milliard d’euros sera également lancée cette année pour soutenir la décarbonation et l’électrification des processus industriels.
Dans une analyse pour le CER, Anton Spisak analyse les nouveaux accords entre l’UE et la Suisse et les leçons à en tirer pour le Royaume-Uni.
Cette édition a été préparée par Augustin Bourleaud, Antonia Przybyslawski, Thomas Veldkamp, Léopold Ringuenet, Lidia Bilali, et Maxence de La Rochère. À la semaine prochaine !