L'UE joue la montre • Mais aussi — Défense, Inflation, Entente, Stop the clock
Bonjour. Nous sommes le 8 avril et voici votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn. Le briefing de la semaine vous est proposé par Mathieu Solal, journaliste européen et cofondateur de BLOCS.
“Les Européens veulent discuter mais il n'y aura pas de discussion tant qu'ils ne nous donneront pas beaucoup d'argent sur une base annuelle” a déclaré dimanche le président américain.
TARIFS • Les droits de douane de 20% sur environ 70% des produits en provenance de l’UE, annoncés mercredi dernier par les États-Unis et prévus pour entrer pleinement en vigueur mercredi, semblent bien partis pour durer.
Ces sanctions commerciales américaines s’inscrivent dans une offensive protectionniste sans équivalent depuis les années 1930.
La quasi-totalité des pays du monde devraient ainsi subir des droits de douane minimaux de 10%. Certains partenaires commerciaux des États-Unis considérés comme les plus hostiles sur le plan commercial, sont en outre visés par des sanctions encore plus importantes.
Parmi eux, l’UE, donc, mais aussi le Japon (24%), l’Inde (26%), l’Afrique du Sud (30%) ou encore la Chine (34%). Cette dernière a déjà réagi en infligeant des contre-mesures d’un niveau équivalent sur les produits américains.
Des droits de douane de 25 % sur les automobiles fabriquées en dehors des États-Unis ont également été annoncés par la Maison Blanche, avec effet immédiat.
JOUER LA MONTRE • Face à cette situation chaotique, qui a suscité l’effondrement des marchés financiers mondiaux ces derniers jours, les Européens préfèrent temporiser.
Lundi, les ministres du commerce des Vingt-Sept, réunis en conseil extraordinaire à Luxembourg, ont ainsi eu une discussion de fond, sans conclure sur le contenu de leur réponse aux attaques américaines.
À la sortie de la réunion, le commissaire au Commerce, Maroš Šefčovič, a évoqué “un moment qui nécessite une coordination stratégique constante”. Il a a par ailleurs ajouté que l'UE proposait aux Etats-Unis une suppression réciproque des droits de douane sur l'automobile et tous les biens industriels.
Sauf accord d’ici là ou coup de théâtre, une première vague de droits de douane européens sur les importations en provenance des Etats-Unis entrera en vigueur le 15 avril en réponse aux surtaxes américaines sur l'acier et l'aluminium, avant une deuxième vague le 15 mai, a-t-il déclaré.
Dans les deux cas, l’UE devrait agir sur le fondement du règlement dit “de base” concernant l’exercice des droits de l’Union pour l’application et le respect des règles du commerce international.
Ce texte nécessite un soutien à la majorité qualifiée des États membres, soit celui d’au moins 15 États représentant au moins 65% de la population européenne. La Commission devrait toutefois tenter d’obtenir un soutien plus large encore, afin de donner à la réponse européenne à Donald Trump le plus de légitimité possible.
Privilégier le dialogue avec l’administration américaine, prendre le temps de préparer ses flèches en cas d’échec, tout en impliquant les secteurs européens les plus vulnérables aux tarifs américains : tels semblent être les trois piliers de sa stratégie.
Sa présidente, Ursula von der Leyen, participe ainsi à deux dialogues stratégiques cette semaine, l’un sur l'acier et l'automobile (lundi) et l’autre sur les produits pharmaceutiques (mardi).
INTENTIONS • Cette temporisation européenne est d’abord liée à une interrogation sur les intentions du président américain.
Souhaite-t-il, comme il en avait l’habitude au cours de son premier mandat, frapper le premier pour entrer ensuite dans une logique transactionnelle ?
Ou ambitionne-t-il plutôt de faire des droits de douane un levier permanent pour supprimer progressivement l’impôt sur le revenu et inciter les multinationales à investir aux États-Unis, comme le suggèrent certaines de ses déclarations ?
La question reste entière, trois mois après son retour à la Maison Blanche.
Certains espèrent par ailleurs que les forts remous provoqués par la déflagration tarifaire de Donald Trump finiront par le convaincre de rétropédaler.
Le républicain semble toutefois insensible, pour l’heure, aux signaux alarmants des marchés financiers et au front qui s’organise contre sa politique tarifaire dans son propre camp.
De même, il n’a semblé tenir aucun compte de la proposition de son proche conseiller, le milliardaire Elon Musk, de créer une “zone de libre-échange” entre l'Europe et les États-Unis, formulée samedi, à l'occasion du congrès du parti d'extrême droite italien La Ligue.
DIFFÉRENCES • La propension de l’UE à prendre son temps est aussi liée aux différences d’intérêts et de points de vue entre ses États membres.
Les Vingt-Sept seront en effet touchés directement en proportion de ce que représentent les exportations vers les États-Unis dans l’économie de chaque pays.
Selon les calculs de Moody’s, l’Irlande, la Slovaquie et l’Allemagne seront les plus pénalisés.
Dublin, qui dépend fortement des investissements américains, en particulier dans les secteurs pharmaceutique et technologique, préfère ainsi éviter l’affrontement.
Cibler la tech américaine constituerait une “escalade extraordinaire, à un moment où nous devons travailler à la désescalade”, a mis en garde le ministre des affaires étrangères irlandais, Simon Harris, à Luxembourg, lundi.
La Belgique, l’Italie ou encore la Suède semblent sur la même ligne.
“Il ne faut exclure aucune option, sur les biens, sur les services [américains] et ouvrir la boîte à outils européenne, qui est très complète, qui peut être extrêmement agressive également en retour”, a au contraire estimé le ministre du commerce extérieur français, Laurent Saint-Martin.
De son côté, l’Allemagne, en pleine formation de sa coalition gouvernementale, envoie des signaux contradictoires.
DÉFENSE • La France et l’Allemagne s’opposent sur l’inclusion du Royaume-Uni et du Canada au sein de l’initiative Security Action for Europe (SAFE).
Proposée par la Commission le 18 mars 2025, SAFE forme un des trois piliers du plan ReArm Europe.
Elle vise à faciliter l’achat conjoint par les États membres de matériel militaire jugé prioritaire — munitions, missiles de longue portée, ou encore systèmes anti-drones — à travers 150 milliards d'euros de prêts issus du budget européen.
Pour rappel, la Commission proposait initialement de rendre éligible à ces prêts l’Ukraine et les pays de l’Association européenne de libre-échange (Islande, Liechtenstein, Norvège, Suisse). De même, les pays possédant un partenariat de défense et de sécurité avec l’UE pourraient bénéficier de ces achats conjoints.
Certains États membres, dont l’Allemagne, souhaitent désormais étendre cette liste au Royaume-Uni et au Canada. Cependant, Paris marque son opposition. L’objectif de la France pourrait être d’assurer la signature d’un partenariat de sécurité et de défense entre l’UE et le Royaume-Uni, actuellement en négociation.
Alors que les discussions entre États membres concernant SAFE se poursuivent, la tenue d’un sommet UE-Royaume-Uni le 19 mai prochain pourrait permettre de trouver un compromis.
INFLATION • En mars, le taux d’inflation annuel dans la zone euro est descendu à 2,2%, contre 2,3% en février, poursuivant ainsi son ralentissement pour le deuxième mois consécutif.
Cette baisse s’explique principalement par le recul des prix de l’énergie (-0,7%) et le fléchissement de l’inflation dans les services (3,4%), une composante qui reste cependant élevée.
Les économistes estiment que l’inflation de base est sur la bonne voie pour atteindre l’objectif de 2% fixé par la BCE d’ici la fin de l’année.
Les marchés financiers évaluent désormais à environ 75% la probabilité d’une baisse de taux lors de la réunion de politique monétaire de la BCE prévue le 17 avril.
Pour autant, les incertitudes à court terme demeurent, notamment en ce qui concerne la baisse des prix des services, qui pourrait être temporaire.
À cela s’ajoute le contexte commercial préoccupant, marqué par les tensions croissantes avec les Etats-Unis et l’imposition de nouveaux droits de douane qui pourraient à la fois freiner la croissance et raviver les pressions inflationnistes.
ENTENTE • Le 1er avril, la Commission européenne a infligé une amende de 458 millions d’euros à 15 constructeurs automobiles ainsi qu’à l’Association des constructeurs européens d’automobiles (ACEA), pour avoir participé à une entente sur une période de plus de 15 ans dans le domaine du recyclage des véhicules hors d’usage (VHU), c’est-à-dire les véhicules trop vieux ou abîmés qui sont démontés afin d’être recyclés.
Les amendes les plus élevées concernent Volkswagen (127 millions d’euros), Renault/Nissan (81 millions d’euros) et Stellantis (74 millions d’euros).
L'infraction présente deux volets.
D’une part, les entreprises s’étaient entendues pour ne pas rémunérer les centres de démontage en charge du traitement des VHU, considérant toutes que ces activités de traitement étaient en elles-même suffisamment rentables — et donc n’ayant pas besoin d’être rémunérées.
Elles ont également partagé des informations commercialement sensibles concernant leur contrat avec ces entreprises de démontage.
D’autre part, elles se sont entendues pour ne pas faire la publicité de l’usage de matériaux recyclés dans les nouveaux véhicules afin d’empêcher les consommateurs d’en tenir compte lors de leur décision d’achat.
STOP THE CLOCK • Le 3 avril, le Parlement européen a approuvé le report de l’entrée en vigueur des règles européennes sur la publication d’informations en matière de durabilité et sur le devoir de vigilance.
Le nouveau délai permettra notamment d’exclure environ 80% des entreprises de l’application de la directive sur la publication d’informations en matière de durabilité (CSRD) jusqu’en 2028. Adoptée en 2022, cette directive vise à lutter contre l'écoblanchiment en imposant aux entreprises de publier régulièrement des informations sur leur impact social et environnemental.
Ce report s’applique également à l’entrée en vigueur des règles européennes sur le devoir de vigilance (CS3D) adoptées en 2024, qui imposent aux entreprises de mesurer et atténuer leur impact social et environnemental.
La simplification des règles pesant sur les entreprises avait été proposée en février par la Commission au sein du paquet dit Omnibus, avec l’objectif de stimuler la compétitivité du bloc.
De son côté, le Conseil a adopté le texte le 26 mars — il doit maintenant être formellement adopté avant d’être publié dans le journal officiel.
D’autres législations phares sont également dans le viseur de la Commission : une simplification du règlement sur la protection des données personnelles (RGPD) serait en préparation.
Dans une note pour le CER, Elisabetta Cornago examine les conséquences financières d’un élargissement hypothétique de l’UE.
Cette édition a été préparée par Augustin Bourleaud, Mathieu Solal, Alexis Rontchevsky, Thomas Veldkamp, Solène Cazals, Antoine Ognibene et Maxence de La Rochère. À la semaine prochaine !