Mais aussi - Apple, Indonésie, Déforestation, Ukraine
Bonjour. Nous sommes le 29 septembre et voici votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn.
BRIEFING | Par Kay Jebelli
Basé à Bruxelles, Kay Jebelli est Senior Director pour l’Europe auprès de la Chamber of Progress, une association progressiste de l’industrie technologique. Kay a auparavant travaillé pour la Computer & Communications Industry Association et possède plus de dix ans d’expérience en tant qu’avocat spécialisé en droit de la concurrence, aussi bien en cabinet privé qu’à la Commission européenne (DG Concurrence).
Si vous vous êtes rendu sur LinkedIn récemment, vous êtes probablement tombé sur les posts d’entrepreneurs et d'investisseurs européens qui réclament la mise en place d’EU-Inc, une nouvelle entité juridique européenne visant rivaliser avec le Delaware en créant un véritable marché unique pour les entrepreneurs.
Le concept, qui n’est pas nouveau, bénéficie aujourd’hui d’un véritable élan, non seulement de la part d’Européens qui ont l’habitude de créer des entreprises hors de l’UE et veulent cette fois-ci entreprendre au sein du Vieux Continent, mais aussi de la part de haut placés à la Commission européenne, qui y voient une initiative clé pour booster la compétitivité.
L’idée est simple : donner à l’UE un cadre juridique moderne et harmonisé permettant aux start-up de constituer leur société une seule fois et ensuite développer leur activité dans toute l’UE sans devoir dupliquer les démarches, les frais juridiques et les structures de gouvernance dans chacun des 27 États membres.
Ce “28e régime” serait une forme de cadre juridique supranational conçu pour réduire la charge administrative et enfin tenir la promesse d’un marché unique pour les entrepreneurs.
Cette solution peut sembler être une évidence. Pourtant, la réalité du quotidien de nombreux entrepreneurs est loin d’être simple. Le manque d’alignement des cadres juridiques nationaux et les processus notariaux complexes font du lancement d’une société un processus byzantin.
Nombreux sont les témoignages d’entrepreneurs allemands en phase de démarrage qui dépensent des dizaines de milliers d’euros par an en frais de notaire, rien que pour constituer leur entreprise ou accepter un investissement.
Pour les investisseurs, notamment hors-UE, l’acte même d’investir est également un processus épuisant, en décalage avec les réalités de l’espace hautement digitalisé dans lequel les start-up opèrent.
Le temps nécessaire pour franchir ces obstacles en Europe permettrait à une C-corp du Delaware d'être fondée, financée et lancée dix fois.
Cette friction ne freine pas seulement les start-up, elle pénalise l’économie dans son ensemble : moins d’entreprises à forte croissance signifie moins d’entreprises à succès, moins de réinvestissements et un dynamisme économique moindre. Le coût d’opportunité à long terme est colossal.
Ce n'est pas la première fois que l’Europe tente de créer un cadre juridique supranational pour les entreprises.
La Societas Europaea (SE), lancée en 2004, avait pour objectif de faciliter les opérations transfrontalières. Mais elle est restée lettre morte pour les start-up : elle exigeait une présence préalable dans plusieurs pays, imposait des structures de gouvernance rigides et un capital social inaccessible aux jeunes entreprises. Au lieu de créer une alternative au labyrinthe des cadres juridiques nationaux, la Societas Europaea a créé un nouveau cadre non moins complexe, cette-fois ci au niveau européen.
Le 28ᵉ régime — et la proposition EU-Inc, qui en est la matérialisation la plus concrète et le plus soutenue par les start-ups — relève d’un autre registre.
Né de la frustration des entrepreneurs, EU-Inc est un projet collectif et participatif. Une pétition et une proposition détaillée rassemblent déjà plus de 600 fonds venture capital, 9000 start-up et 20 associations, tous unis autour de l’idée d’une entreprise unique à travers le marché intérieur, permettant une opération fluide dans toute l’UE.
Parmi les soutiens figurent des investisseurs majeurs dans les entreprises européennes, ainsi que de nombreuses associations de start-up qui soulignent depuis longtemps le coût de la fragmentation réglementaire pour la compétitivité européenne.
EU-Inc serait totalement digitale : création, gouvernance, reporting — tout en anglais et en ligne. Elle n’exigerait aucune duplication nationale — elle coexisterait avec les formes nationales, mais simplifierait les opérations transfrontalières, comme l’emploi et les flux de capitaux. Elle pourrait aussi standardiser le processus d’investissement et établir un régime unifié de stock-options pour mieux partager le succès des start-up.
Un soutien politique se constitue également.
Dans ses lettres de mission de septembre 2024, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a demandé aux commissaires européens de relancer l’innovation et bâtir une Europe plus compétitive, le 28ᵉ régime figurant souvent parmi les initiatives visant à atteindre cet objectif.
La Commission a lancé un appel à contributions, ouvert aux commentaires publics jusqu’au 30 septembre 2025 (il n’est pas trop tard pour contribuer). Une proposition législative est attendue début 2026.
Le Parlement européen se mobilise également. La commission JURI prépare actuellement un rapport visant à demander à la Commission européenne une proposition législative. Toutefois, le premier jet a déçu la communauté des start-up, jugé trop prudent et trop restrictif.
L’eurodéputé Axel Voss a déposé des amendements pour renforcer le texte ; le débat sur la version finale commence le 13 octobre, avec un vote en commission prévu mi-novembre, puis un vote en plénière avant la fin de l’année.
Un débat crucial reste à trancher : faut-il limiter cette nouvelle forme aux start-up “innovantes” ?
Nombreux sont les chefs d’entreprise qui estiment que non — et à juste titre. Certes, une portée plus restreinte est plus facile à défendre politiquement, mais introduire des limites dès le départ serait une erreur.
L’Europe doit attirer des entrepreneurs internationaux, des scale-up et des PME du monde entier qui cherchent un cadre stable et institutionnalisé pour se lancer et croître. Un régime plus ouvert enverrait le bon signal : celui d’une Europe ouverte et ambitieuse, prête à concevoir un modèle moderne pour les entreprises du 21e siècle.
Le timing ne pourrait être meilleur : dans un contexte de fragmentation géopolitique accrue, de divergence réglementaire et de restriction en matière de mobilité des talents, l’Europe peut devenir un havre de paix pour créateurs, talents et investisseurs.
Les décideurs ont l’occasion de transformer leur relation avec les entrepreneurs en les considérant comme une force qui façonnera la compétitivité future de l’Europe. Le cœur du sujet, c’est bien la mission d’origine de l’UE : achever enfin le marché unique.
IN CASE YOU MISSED IT
APPLE • “Le DMA devrait être abrogé et remplacé par un instrument législatif plus adapté”, a déclaré Apple dans une réponse à une consultation organisée par la Commission européenne sur le Digital Markets Act (DMA), le règlement européen qui vise à créer des marchés numériques équitables et contestables.
Apple a publié un communiqué pointant les effets négatifs du DMA sur les utilisateurs européens de ses produits, imputant notamment le report de fonctionnalités comme Live Translation et iPhone Mirroring à la mise en conformité avec les obligations du règlement.
La firme évoque aussi des risques accrus liés à l’obligation d’autoriser des marketplaces tierces et la collecte de données sensibles sur iPhone en raison du DMA.
“Nous ne sommes pas surpris par le lobbying d’Apple demandant l’abrogation du DMA”, car le groupe californien “a constamment contesté chaque aspect du DMA depuis son entrée en vigueur”, a réagi le porte-parole de la Commission, Thomas Regnier.
INDONESIE • L’Union européenne et l’Indonésie ont conclu le 23 septembre 2025 les négociations relatives à un accord de libre-échange — plus spécifiquement, un accord de partenariat économique global (CEPA) et un accord de protection des investissements.
Cet accord de libre-échange s’inscrit dans la stratégie européenne de diversification des partenariats commerciaux, après l’accord avec le Mercosur et en parallèle de discussions avec l’Inde.
L’accord supprime près de 98,5 % des droits de douane indonésiens sur les produits européens et ouvre le marché aux services européens, notamment télécoms et informatique. Il protège plus de 200 indications géographiques européennes, offrant un avantage concret aux filières agricoles et alimentaires.
Un protocole inédit sur l’huile de palme crée une plateforme de dialogue pour aligner la production sur la réglementation européenne anti-déforestation (dont l’entrée en application est repoussée — voir brève suivante), mais il est déjà critiqué pour son insuffisance..
Bien que l’Indonésie ne soit que le 33ᵉ partenaire commercial de l’UE — 27,3 milliards d’euros d’échanges en 2024 — cet accord sécurise les chaînes d’approvisionnement européennes en matières premières critiques comme le nickel et le cobalt, essentielles à la transition énergétique et numérique, tout en ouvrant un marché de 280 millions d’habitants.
La procédure prévoit l’adoption par le Conseil de l’UE, puis l’approbation par le Parlement européen et la ratification par les parlements nationaux et régionaux. L’accord pourra ensuite entrer en vigueur.
DEFORESTATION • L’entrée en application du règlement sur la déforestation va être reportée une deuxième fois, a déclaré la commissaire européenne à l’environnement Jessika Roswall.
La date avait déjà été repoussée du 30 décembre 2024 au 30 décembre 2025 en raison de l’opposition d’un grand nombre de partenaires commerciaux de l’UE, comme les Etats-Unis, l’Indonésie et le Brésil.
Selon les déclarations de Jessika Roswall, la nouvelle date d’entrée en application serait le 30 décembre 2026.
Pour rappel, le règlement sur la déforestation interdit la vente en Europe (et l’exportation) de tout produit issu de la déforestation — les principaux produits concernés étant le bétail, le cacao, le café, l’huile de palme, le caoutchouc, le soja et le bois.
Les entreprises qui commercialisent ces produits devront fournir des preuves qu’ils sont 100% “zéro déforestation”, c’est-à-dire qu’ils ne proviennent pas de terres récemment déforestées et qu’ils n’ont pas contribué à la dégradation de forêts.
La raison de ce nouveau report ? Des problèmes liés au système informatique au sein duquel les entreprises devront fournir les preuves que leurs produits sont 100% “zéro-déforestation”, a expliqué la commissaire.
Cependant, le timing de ce report laisse penser que le système informatique n’est qu’un prétexte pour décaler à nouveau l’application du règlement.
Dans la déclaration commune publiée par l’UE et les Etats-Unis après l’accord commercial de Turnberry, l’UE s’est engagée à “répondre aux préoccupations des producteurs et exportateurs américains”. La semaine dernière, l’UE signait avec l’Indonésie, le pays le plus critique du règlement, un accord de libre-échange.
Mauvaise semaine pour les forêts : le 23 septembre, les commissions environnement et agriculture du Parlement européen ont également rejeté le règlement relatif à un cadre de surveillance pour les forêts européennes.
L’ensemble des membres des commissions appartenant à l’aile droite du Parlement européen, ainsi que quelques eurodéputés libéraux (Renew), ont voté pour l’abandon du règlement, estimant que ce dernier créait de nouvelles obligations administratives excessives. Le texte sera examiné en séance plénière au Parlement, mais son rejet en commission ne laisse rien présager de bon pour ce règlement.
UKRAINE • La Commission européenne a formalisé le 25 septembre une proposition de prêt de 140 milliards d’euros à l’Ukraine garanti par les avoirs russes gelés — principalement détenus par Euroclear à Bruxelles. L’Ukraine ne rembourserait le prêt qu’après la fin de la guerre et le paiement de réparations par Moscou.
Ce mécanisme dépend du renouvellement semestriel, à l’unanimité, des sanctions européennes contre la Russie : un veto, notamment de la Hongrie, forcerait l’UE à restituer ces fonds à Moscou.
Pour éviter ce risque, la Commission souhaiterait autoriser le renouvellement du gel des avoirs à la majorité qualifiée, en s’appuyant sur les conclusions du Conseil européen du 19 décembre 2024, par lesquelles tous les dirigeants européens ont affirmé que ces avoirs devaient rester gelés “jusqu'à ce que la Russie cesse sa guerre d'agression contre l'Ukraine et l'indemnise des dommages causés par cette guerre.”
La manière dont cette déclaration pourrait justifier un passage de l’unanimité à la majorité qualifiée reste floue.
La Belgique est particulièrement inquiète : en cas de levée des sanctions ou de succès d’une action juridique russe, Euroclear pourrait devoir restituer jusqu’à 185 milliards d’euros à la Russie.
La Belgique craint également que ce précédent n’ébranle la sécurité juridique de la place financière européenne. Elle souhaite donc des garanties collectives des États membres avant d’aller plus loin.
Le projet sera discuté aujourd’hui lors d’une réunion informelle des chefs d’Etat ou de gouvernement européens à Copenhague puis au Conseil européen fin octobre.
Dans un rapport publié par le Brussels Institute for Geopolitics, Luuk van Middelaar et Antoine Michon analysent l'émergence de la Communauté politique européenne comme plateforme diplomatique majeure pour la gestion des enjeux de sécurité européens hors des cadres traditionnels de l'UE et de l'OTAN.
Pour l’ECIPE, Matthias Bauer et Dyuti Pandy critiquent les politiques de taxation numérique, estimant que les taxes sur les services numériques et le projet CORE relèvent davantage de la posture politique que de la recherche de solutions efficaces. Elles représentent un coût pour les consommateurs européens, et leur adoption laisse les problèmes fiscaux structurels du continent non résolus.
Merci à Maxence de La Rochère et Léopold Ringuenet pour leur aide dans la préparation de cette édition. À la semaine prochaine !