L’UE face à la contestation des agriculteurs

Mais aussi — People, Sécurité économique, DSA, DMA, TF1

La Revue européenne
7 min ⋅ 29/01/2024


Bonjour. Nous sommes lundi 29 Janvier 2024 et voici votre condensé utile d’actualité européenne. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn


Le Briefing

La mobilisation des agriculteurs s’intensifie à travers l’Europe. À quelques mois des élections européennes, Bruxelles est la cible de critiques grandissantes sur de nombreux sujets liés à l’agriculture. 

Manifestation des agriculteurs allemands à Berlin, le 18 décembre 2023 © Jakob - stock.adobe.comManifestation des agriculteurs allemands à Berlin, le 18 décembre 2023 © Jakob - stock.adobe.com

MOUVEMENT EUROPÉEN • Les manifestations qui se déroulent actuellement en France ne sont que le dernier épisode d’un mouvement de contestation d’ampleur européenne. Ces derniers 18 mois, plus de la moitié des Etats membres a été touché par une mobilisation des agriculteurs.

  • Depuis 2019, les Pays-Bas sont enlisés dans une crise complexe concernant la réduction des émissions d’azote dans le secteur agricole. Ces derniers mois, l’Irlande fait face à l’opposition des agriculteurs sur le même sujet.

  • En Allemagne, les agriculteurs se mobilisent depuis la fin du mois de décembre contre une réforme de la fiscalité du diésel agricole.

  • À l’est de l’Europe, la Pologne, la Hongrie, la Roumanie, la Slovaquie et la Bulgarie font face à un mouvement de contestation massif des agriculteurs contre les importations de céréales ukrainiennes qui affectent la production locale. 

  • Ces contestations pourraient bientôt toucher le sud de l’Europe, où l’Italie et l’Espagne font face à une opposition grandissante des agriculteurs sur la gestion de l’eau face à la sécheresse.

PAC • Au-delà de revendications spécifiques à chaque Etat membre, ce sont bel et bien les politiques européennes dans le domaine agricole, environnemental et commercial qui sont dans le viseur des agriculteurs. 

Parmi ces politiques, la réforme de la politique agricole commune (PAC) pour la période 2023-2027 fait l’objet de nombreuses critiques. Cette réforme vise notamment à renforcer la protection de l’environnement et à accélérer la lutte contre le changement climatique.

Au sein de la nouvelle PAC, les aides directes attribuées aux agriculteurs sont soumises à des conditions environnementales plus strictes :

  • La rotation des cultures est désormais obligatoire pour les exploitations d’au moins 10 hectares, à l'exception de celles qui disposent de grandes prairies ou qui pratiquent l'agriculture biologique.

  • Les agriculteurs doivent à présent consacrer au moins 4% de leurs terres à des surfaces d'intérêt écologique (SIE) telles que des haies, des mares ou des jachères.

Des “éco-régimes” ont également été créés. Ces derniers visent à accorder des aides plus généreuses aux agriculteurs qui adoptent des pratiques particulièrement bénéfiques pour l’environnement (comme le stockage du carbone).

Une grande partie des agriculteurs déplore le fardeau administratif qui accompagne ces nouvelles mesures. “A cela s’ajoute la complexité accrue pour toucher des aides plus faibles”, note le think tank Farm Europe.

GREEN DEAL • La stratégie “De la ferme à la table” (“Farm to Fork” en anglais — oui, ça sonne mieux) est également sous le feu des projecteurs. Cette stratégie est le bras armé du Green Deal sur les questions agricoles.

Philippe Lamberts, député européen belge au sein des Verts, résume la situation : “Le secteur agricole n'a pas encore été touché par l’ensemble du Green Deal. Mais en effet, si en plus de toutes les contraintes déjà présentes aujourd'hui, on ajoute, à l'aveugle, des contraintes supplémentaires liées à la transition verte sans changer les bases du système, c'est l'impasse et la transition ne se fera pas.” 

ELECTIONS • À l’approche des élections, les différents groupes politiques au Parlement européen se positionnent sur l’héritage du Green Deal et de Farm to Fork, contesté par les agriculteurs. 

En juillet dernier, la proposition de règlement sur la restauration de la nature — imposant des objectifs de restauration des terres — avait connu une opposition massive de la part du Parti populaire européen (PPE, centre-droit). Souhaitant se positionner comme le “parti des agriculteurs”, le groupe politique envisage de renégocier certains règlements et directives à visée environnementale adoptés pendant les cinq dernières années. Le PPE appelle également à une pause réglementaire sur l’environnement.

Du côté des libéraux du groupe Renew, les députés n’envisagent pas de revenir sur des règlements et directives déjà adoptés. “Nous avons fait beaucoup de progrès au cours de cette législature (...) nous ne devons pas défaire ce qui a déjà été fait”, a déclaré l’eurodéputé française Valérie Hayer, qui a été choisie pour remplacer Stéphane Séjourné en tant que président du groupe Renew. Concernant l’idée d’une pause réglementaire sur l’environnement, le groupe n’est pas encore décidé. 

À gauche, le groupe des Sociaux-démocrates (S&D) reprend les critiques des agriculteurs concernant les accords de libre-échange, qui laisseraient entrer des marchandises échappant à certaines règlementations européennes au sein du marché unique, créant ainsi une concurrence déloyale avec les agriculteurs européens. La solution ? La mise en place de mesures miroirs et le développement d’un “protectionnisme vert européen”, affirme Raphaël Glucksmann. 

Pour autant, les agriculteurs ont-ils raison d’en vouloir aux accords de libre-échange ? La réponse mercredi dans la newsletter Blocs, consacrée au commerce international. Abonnez-vous ici pour recevoir leur prochaine édition, consacrée à ce sujet.

Les différents partis d’extrême droite européens espèrent trouver dans la contestation des agriculteurs un nouveau soutien pour les élections de juin, pendant lesquelles le groupe Identité et démocratie (ID) pourrait devenir la troisième force politique au Parlement européen, selon les sondages.

DIALOGUE STRATÉGIQUE • Devant la contestation grandissante des agriculteurs, la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait annoncé en septembre la tenue d’un dialogue stratégique sur le futur de l’agriculture dans l’UE.

Ce dialogue a été lancé le 25 janvier, en présence de représentants d’organisations syndicales et professionnelles agricoles et coopératives (comme Copa-cogeca). L’objectif de cette initiative est d’aller vers “plus de dialogue et moins de polarisation” dans la mise en place des politiques agricoles à l’échelle européenne.

Pour autant, de nombreux ministres de l’agriculture européens critiquent le lancement tardif de ce dialogue, qui aurait dû arriver “plus tôt”.


Collaboration commerciale avec Interbev

Cette semaine, avec Agriculture-circulaire, nous vous proposons de découvrir le parcours de l’éleveur Nicolas Onfroy. Après une carrière professionnelle passée loin du monde agricole, ce dernier a décidé de reprendre la ferme de ses parents. Il y aligne l’ensemble de son élevage sur des cycles naturels où le végétal et l’animal se complètent. Ces pratiques lui permettent d’obtenir un bilan CO2/kg de viande réduit.

La ferme est également implantée dans des circuits courts qui permettent la consommation des produits sur le lieu même de production ou à proximité : la ferme est intégrée à un domaine regroupant un hôtel, un restaurant et une ferme. Pour en savoir plus sur l’exploitation innovante de Nicolas Onfroy, c’est ici.


Inter Alia

PEOPLE • Trois semaines seulement après avoir annoncé sa candidature aux européennes, Charles Michel fait un volte face spectaculaire en abandonnant la course. Le désormais ex-futur candidat et futur ex-président du Conseil ira donc au terme de son mandat en Décembre 2024. 

Les dirigeants européens s’étaient préparés à la nécessité de nommer un successeur anticipé entre juin et juillet 2024 pour éviter que Viktor Orbán ne fasse l'intérim — la Hongrie prend la présidence tournante du Conseil de l’UE au deuxième semestre 2024. 

Du côté du Parlement européen, c’est Valérie Hayer qui succède à Stéphane Séjourné à la présidence du groupe Renew. Elle est la deuxième femme à diriger la famille libérale-démocrate après Simone Veil. Valérie Hayer est élue depuis 2019 et siège au comité budget du Parlement européen, où elle a négocié le budget de long terme de l’UE. 

SÉCURITÉ ÉCONOMIQUE • La commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager, a dévoilé mercredi 24 janvier une série de propositions visant à permettre à l’UE de renforcer sa sécurité économique, notamment en luttant contre les ingérences d’adversaires stratégiques. 

La Commission propose de définir un nombre restreint de secteurs comme étant sensibles (intelligence artificielle, informatique quantique — entre autres) et d’harmoniser les régimes nationaux pour mieux détecter les ingérences étrangères. 

Est également proposée la mise en place d’un contrôle des investissements directs étrangers (IDE) aussi bien entrants que sortants sur ces technologies, en particulier celles susceptibles d’être à double usage (civil et militaire). La création d’un centre d’expertise européen sur la sécurité de la recherche est aussi envisagée afin de sensibiliser les universités et centres de recherches européens aux risques croissants en la matière. 

L’initiative de la Commission nourrit déjà des critiques de la part d’acteurs économiques qui craignent que de nouvelles obligations administratives ne viennent affecter la compétitivité européenne, déjà en berne. La mise en place de ces nouvelles mesures repose par ailleurs en grande partie sur la bonne volonté des États dont certains sont hautement dépendants d’investissements étrangers — notamment chinois.

“Trop floues”, “pas assez agressives”, “trop basées sur de la ‘coordination molle’” : voici quelques critiques formulées par les experts sur les mesures proposées.

AU COIN • Paris se fait taper sur les doigts par Bruxelles pour son projet de loi sur l’espace numérique (SREN). La Commission a envoyé le 17 janvier à la France un “avis circonstancié”, obtenu par Contexte

L’envoi d’un avis circonstancié par la Commission européenne gèle le vote d’un texte pour une durée de quatre mois. La loi SREN ne pourra donc pas être adoptée avant le 11 mars 2024. 

La Commission reproche au projet de loi SREN de marcher sur les plate-bandes du Digital Services Act (DSA) et de la directive sur le commerce électronique. En tant que règlement, le DSA est “directement applicable dans tous les Etats membres, sans qu’il soit nécessaire d’adopter des mesures d’exécution”, rappelle la Commission.  

Le courrier de la Commission fait suite à un premier avis circonstancié sur le sujet datant d’octobre 2023. La Commission avait déjà rappelé le gouvernement français à l’ordre en août 2023 concernant la loi sur les influenceurs et la loi sur la majorité numérique.  

DMA • Apple a annoncé le 25 janvier des changements à iOS, Safari et à son AppStore au sein de l’Union européenne afin de se conformer au Digital Markets Act (DMA). Ces changements seront effectifs en mars avec iOS 17.4.  

Les utilisateurs d’appareils Apple en Europe pourront télécharger des applications sur Google Play Store ou Amazon App Store, c’est-à-dire les boutiques d’applications concurrentes d’Apple. Ils pourront aussi choisir un navigateur par défaut autre que WebKit (Safari). 

Des services de paiement alternatifs à Apple Pay seront également disponibles. Spotify pourra par exemple proposer le paiement de ses abonnements sur iPhone via PayPal plutôt qu'Apple Pay. Ces changements vont s’accompagner d’une réduction de 30% à 17% des commissions empochées par Apple sur l’App Store. 

Pour mieux comprendre ce que ces changements impliquent pour les utilisateurs, abonnez-vous à Cafétech, la newsletter de référence sur l’actualité tech en Français.

Dans un communiqué, Apple note que ces changements impliquent une “expérience utilisateur moins intuitive” de ses produits tout en soulignant les risques que ces changements font peser en termes de sécurité. 

Les sociétés désignées dans le cadre du DMA ont jusqu'au 6 mars 2024 pour présenter leurs plans de compliance à la Commission européenne. C’est à la Commission qu’il reviendra de déterminer si ces changements sont suffisants ou non dans le cadre du DMA. 

THE VOICE • Le financement de l’audiovisuel public français fera l’objet d’un examen approfondi par les services de la DG Concurrence. TF1 a déposé une plainte devant la Commission européenne en novembre 2023, laquelle a été notifiée à la France il y a une semaine. 

En 2022, la France a remplacé la contribution à l’audiovisuel public (CAP) par une fraction de TVA. Ce changement aurait dû faire l’objet d’une notification à la Commission européenne en tant qu’aide d'État nouvelle, ont expliqué au Figaro Maîtres Mion et le Bret, les avocats de TF1. 

TF1 considère que les subventions versées à France Télévisions — plus de 2,5 milliards d’euros par an — sont illégales au regard du droit européen, car elles ne seraient pas assorties d’obligations précises. TF1 se considère lésée par ces distorsions de concurrence au profit de l’audiovisuel public. Par ailleurs, l’audiovisuel public bénéficie d’un taux de TVA réduit de 2,10% contre 20% pour le privé. 

La France dispose d’un mois pour présenter ses observations. La Commission décidera ensuite d’ouvrir ou non une procédure approfondie. Pour rappel, ce n’est pas la première fois qu’audiovisuels privé et public croisent le fer. En 2013, TF1 avait attaqué sans succès la réforme du financement à long terme de France Télévisions devant le Tribunal de l’UE


Nos lectures de la semaine

  • Chad P. Bown du Peterson Institute s’intéresse aux politiques de l’UE visant à garantir sa sécurité économique. 

  • Justement, l’UE doit prendre en compte la question de l’extraterritorialité dans sa stratégie de sécurité économique, expliquent Georgina Wright, Louise Chetcuti et Cecilia Vidotto Labastie dans un rapport pour l’Institut Montaigne. 

  • Dans un rapport publié par Bruegel, Maria Demertzis, David Pinkus et Nina Ruer proposent une approche de long terme du financement par l’Europe de ses objectifs stratégiques.


Cette édition a été préparée par Augustin Bourleaud, Guillaume Renée, Marwan Ben Moussa et Maxence de La Rochère. À la semaine prochaine !

...

La Revue européenne

La Revue européenne

Par What's up EU